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Plat pays
Par Marianne
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Avec un ton on ne peut plus sérieux, le président du parlement néerlandais Martin Bosma a proposé à l’ambassadeur français que nos deux pays se partagent la Belgique. « La Wallonie pourra aller à la France », a-t-il suggéré. Alors, bonne ou mauvaise idée ? « Marianne » propose de dresser la liste des avantages et des inconvénients d’une telle annexion.
Et si la Wallonie redevenait française ? Jusqu’ici cette perspective agitait surtout les discussions de jeunes gens férus d’histoire de la Révolution française ou de la période napoléonienne. Certains politiques s’y sont déjà montrés favorables aussi, comme Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle 2012. De l’autre côté de la frontière, cette vision anime depuis plus de deux siècles les velléités des militants wallons du mouvement « rattachiste » qui rêvent d’assister à l’intégration de leur région à l’Hexagone. Pour eux, c’était mieux avant.
Mais la question a ressurgi dans le débat public ces derniers jours à la faveur de l’actualité. « Les Pays Bas veulent que la Flandre les rejoigne », a ainsi déclaré Martin Bosma, président de la chambre des représentants et membre du parti d’extrême droite Parti pour la liberté (PVV), à l’ambassadeur français, selon plusieurs médias belge et néerlandais. Et d’ajouter : « La Wallonie pourra aller à la France ». Une annexion qui, disons-le, pourrait avoir du bon… Mais aussi charrier son lot d’aspects dont on se passerait bien. Florilège des meilleurs arguments pour trancher, en commençant par le pire.
CONTRE : L’accent (on en a déjà trop)
Loin de toute « glottophobie » – terme en vogue ces dernières années pour dénoncer la discrimination basée sur le langage –, un constat s’impose : la France croule sous les accents régionaux provenant d’anciennes langues ou dialectes. D’après un sondage de 2020, 50 % de nos concitoyens estiment parler avec les inflexions de leur région… ce qui vaudrait des moqueries à plus d’un quart d’entre eux. Pire : 11 millions de Français auraient déjà été victimes de discriminations à l’embauche. Veut-on vraiment aggraver ce constat alarmant en intégrant celui qui fait l’objet du plus d’imitations et de moqueries en tous genres ? D’autant que le travail d’unification pour créer une nation autour de la langue française dans le cadre de la mise en place d’un système centralisé après la révolution française a été de longue haleine. Il s’agirait de ne pas ouvrir la porte à de nouvelles velléités régionalistes aujourd’hui…
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CONTRE : Un fort taux de chômage
En Belgique, la carte du chômage pourrait suivre les frontières linguistiques. Une régionalisation du chômage qui ne joue pas en notre faveur en cas de rattachement de la Wallonie à la France… Et pour cause : au quatrième trimestre de 2024, on y observait un taux de chômage BIT des 15-64 ans de 8 % – contre à peine 3,8 % de la population active en Flandre ! La Wallonie souffre d’une situation économique particulièrement dégradée – sa dette représente 257 % de son PIB, contre 58 % pour la Flandre. Ancien bastion de l’industrie lourde qui a connu un déclin à partir des années 1970, la désindustrialisation qui touche le territoire a laissé des traces dans certaines régions, notamment dans le Borinage ou à Charleroi, où le taux de chômage dépasse parfois les 20 %. Avec un paradoxe régional : environ 110 000 demandeurs d’emploi indemnisés coexistent avec seulement 40 000 postes vacants.
CONTRE : Une région moche ?
La région a longtemps souffert d’un « bashing », notamment au regard de sa rivalité avec la Flandre, plus prospère. Il faut dire que le contraste avec les belles villes flamandes aux centres historiques bien conservés comme à Gand, Anvers ou Bruges – qu’on appelle aussi « Venise du nord » – est frappant. En Wallonie, il faut plutôt s’attendre à des friches industrielles, une architecture brutaliste, des usines désaffectées ou encore des anciens quartiers ouvriers abandonnés. Le tout formant un ensemble de paysages gris que beaucoup qualifieraient de déprimants… Même si le tourisme industriel a indéniablement son charme. En 2008, Charleroi a reçu l’étiquette de « ville la plus laide du monde » par un canard néerlandais… Un stigmate qui a aussi suscité une certaine fierté locale.
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CONTRE : Trop d’instabilité politique
Certes, la France qui apparaît plus divisée que jamais sur le plan politique se garderait bien de donner des leçons à son voisin belge. En témoignent les résultats des dernières législatives anticipées et le chaos institutionnel qui a suivi. Reste que le souvenir des 541 jours sans gouvernement de plein exercice en 2010-2011 a la peau dure. Depuis, cet État fédéral connaît régulièrement des épisodes de forte instabilité, notamment liés à la fragmentation du paysage politique belge, sa complexité institutionnelle et ses divisions linguistiques et communautaires. En 2020, le pays parvient enfin à former un gouvernement après presque deux ans de crise à la suite des élections législatives de 2019. On est loin des 51 jours qu’il avait fallu à Emmanuel Macron pour nommer Michel Barnier à l’été 2024.
CONTRE : Haut lieu du djihadisme
Depuis les années 1980, les Frères musulmans sont devenus des acteurs de premier plan en Belgique. On pense forcément au quartier bruxellois de Molenbeek situé en périphérie de la capitale. Ce dernier est tristement célèbre pour être une arrière base et un pôle de recrutement pour les terroristes islamistes, notamment ceux qui ont mené les attentats de Paris en novembre 2015, tels que Salah Abdeslam, et de Bruxelles le 11 mars 2016. On y trouve par exemple la Mosquée al Khalil, la plus grande de Belgique, où gravitent de nombreux prédicateurs bruxellois.
Avec la commune de Verviers, la Wallonie n’est pas en reste. On y trouve la mosquée Assahaba – la plus grande de la région –, tenue par les Frères musulmans. Une semaine après les attentats de Charlie Hebdo en 2015, une cellule terroriste sur le point de commettre des attentats commandités par l’État islamique avait été démantelée dans cette commune réputée pour être un haut lieu du djihadisme.
POUR : Sa richesse culturelle
À en croire le nombre d’humoristes, acteurs, chanteurs ou rappeurs francophones qui inondent nos radios et nos télés, les Français adorent les artistes belges. Et la Wallonie n’est pas en reste de talents. On peut citer l’emblématique Benoît Poelvoorde, révélé dans l’excellent C’est arrivé près de chez vous, originaire de Namur. Mais aussi les acteurs wallons Bouli Lanners, Cécile de France, Marie Gillain, François Damiens…
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Qui dit Belgique, dit aussi « 9e art ». La région a une forte tradition liée à la Bande dessinée. Si les créateurs les plus connus viennent souvent de Bruxelles, comme le grand Hergé (Les aventures de Tintin), beaucoup sont wallons comme Raoul Cauvin (Les Tuniques bleues, Sammy, Cédric). La Wallonie a une identité culturelle aux traditions populaires fortes comme les carnavals et autres ducasses – ces grandes fêtes locales. Celle d’Ath, l’une des plus célèbres, est classée au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO.
POUR : Récupérer les exilés fiscaux
Nos grandes fortunes adorent la Belgique, qui est même devenue une destination presque aussi prisée que la Suisse. Un rattachement de la Wallonie à la France permettrait de mettre la main sur certains de nos milliardaires adeptes de l’optimisation fiscale… À commencer par la famille Mulliez – prioritaires d’Auchan, Décathlon et Leroy Merlin. Plusieurs membres de la dynastie originaire du nord de la France ont choisi de s’établir dans la petite localité wallonne de Néchin située à proximité de la frontière franco-belge. De quoi leur permettre de bénéficier d’un régime fiscal plus favorable. On tenterait bien aussi de récupérer l’argent que doit le milliardaire conservateur Pierre-Édouard Stérin à la France, depuis son exil fiscal en Belgique en 2012…
POUR : Ses clubs de foot populaires
En Wallonie, le football est une institution forgée par le passé ouvrier de la région. Le Standard de Liège, avec son stade implanté à proximité des usines sidérurgiques d’ArcelorMittal le long de la Meuse, incarne parfaitement cette identité qui nous rappellerait la ferveur populaire d’un Bollaert à Lens. Bienvenue dans « l’Enfer de Sclessin » qui confère une atmosphère si particulière. On pense aussi à son rival historique, le Royal Charleroi Sporting Club, et ses joueurs du pays noir qu’on surnomme « Les zèbres ». Et puis on va s’autoriser à tricher en évoquant l’Union Saint-Gilloise dans la banlieue de Bruxelles. Ce club mythique – le plus titré de l’histoire belge – est récemment sorti d’une « traversée du désert » de 50 ans dans les divisions inférieures avant de faire son retour parmi l’élite, réveillant la ferveur populaire de ses supporteurs. Et si cette annexion avait été pensée plus tôt, Eden Hazard aurait pu jouer avec le maillot de l’Équipe de France…
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POUR : Sa gastronomie raffinée
Certains diront que les frites belges, cuites en deux temps dans de la graisse de bœuf, sont « les meilleures » au monde… Surtout lorsqu’on les accompagne par l’une des multiples sauces prévues à cet effet – mayonnaise, andalouse, samouraï, au choix. Envie de finir sur une note sucrée ? Rien de tel que la dégustation d’une fameuse gaufre liégeoise, ou Gauff’ au suc’ dans le jargon. N’oublions pas la boisson ! Plutôt blonde légère ou trappiste complexe ? La Wallonie est la région du monde qui compte la plus grande variété de bières. D’ailleurs, depuis 2016, la bière belge est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO sous le titre de : « La culture de la bière en Belgique ».
POUR : Mettre l’Europe au pas
Si Bruxelles n’appartient officiellement ni à la Wallonie ni à la Flandre, nous, on a décidé de trancher le débat national qui agite tant de passions. Vu que la capitale est en grande majorité francophone, on l’annexe aussi. Un sacré pied de nez aux institutions européennes… D’ailleurs on commencerait par remettre la langue française au goût du jour dans ces dernières – fini la domination du « globish ». On en profiterait aussi pour libérer Strasbourg du siège officiel du Parlement européen pour le déplacer à Bruxelles une bonne fois pour toutes. Reste à voir que faire de la verrue façon tour de Babel qui accueille la commission européenne et ses milliers de fonctionnaires européens. « Et pourquoi pas une prison », nous souffle-t-on.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne