Maxence Cordiez : “Réindustrialiser nécessite une électricité bon marché”

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Maxence Cordiez : “Réindustrialiser nécessite une électricité bon marché”





















“Enfin, pour minimiser le coût de production, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour réduire le coût global des projets (financement, environnement réglementaire, etc.) et pour optimiser le système énergétique en le flexibilisant afin d’éviter la compétition entre différents moyens de production bas carbone.”
Artur Widak/NurPhoto

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Pour réussir la réindustrialisation, il faut garantir un accès à une électricité décarbonée et bon marché, selon notre chroniqueur Maxence Cordiez, expert associé énergie à l’Institut Montaigne. Il convient alors de réguler les prix pour équilibrer intérêts des producteurs et des consommateurs. Il faut également réduire les coûts de production de l’énergie bas carbone. Ce qui passe par une révision des régulations qui freinent les projets et par une plus grande flexibilité du système électrique.

La France et l’Europe affichent l’ambition de renforcer leur industrie, mise à mal par la Chine et les États-Unis, pour partie du fait de politiques industrielles et commerciales agressives, pour partie du fait de facteurs de compétitivité intrinsèquement favorables.

Parmi ces derniers, mentionnons le coût de l’énergie, faible aussi bien aux États-Unis qu’en Chine du fait du boom des hydrocarbures non conventionnels depuis plus d’une décennie dans le premier, et de l’abondance du charbon dans le second. Or, ce paramètre est central en matière de compétitivité. Le patron de Renault expliquait ainsi à l’été 2024 que le coût de l’énergie était deux fois supérieur à celui de la main-d’œuvre pour la production de véhicules électriques…

Régulation des énergies bas carbone, non des fossiles

Pour consolider son industrie, l’Union européenne doit donc sécuriser et minimiser son coût d’accès à l’énergie sur le long terme. Vu qu’elle ne dispose pas de ressources fossiles significatives – outre l’incompatibilité de celles-ci avec la limitation du réchauffement climatique – cela passera nécessairement par une politique ambitieuse de décarbonation de l’énergie. Sans cela, à chaque crise énergétique telles que le choc pétrolier de 2008 ou la crise gazière de 2021-2022, des pans entiers de l’industrie européenne continueront de s’éroder.

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Il convient ensuite d’adopter une régulation solide des énergies bas carbone afin de rendre leur prix prévisible sur le long terme. Cette régulation doit à la fois permettre d’assurer la couverture des coûts pour les producteurs – ce qui permet de réduire le risque économique des projets, donc le coût de leur financement – et de protéger les consommateurs des fluctuations des prix de marché. A contrario, les gouvernements européens ne doivent pas protéger les consommateurs de la fluctuation des prix des combustibles fossiles.

Une telle politique, très coûteuse pour les États, dissuade en effet les consommateurs de passer à des énergies bas carbone (électricité, biogaz…) et cultive leur exposition délétère aux combustibles fossiles. Si certains consommateurs, particuliers et industriels, doivent être aidés en période de crise, les aides doivent être ciblées en fonction de leur fragilité et ne pas être assises sur les consommations de combustibles fossiles afin de préserver l’incitation à s’en sevrer.

Une régulation performante tiendra compte des coûts de production des énergies bas carbone. Ainsi, pour que l’énergie soit compétitive, les coûts de production doivent être les plus faibles possibles. Si l’on s’intéresse à l’électricité nucléaire, qui constitue la majorité de la production électrique française, celle-ci n’est pas chère mais pas non plus très bon marché (environ 70 euros/MWh pour des centrales nucléaires amorties). Il y a plusieurs raisons à cela.

Élever le niveau de sûreté

D’une part, la réglementation française impose aux réacteurs existants de justifier d’un niveau de sûreté le plus proche possible de ce qui serait exigé d’un réacteur neuf construit aujourd’hui. Ainsi, tous les dix ans, des travaux significatifs visant à élever le niveau de sûreté sont requis sur les réacteurs du parc.

Ceux-ci ont un coût direct, celui de leur réalisation, et indirect via la perte de disponibilité qu’ils entraînent sur le parc : pour intervenir sur des réacteurs, il faut les arrêter, donc ils produisent moins. Dans les dernières années, la disponibilité du parc nucléaire français a également été affectée par des défauts génériques ayant imposé l’arrêt simultané de plusieurs réacteurs, le dernier en date étant le problème de corrosion sous contrainte pendant la crise de l’énergie.

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Si la sûreté constitue un impératif de premier ordre, une réflexion doit cependant être menée quant à l’arbitrage entre hausse du niveau de sûreté et coût de production, avec ses conséquences sur la compétitivité de l’énergie et donc de l’industrie. En effet, la sûreté ne constitue pas une approche binaire mais un continuum dont la borne haute (risque nul) se matérialise par un réacteur définitivement arrêté. Sans parler d’abaisser le niveau de sûreté, la nécessité d’arbitrer entre niveau de sûreté et coût de production ne permet donc pas d’envisager une augmentation perpétuelle et sans limite du niveau de sûreté.

Flexibiliser le système électrique

Enfin, un dernier paramètre affecte – et de plus en plus – la production nucléaire et depuis peu, la production renouvelable également : les déséquilibres offre-demande découlant notamment de l’intermittence des moyens de production renouvelables. L’an dernier, les baisses de puissance du parc nucléaire en compétition avec les énergies renouvelables ont conduit à la perte de près d’une trentaine de térawattheures d’énergie nucléaire, soit l’équivalent de la production annuelle de cinq réacteurs de 900 MW…

Flexibiliser le système électrique constitue donc une priorité absolue pour intégrer les énergies renouvelables et mieux tirer profit de l’ensemble du parc de production électrique bas carbone. Cela permettra d’augmenter la production de tous les actifs bas carbone (centrales nucléaires, éoliennes, panneaux solaires), donc d’en réduire le coût de production par MWh et de rendre in fine l’industrie plus compétitive.

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En conclusion, la compétitivité industrielle dépend en bonne partie du coût de l’énergie. Pour le minimiser dans un territoire qui n’a pas de ressources significatives en hydrocarbures, il est nécessaire à la fois de défossiliser l’approvisionnement énergétique et de réguler le prix des énergies bas carbone pour en rapprocher autant que possible le prix payé par le consommateur du coût de production afin de protéger producteur et consommateur.

Enfin, pour minimiser le coût de production, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour réduire le coût global des projets (financement, environnement réglementaire, etc.) et pour optimiser le système énergétique en le flexibilisant afin d’éviter la compétition entre différents moyens de production bas carbone. Ce n’est qu’en prenant conscience de ces enjeux que la France et l’Europe parviendront à reconstruire une industrie durablement solide.


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