Il y a cinq ans quasiment jour pour jour, elle portait pour la dernière fois le maillot de l’équipe de France. Installée depuis septembre dernier en Arabie Saoudite où elle porte les couleurs du promu d’Al-UIa, Sarah Bouhaddi suit toujours avec autant de passion et d’attention l’évolution des Bleues. Très rare dans les médias, l’ancienne gardienne de buts de l’OL et du PSG s’est livrée pendant près de 45 minutes avec sincérité et recul sur ces derniers mois, son départ pour le championnat saoudien, et cet amour pour le maillot bleu. Entretien exclusif.
Cela fait environ six mois environ que vous évoluez en Arabie saoudite avec le club d’Al-Ula: comment ça se passe?
Cela se passe bien. Après, pour être tout à fait honnête, ce n’était pas ma première destination au départ car je voulais rester en Europe et surtout près de ma famille et ma maman qui a quelques problèmes de santé. Je ne voulais pas partir loin de la France. J’avais normalement un accord avec Tottenham quelques jours avant la fin du mercato, et c’est tombé à l’eau parce que la Ligue anglaise ne me donnait pas le visa de travail. Et j’ai reçu un appel de Bruno Valencony (ancien entraineur des gardiennes de l’équipe de France) qui me dit qu’un club saoudien, Al-Ula, cherche une gardienne. Ils sont revenus à la charge, ils voulaient vraiment que je vienne. Cela a été très rapide.
Après la pige à Arsenal, vous sentiez que vous aviez encore à donner au football?
Pour moi c’était impossible d’arrêter. Au Paris Saint-Germain, j’avais signé un contrat d’une saison et une en option. Pour prolonger, il fallait se qualifier pour la Ligue des champions. Pour moi, c’était finir dans les trois premiers. Mais j’ai appris par mon entraineur de l’époque qu’il fallait en réalité être champion de France. Il y a eu une incompréhension sur les clauses de mon contrat. Je me suis retrouvée sans club en juin. Les clubs ont déjà leurs gardiennes à cette période de la saison. Tout était fermé. J’avais énormément envie de jouer. Je suis restée très longtemps sans jouer jusqu’à décembre. Et là j’ai vécu l’une des périodes les plus dures de ma carrière. Rester huit à neuf mois sans jouer, je n’étais pas prête psychologiquement, ni physiquement. Je n’étais pas prête à m’arrêter. Et c’est pour cela que j’ai accepté d’aller à Arsenal, et accompagner l’équipe pendant la période de blessure de leur gardienne. Cela a été une vraie bouffée d’oxygène, et cela m’a prouvé que je n’étais pas prête à arrêter.
“En Arabie saoudite, le football féminin manque encore de médiatisation, mais cela peut aller très vite”
Vous avez connu des clubs comme Lyon, Paris, ou Arsenal… quels sont les moyens à la disposition de l’équipe féminine?
C’est un club promu qui a besoin de se structurer. On est basé à Médine pour avoir des infrastructures. Le club veut revenir à Al-Ula dans le futur et souhaite construire son propre centre d’entrainement car pour l’instant on partage parfois les terrains d’entrainement avec d’autres entités de Médine. Mais je le savais avant d’arriver. Dans mon équipe, il y a des joueuses qui sont professionnelles depuis seulement deux ou trois ans. Parfois, il faut les accompagner sur le plan tactique. Mais le football féminin s’ouvre ici, cela peut aller très vite.
Quel est le niveau du championnat, composé désormais de 10 équipes?
Il y a du boulot, il faut être honnête. Surtout pour les Saoudiennes. A mon poste je suis autant sollicitée qu’une gardienne en Europe, que ce soit sur mon jeu au pied, mes sorties aériennes, ma gestion de la profondeur et les frappes. Après il y a une règle spécifique pour les joueuses internationales. Chaque équipe ne peut en aligner que cinq sur le terrain. Parfois, je ne joue pas quand on joue face à des équipes supposées plus faibles pour mettre cinq joueuses de champ étrangères. Mais ce qui m’a le plus frappé : elles ont vraiment envie d’apprendre, elles veulent découvrir le haut niveau, elles ont ça en elles et apprennent très vite. Pour être honnête, quand je suis arrivée ; lors des premiers entrainements je me disais qu’il y avait du boulot. Et ensuite techniquement, les joueuses ont vraiment progressé. Le problème c’est que personne ne les a jamais vraiment accompagnées avant. Comme certaines ont commencé il y a quelques années, c’est normal. C’est comme nous en France, il y a vingt ans quand on parlait de la Ligue américaine comme le championnat de référence.
Vous avez dû arriver avec une certaine pression?
Ce qui est drôle, c’est que certaines ne me connaissaient pas du tout ! Je ne sais pas si c’est parce qu’elles ne s’ouvrent pas au foot mondial. Elles vont reconnaître Marta par exemple, mais les grandes joueuses il faut leur montrer sur les réseaux pour qu’elles se rendent compte de qui est qui. Je suis arrivée comme quelqu’un de lambda, et c’était très bien.
Les stades sont-ils pleins lors des matchs de championnat?
Non ce n’est pas toujours plein. C’est la seule chose qui nous manque : les supporters. On a surtout des supporters locaux mais très rarement plusieurs milliers de spectateurs en tribunes. Le championnat féminin manque encore de médiatisation. Mais les terrains ce sont des billards, les conditions de jeu sont incroyables. C’est parfois mieux que ce que l’on peut avoir en Europe. Parfois je me promène à Médine, les gens me reconnaissent car ils savent que je suis la gardienne d’Al-Ula. Je pense que quand la médiatisation sera meilleure, ce ne sera que profitable pour le football féminin.
“Même si le pourcentage est minime de porter à nouveau le maillot bleu, c’est ce qui m’anime aujourd’hui”
Le niveau du championnat n’est pas le même que ce que vous avez pu connaître par le passé, vous vous imposez au quotidien une exigence extrême pour rester au haut niveau?
Tant que je n’aurai pas annoncé ma fin de carrière en club, je garderai toujours dans un coin de ma tête l’équipe de France. Je ne m’arrête pas à ce que l’on peut dire sur mon âge ou sur le niveau du championnat dans lequel je suis. Tous les jours je m’impose la même exigence. J’ai mes séances de musculation, mes individuelles avec l’entraineur des gardiennes. J’ai toujours eu la même exigence dans tout ce que je fais : que je joue aux cartes ou au bowling, j’ai toujours envie de gagner. Ce n’est pas parce que je joue en Arabie saoudite que je dois tomber dans une routine de pré-retraite si je peux dire ça comme ça. Même si le pourcentage est minime de porter à nouveau le maillot bleu, c’est ce qui m’anime aujourd’hui.
Vous avez été élue quatre fois meilleure gardienne du monde au cours de votre carrière. A 38 ans, avez-vous encore en vous ce rêve de porter à nouveau le maillot bleu?
J’ai eu la chance de porter ce magnifique maillot. J’ai vécu de très beaux moments comme de moins beaux, cela fait partie d’une carrière. Quand j’étais jeune et que j’étais à Clairefontaine, j’avais la chance de voir ce qui se passait à l’entrainement des A, j’observais tout ça du bord du terrain Platini. Là c’était un rêve d’être en équipe de France, aujourd’hui c’est plus un objectif. J’ai fait un choix à l’époque par rapport à la sélectionneure, car je n’étais pas en phase. Ce choix m’appartenait, je ne le regrette pas. Mais après il y a la façon de l’avoir dit, je me suis peut-être mal exprimée. Mais quand j’ai pris cette décision, Corinne Diacre et le président Noël Le Graët étaient au courant. Sur le moment, on ne s’en rend peut-être pas vraiment compte car on manque de recul, mais on vit tellement mal la situation que l’on a besoin de s’exprimer. On le fait peut-être mal. Avec le recul, je me dis que j’aurais pu peut-être le faire différemment, et peut-être que je serais revenue plus tôt. Il y a eu deux sélectionneurs entre temps, aucun des deux ne m’a appelée. Mais je ne regrette pas de m’être écartée car lors d’un de mes derniers matches, il m’est arrivée de pleurer à l’échauffement avec Gilles Fouache parce que j’avais passé une semaine mentalement très difficile. J’ai craqué, je me suis dit tu n’as rien à faire ici. Je joue au foot parce que j’aime le foot, et j’aime partager avec mes coéquipières et le staff. Je ne sais pas faire semblant. Cela m’a fait défaut par le passé, mais en tout cas je suis moi-même. C’est à moi de grandir sur la façon de faire les choses. C’est pour ça que j’ai encore envie de retourner en sélection parce que je vois cette équipe, cette génération que je connais parce que j’ai côtoyé des joueuses. Je sais leurs qualités, le niveau de cette équipe de France, et je vois l’enthousiasme qu’il y a dans cette sélection. J’ai envie de partager ça. Cette équipe a les capacités d’aller chercher un titre.
Cela fait cinq ans que vous n’avez pas été convoquée. Il y a eu deux changements de sélectionneur entre temps, croyez-vous que c’est envisageable?
Je ne suis pas là pour demander un poste de numéro 1 ou autre. J’entends parfois “tu ne peux pas être sur le banc avec ton caractère. Si on te fait venir, il faut te faire jouer”. Je suis réaliste, je pars de tellement loin avec la sélection aujourd’hui, cela va bientôt faire cinq ans que je n’ai pas été convoquée. Dans un premier temps, Laurent Bonadéi m’a dit également de rester mobilisée et concentrée en cas de blessure d’une des gardiennes du groupe. Je lui ai dit que je ne réclamais rien, mais juste avoir la chance une fois d’être dans le groupe.