La crise du Covid-19 a fait prendre conscience de la dépendance de l’Europe envers la Chine et l’Inde, tant pour ses médicaments essentiels que pour leurs leurs principes actifs. Cinq ans plus tard, la France a engagé une politique de relocalisation, notamment via un soutien financier du plan France 2030, qui a permis de favoriser des projets industriels.
« Ce sont près de 50 millions d’euros de soutiens publics qui ont été mobilisés par France 2030 pour 14 projets et pour concrétiser près de 300 millions d’investissements industriels. Les financements publics seront octroyés en contrepartie d’engagements des industriels sur une sécurisation de l’approvisionnement du marché français », précise Bercy.
Les limites d’un plan
Pour choisir les dossiers, le gouvernement s’appuie sur une liste de 42 médicaments essentiels arrêtée par les services de l’État. Une liste que la France aimerait que la Commission européenne s’approprie pour son Critical Medicines Act, la future stratégie continentale du médicament. « Ce n’est pas parce que la France voire l’Europe sort une liste de médicaments et molécules essentiels que les laboratoires vont suivre. Ce sont eux les vrais décideurs. La grosse erreur faite par le gouvernement français à ce sujet a été de penser que mettre de l’argent public suffirait, témoigne Geoffroy Waroqueaux, le président d’Interor.
« Or, changer et faire valider un nouveau fournisseur en Europe est très complexe. Ça prend en moyenne deux à trois ans et plus votre rôle approche du médicament final plus la validation est difficile. Ce sont des procédures de plusieurs centaines de milliers d’euros que les laboratoires, ou leurs sous-traitants, les CDMO, n’ont pas forcément envie de faire. »
Il existe environ 7 000 principes actifs, il faut regarder ceux qui sont stratégiques pour l’Europe. Donc la relocalisation oui, mais pas pour tout.
Cette société de 160 salariés basée à Calais (Pas-de-Calais) est spécialisée dans la production d’intermédiaires avancés, la matière première des principes actifs, eux-mêmes matières premières des médicaments. Interor fait ainsi partie des 14 projets accompagnés par l’État pour démarrer dans son usine d’ici l’été 2026 la production de 10 nouveaux intermédiaires avancés. La société va investir 22 millions d’euros dans ce projet et créer 30 emplois avec une aide de quatre millions d’euros de l’État. Pour ces acteurs, comme les producteurs de principes actifs, leur compétitivité sur le marché passera avant tout par l’innovation.
« Malgré les besoins de transformation qu’Euroapi connaît, nous continuerons à investir. Nous nous concentrons sur des principes actifs complexes à fabriquer, avec parfois jusqu’à 20-30 étapes de fabrication, à plus forte valeur ajoutée et par conséquent des niveaux de marge plus en adéquation avec notre industrie et notre ambition. En parallèle, nous allons arrêter la production de 13 principes actifs, sur les 200 que compte notre portefeuille.
Il s’agit de molécules plus simples, pour lesquelles nous ne sommes plus compétitifs, les laboratoires les achetant en Asie. Ultérieurement, d’autres principes actifs pourront venir compléter notre offre. Il existe environ 7 000 principes actifs, il faut regarder ceux qui sont stratégiques pour l’Europe. Donc la relocalisation oui, mais pas pour tout », appuie David Seignolle, le directeur général d’Euroapi.
Le recul de la recherche
Si l’attention est portée sur la concurrence asiatique, de nombreux acteurs de la filière estiment que la concurrence à l’industrie pharmaceutique française est avant tout intra-européenne. En cause ? Avant mise sur le marché, chaque médicament doit présenter un double sourcing sur ses principes actifs et ses intermédiaires avancés.
« Les laboratoires choisissent un pôle de production par continent dans le sourcing de leurs médicaments. Vous en avez forcément un situé en Asie, l’enjeu est donc d’être celui pour le continent européen. Nos compétiteurs, ce ne sont pas la Chine et l’Inde, mais l’Allemagne, la Suisse ou encore l’Espagne », met en lumière Pascal Le Guyader, directeur général adjoint du LEEM, le syndicat des entreprises du médicament en France, qui signale que l’Hexagone est désormais la cinquième puissance pharmaceutique européenne alors qu’il était numéro un en 2008.
Nous sommes interrogatifs sur l’avenir de la production en France.
Pour lui, cette dégringolade s’explique en partie par le recul de la recherche clinique en France. « Il y a un continuum entre la recherche clinique et la production. Si nous priorisons la recherche clinique, alors nous aurons plus de chances d’obtenir la production des lots commerciaux. Par ailleurs, la France doit se positionner sur les lots dans le domaine des thérapies cellulaires ou géniques. Ce sont des productions à forte valeur ajoutée », poursuit le représentant de la filière.
Pour illustrer cette perte de vitesse, le LEEM oppose les 40 autorisations de mise sur le marché (AMM) obtenues par la filière française ces cinq dernières années, aux 431 délivrées en Europe, dont 126 rien que pour l’Allemagne. Le syndicat s’inquiète de l’équilibre économique précaire des 256 sites de production de médicaments recensés en France, en raison de la régulation tarifaire du médicament dans le pays.
Des prix trop bas ?
« Nous sommes interrogatifs sur l’avenir de la production en France », embraye Laure Lechertier, directrice de l’accès au marché et de la RSE chez UPSA, qui emploie 1 700 collaborateurs à Agen (Lot-et-Garonne). « Une politique du prix extrêmement basse couplée à une hausse des coûts de production est un élément structurel de délocalisation de la production pharmaceutique », ajoute la dirigeante qui met en avant les 14 millions d’euros d’inflation sur la production d’UPSA en France en 2022 et 2023.
UPSA, qui va se fournir en paracétamol français pour ses médicaments à destination du marché français à compter de fin 2026 (asiatique et américain auparavant), souhaite un retour sur investissement face au surcoût opéré. « Le prix des médicaments doit prendre en compte le fabriqué en France et ses externalités positives comme un bilan carbone amoindri, mais aussi l’assurance d’un approvisionnement des matières premières sans rupture », milite Laure Lechertier.
Sera-t-elle entendue par le Comité économique des produits de santé, qui fixe les prix du médicament dans le pays ? Plus qu’industriel, le prix est un enjeu de santé publique à en croire une récente étude du Conseil d’État : « Les prix de vente des médicaments en France sont parmi les plus bas d’Europe […] Dans un contexte mondial de hausse de la demande, le marché français n’est donc pas le premier servi. »
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Pierrick Merlet