Adjoint de Mikel Arteta depuis 2021 et spécialiste des coups de pied arrêtés, Nicolas Jover s’est construit ces dernières années une solide réputation dans ce domaine, au point de devenir une référence mondiale. De quoi mettre tout le monde derrière lui à Arsenal: joueurs, coach et supporters. Focus sur la Magic French Touch des Gunners.
Sollicité pour une interview, Nicolas Jover se dit d’abord touché par l’intérêt puis décline poliment. La lumière, ce Français né il y a 43 ans à Berlin (avant de grandir dans l’Hérault) préfère la laisser aux autres. Ravi que son travail soit apprécié, amusé que ses proches puissent parler de lui mais plus à l’aise dans l’ombre à préparer sa prochaine rencontre: une demi-finale de Ligue des champions face au Paris Saint-Germain.
Un acharné de travail
Sa première année de STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) à la faculté de Montpellier semble bien loin. C’était il y a 25 ans, Nicolas Jover avait pour voisin de chambre universitaire Jonathan Llorente.
“Je me souviens de quelqu’un qui était déjà très méticuleux, très organisé”, rappelle celui qui est aujourd’hui analyste vidéo au Montpellier Hérault Sporting Club. “Sur les pauses-déjeuner, avec le groupe de potes, on allait manger au restaurant universitaire. Lui était capable de ne prendre qu’une pomme pour réviser les partiels à la bibliothèque.”
Nicolas Jover obtient son DEUG à Montpellier et file au Canada, à Sherbrooke, pour terminer sa licence “Il est ensuite revenu une année pour travailler à fond avant de retourner faire le Master là-bas”. De retour en France une fois son diplôme en poche, il s’installe en colocation avec Jonathan, alors entraineur d’une équipe de U19 nationaux à Montpellier. “Il filmait les matchs de Ligue des champions dans notre salon avec une caméra pour pouvoir travailler tout seul, tester son logiciel de montage et montrer en formation d’entraineur ce dont il était capable.”
Pendant cette formation, il rencontre Pascal Baills, qui le présentera ensuite à René Girard, entraîneur d’un MHSC de retour en Ligue 1 et en quête d’un analyste vidéo. Alors en poste, Nicolas Jover passe par son colocataire pour présenter à un agent de joueur son travail vidéo. “Je ne le connaissais pas quand Nicolas vient chez moi. On installe un rétroprojecteur et il me sort mille coups de pied arrêtés étudiés avec toute une analyse”, se rappelle Alexandre Gontran, devenu son agent. “Je me dis mais c’est quoi ça, je n’ai jamais entendu parler de ça encore et il me répond qu’un but sur trois est marqué sur phase de jeu arrêté, que c’est vraiment important, que personne ne s’y attarde complètement. Je me dis bon, il sort d’ailleurs celui-là.”
Le rugby l’inspire
Une fois le titre de champion de France obtenu avec Montpellier, Nicolas Jover change de logiciel vidéo et continuer de se perfectionner. Son travail est montré et apprécié par des coachs internationaux comme Ralf Rangnick, et Niko Kovac l’enrôle dans le staff de la Croatie pour la Coupe du Monde 2014 comme analyste vidéo.
Nicolas Jover constate alors que lors des grands rendez-vous mondiaux aussi, les coups de pied arrêtés sont essentiels. Il se persuade qu’à l’avenir un poste ne sera dédié qu’à celà alors il y consacre la plupart de son temps. Ses inspirations, l’Héraultais les puise dans des sports différents, notamment le rugby. De ses années de fac, il a gardé quelques très bons amis dont les ex-internationaux français Dimitri Szarzewski, qui vivaient ensemble étudiants et chez qui il était toujours fourré.
“On peut échanger sur tous les sports avec Nicolas. Il a plus été influencé par le rugby que nous par le foot. Je me souviens qu’il avait été frappé par la stratégie du rugby. Il était fasciné par les combinaisons en touche, il trouvait qu’au foot ce n’était pas tant travaillé et celà lui a donné pas mal d’idées”, explique l’ex-talonneur qui cherche encore à prendre sa revanche au tennis contre son ami de longue date.
Explorer d’autres horizons, c’est aussi le conseil qu’il donnait aux stagiaires de passage à Montpellier. “L’analyse vidéo était encore peu développée dans le football à ce moment donc il m’a conseillé d’aller voir ce qui se faisait dans les autres sports, de sortir de ma zone de confort”, se remémore Rudy Cuni, dernier analyste vidéo du staff de Julien Stéphan à Strasbourg et Rennes. “Encore aujourd’hui je garde ce réflexe, je reviens d’un séjour à Marcoussis avec les Bleus du rugby, je suis allé voir Béziers, le Stade Toulousain, du handball, du tennis, je suis allé aussi en Angleterre.”
Un pays dans lequel Nicolas Jover a atterri en 2016, au sein du staff de Brentford. Rudy lui avait d’ailleurs rendu visite: “A l’époque, Nico n’était pas sur le banc mais en tribunes. J’ai pu observer les résultats de son travail sur le terrain en étant à côté de lui, c’est une des premières fois où je me suis dit ‘Wow, ok, le responsable des coups de pied arrêtés peut avoir un rôle si important pendant une rencontre’. Avant le match, il m’avait dévoilé les process de communication avec son staff à l’approche d’un CPA, c’est toute une symphonie, une synchronisation qui se mettait en place, en utilisant la parole et les gestes.”
Ce sentiment son ami Yannick Nyanga l’a aussi connu en 2021. Nicolas Jover est passé de Brentford à Manchester City pour rejoindre le staff de Pep Guardiola. “On est à quelques jours du quart de Ligue des champions à Dortmund et Nico me montre une combine sur corner qui avait fonctionné à l’entrainement dans la semaine. Je regarde le match, corner pour City dans les dernières minutes, il se passe exactement ce qu’il m’avait expliqué et ils se sont qualifiés pour la demi-finale. C’était ouf de voir ça exécuté quelques jours après me l’avoir montré.” Avant d’ajouter: “C’est compliqué de rendre les choses simples, Nico est celui qui arrive à le faire. Quand il te présente des choses, ça paraît si simple que tu te demande comment ça ne peut pas déjà exister.”
“Ce sont eux qui demandent désormais à travailler les coups de pied arrêtés”
Et la recette continue de fonctionner à Arsenal, où Mikel Arteta, ex-adjoint de Guardiola, l’a ramené il y a quatre ans de Manchester City, où il l’a connu. En janvier, Nicolas Jover a prolongé son contrat avec les Gunners jusqu’en 2027, à la demande du manager espagnol, avec en plus de son travail sur les coups de pied arrêtés une mission d’harmonisation du staff “car il est très performant sur le côté humain”, souffle un proche.
D’ailleurs, au lieu de coup de pied arrêtés, il faudrait parler de phases arrêtées car Nicolas Jover est aussi en charge des touches, des tactiques sur coups d’envoi ou parfois des renvois en six mètres. Méticuleux étudiant, il l’est encore plus au fil du temps: “J’ai eu la chance de participer à une réunion technique de très haut niveau à laquelle il participait et je me suis rendu compte des détails sur lesquels il travaille”, hallucine son agent Alexandre Gontran. “Comment le destinataire d’un coup de pied arrêté va ouvrir l’épaule pour tromper l’adversaire avant de se déplacer et marquer. On parle d’ouverture d’épaule, de centimètres… c’est une chorégraphie.”
Une mise en scène répétée, malgré le peu de temps de pratique dont il dispose sur le terrain à l’entrainement. “Il a réussi à mettre tous les joueurs de son côté et ce sont eux qui demandent désormais à travailler les coups de pied arrêtés”, reprend son agent. “J’ai été joueur et même si ce n’est pas à très haut niveau, personne ne voulait travailler les coups de pied arrêtés. C’est le truc qu’on travaille à la fin de la séance pendant dix minutes quand tout le monde veut se barrer. Lui a inversé cette tendance. Il a fait comprendre que s’ils gagnaient des matchs, s’ils marquaient des points, c’est aussi grâce à ça. C’est une de ses plus grandes qualités.”
“C’est notre petit magicien”
Les supporteurs des Gunners ne s’y trompent pas. Au pied de l’Emirates Stadium, sous un tunnel long de quelques dizaines de mètres, plusieurs fresques en noir et blanc ont été peintes par un artiste local. Parmi elles, au milieu des Gabriel Jesus, Odegaard, Henry ou encore Arteta, figure Nicolas Jover, sourire aux lèvres, un poteau de corner en arrière-plan. “On appelle ça le corner de Jover”, explique Arjun, grand fan des Gunners. “Depuis qu’il est là, Arsenal marque des coups francs ou des corners. Il a apporté tellement de changements techniques et tactiques à notre façon de jouer. Par exemple, avant que Rice ne marque contre le Real Madrid, je ne me souvenais plus de la dernière fois où nous avions marqué directement sur coup franc. Tout le mérite revient donc à l’équipe, au staff technique et surtout à Nicolas Jover. Sa fresque, il la mérite amplement.”
Une petite chanson résonne également dans les tribunes de l’Emirates lorsque les matchs se retrouvent fermés: “Set piece again, olé olé” (“encore un coup de pied arrêté allez allez”). Un air que Curk, admiratif du travail de Jover, sifflote à l’entrée du stade “Nicolas Jover est notre petit magicien”, avoue ce passionné, pull des Gunners sur le dos “Il invente des petits tours et quand les gens les anticipent, il en invente d’autres. Une partie importante de notre jeu est d’inventer quelque chose de nouveau. Personne ne s’attendait à ce que Rice mette deux coups francs contre le Real. Mais vous savez maintenant que tout peut arriver la semaine prochaine que ce soit via Odegaard, Saka ou n’importe qui.”
Cette Jover-mania, Dimitri Szarzewski l’a prise de plein fouet l’an dernier. “J’ai pu me rendre à Londres pour lui rendre visite et à la sortie du stade j’ai ressenti un extrême sentiment de fierté”, raconte l’actuel entraineur des avants du Racing. “J’ai vu tant de supporters scander son nom, lui demander des autographes, des photos. Je n’avais pas l’habitude… Quand on est ensemble, avec Yannick, c’est à nous qu’on demande les photos normalement (rires). Là, on était incognito, c’était tout pour Nicolas.” Et si au milieu des Adams, Bergkamp, Chapman, Henry, Wenger, une nouvelle statue venait garnir, à l’avenir, le parvis de l’Emirates?