« Une bombe à retardement chimique ». La fin de l’entreprise Vencorex, à Pont-de-Claix (Isère) – dont seule une petite partie de l’activité, liée aux tolonates, a été reprise, lundi 14 avril, par BorsodChem, filiale hongroise du groupe chinois Wuanhua – sème l’inquiétude quant à l’avenir du site.
Une action transversale, menée par les trois syndicats majoritaires, CFE-CGC, CFDT et CGT, France Nature Environnement 38, la SERA et l’UFC est en cours afin de mettre les industriels présents sur la plateforme face à leurs responsabilités, et d’éviter que ce soient les pouvoirs publics, et donc les contribuables, qui règlent la facture de la dépollution du site.
Pierre Janot, avocat au barreau de Grenoble et conseiller régional Les Écologistes s’est rendu sur place, mercredi 16 avril, afin d’alerter sur la pollution du site de 120 hectares et les coûts d’une sécurisation. « Le gouvernement annonce des projets sur le site, en remplacement de Vencorex. On sait que ce n’est pas possible si la dépollution ne se fait pas », explique-t-il à La Tribune.
76.500 tonnes de résidus
Pierre Janot rappelle le principe du pollueur-payeur, selon lequel c’est au responsable de la pollution (ou au proriétaire du site) de dépolluer. « Aujourd’hui, on ne peut plus éviter cette question là, vitale pour les Grenoblois. »
Selon la fiche disponible sur le site Géorisques (dont la dernière mise à jour remonte à juin 2015), le site comporterait « 76.500 tonnes de résidus dont 25.000 tonnes de déchets organiques chlorés, exploitée de 1956 à 1979, ainsi qu’une zone de stockage de terres de fouille et de déblais dont une partie contient des traces de PCB ou d’isomères HCH ». A cela s’ajoutent « des engins militaires enfouis, disséminés [qui] sont potentiellement présents dans différentes zones du site [ceux-ci ont été recensés dès 1983] ».
En 2017 un sarcophage de béton a été coulé autour des déchets. Sarcophage potentiellement devenu poreux depuis, alerte Pierre Janot, qui évoque une pollution à la dioxine. « Aucune étude connue de l’administration ne fait état d’enfouissement de déchets contenant des dioxines sur la plateforme chimique du Pont-de-Claix », a précisé cependant la Préfecture de l’Isère, interrogée par TéléGrenoble.
Mise sécurité et neutralisation des installations
La Holding Vencorex, qui détenait Vencorex France, précise quant à elle à La Tribune que « ce qui incombait de manière réglementaire à Vencorex a été fait, bien fait et validé par les autorités ». Concrètement, il s’agit de la mise en sécurité des installations, à la demande de la DREAL. Le processus a débuté début janvier avec « l’élimination des produits dangereux, la neutralisation – y compris de la canalisation d’acide chlorhydrique, le lavage des installations et leur mise à l’atmosphère ».
Au total, une quinzaine de millions d’euros ont été dépensés dans ce but par l’actionnaire principal, le Thaïlandais PTT GC. L’engrillagement des différents « carreaux » de la plateforme comportant les installations à l’arrêt, afin d’en interdire leur accès, est en cours, précise également Vencorex.
Les services de l’Etat ont indiqué s’assurer que les procédures réglementaires en matière de cessation d’activités sont correctement respectées. « Les principaux potentiels de danger ont été traités et les opérations se poursuivent », indique la préfecture de l’Isère, qui rappelle que ces opérations sont à la charge des entreprises qui en sont responsables.
« Le démantèlement n’est pas prévu dans la réglementation, note cependant le représentant de Vencorex. Les installations non reprises vont passer chez un liquidateur. Des collectivités ou des entreprises spécialisées pourront se positionner pour reprendre à bas coût les installations, valoriser ce qui est valorisable et proposer des terrains à des investisseurs ».
Selon lui, le site occupé restera du foncier industriel. Ce qui ne nécessitera pas de dépollution supplémentaire – l’essentiel de la pollution ayant lieu dans un autre espace de la plateforme.
Reste que les organisations syndicales et écologistes s’inquiètent pour la population voisine et pour les rejets et écoulements dans la rivière Drac. A Pont-de-Claix, mais également à Jarrie, selon une étude menée entre 2012 et 2022, certaines parcelles sont contaminées par la dioxine – ce qui a entraîné l’interdiction, pour les habitants, de cultiver des fruits et légumes dans leurs jardins. Les relevés de PFAS, selon les chiffres de la DREAL, révèlent que Vencorex faisait partie des principaux industriels isérois rejetant ces polluants éternels. Cependant, le document de 2023 précise : « hypothèse privilégiée que les PFAS proviennent de l’eau d’alimentation du process ».
« Un chapitre pénal peut être engagé »
Propriétaire du foncier, Solvay, et sa filiale Rhodia Chimie, ont indiqué à La Tribune assurer « un suivi permanent du site afin de garantir aux entreprises qui y travaillent, à leurs salariés et aux habitants riverains de la plateforme chimique, une protection optimale par rapport à d’éventuels rejets dus aux productions passées. »
Le groupe précise par ailleurs être « une entreprise responsable qui assume les conséquences de son passé industriel et traite les sujets de pollution (sols et nappes) en allant souvent au-delà de ce qui est requis par la réglementation ». Sans donner davantage de précisions, Rhodia Chimie a indiqué réaliser « des travaux de remédiation sur le site de Pont-de-Claix ».
La Préfecture de l’Isère, contactée également, précise que « les opérations de remédiation des pollutions historiques de la plateforme ne relèvent pas de l’entreprise Vencorex et ne seront pas impactées par la situation de l’entreprise. Les travaux engagés par la société Rhodia Chimie sur la décharge ouest, temporairement interrompus en fin d’année, vont reprendre dans les prochaines semaines. »
Syndicats et associations environnementales promettent la plus grande vigilance, face à ce qu’ils considèrent présenter un risque potentiel de scandale sanitaire. « La suite va dépendre des réponses qui nous seront données, mais nous disposons de leviers juridiques, précise Pierre Janot. Un chapitre pénal peut même être engagé, face au risque de mise en danger de la vie d’autrui, avec la dioxine ou les installations non démantelées ». La loi ALUR du 24 mars 2014 permet au préfet de se substituer au responsable de la pollution pour faire réaliser les travaux de dépollution, aux frais du responsable.