Renaud-Philippe Garner : “La gouaille n’est pas moins française que le prix Goncourt”

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Renaud-Philippe Garner : “La gouaille n’est pas moins française que le prix Goncourt”





















« Si la France est millénaire, si on peut dire qu’elle est éternelle c’est aussi parce que malgré ses désaccords, amers et parfois sanglants, ce qui fait corps dépasse l’idéologie ».
Denis Meyer / Hans Lucas

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Renaud-Philippe Garner, docteur en philosophie, s’attache à fournir quelques éléments de réponse à la question lancée par le Premier ministre François Bayrou, et qui fera l’objet de conventions citoyennes décentralisées dès le premier semestre de l’année 2025 : « Qu’est-ce qu’être français ? »

Qui sommes-nous ? Alors que le gouvernement Bayrou relance le débat sur l’identité nationale, demandons-nous pourquoi ce débat semble indépassable. Il se trouve que la question de l’identité collective n’admet pas de démonstration arithmétique : elle exige une conversation constante entre les générations. Un peuple averti doit se percevoir et se jauger honnêtement dès qu’il aspire à l’autodétermination.

Car pour se mobiliser, subir, voire accepter de se sacrifier, ce fameux « nous » doit être bien plus qu’un artifice linguistique. Travailler et transmettre ensemble suppose d’être liés. Comme l’écrivait Walker Connor, la nation, c’est « la famille pleinement élargie ».

Une nation : un monde à part entière

Il faut donc se demander ce qu’est une nation. La réponse définitive est complexe, mais nous pouvons aisément nous défaire de certaines erreurs. Une nation n’est ni un syndicat ni un quartier : elle ne se résume pas à un régime. La nation est une communauté intergénérationnelle qui va du berceau au tombeau : elle a un passé, elle vit au présent et se projette dans le futur.

Elle regroupe des enfants qui balbutient une langue qu’ils ne maîtrisent pas encore et des vieillards qui l’oublient déjà. Peu importe son art ou son métier, peu importe sa foi, ou sa couleur politique, la patrie représente un foyer commun et partagé. La nation est bien plus qu’une simple communauté : il s’agit d’un monde à part entière.

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Par conséquent, la France ne se limite ni au château de Versailles ni au PalaisBourbon, ni à ses racines chrétiennes ni au serment du Jeu de paume. Une vision honnête de l’identité française admet qu’il s’agit de la demeure partagée de Clovis et de Coluche, de Mazarin et de Mitterrand, de Zola et de Zidane. Ainsi, cette vaste et riche identité ne doit pas être confondue avec celle d’un régime ou d’une idéologie. L’État français a beau aujourd’hui être républicain, il ne l’a pas toujours été et son avenir reste à écrire.

Si la nation représente un monde à part entière, c’est justement parce qu’elle crée un commun qui transcende les classes, les identités professionnelles et confessionnelles. Tom Nairn avait bien raison d’affirmer que la nation est une « communauté interclasse », mais il avait tort de négliger qu’elle transcende plusieurs différences sociales.

Culture élitiste et culture populaire

La France a bien sûr ses héros politiques et militaires puisqu’elle doit se gouverner et se défendre. Son histoire regorge de chefs de guerre et de dirigeants politiques. De Charlemagne à Clemenceau, de du Guesclin à de Gaulle, en passant par Richelieu, Vauban et Napoléon, celui qui entend prendre part à la dimension régalienne de la vie nationale n’a pas l’obligation d’émuler un ancêtre en particulier, mais il n’est pas libre de les rejeter en bloc. Français est celui qui s’inscrit dans une tradition millénaire.

Mais un monde c’est bien plus que la politique. La vie collective regorge d’arts et de métiers qui la façonnent et la colorent. Depuis des siècles, la littérature occupe une place centrale en France. Que l’on pense à Ronsard ou Rabelais, Corneille ou Racine, Hugo ou Flaubert, Rostand ou Céline, maîtriser la langue française est un exercice sans cesse admiré et sans cesse renouvelé.

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Et pourtant, il ne faut pas confondre la littérature française avec les choix des élites ou les préférences d’une classe dirigeante. Molière, aujourd’hui applaudi et loué, représentait, à l’époque, un théâtre populaire. Astérix, ce petit Gaulois qui incarne tant l’esprit français, devint également le nom du satellite qui fit de la France la troisième puissance spatiale. Nul besoin de faire de Brassens ou de Louane des académiciens pour constater leur place dans le quotidien des Français. Cet alliage savant entre culture élitiste et culture populaire, entre l’approbation des grands et les vivats des plus modestes, est indépassable. La gouaille n’est pas moins française que le prix Goncourt.

Entre ombre et lumière

Ni rabougrie ou cosmopolite, l’ouverture française est millénaire tout en étant exigeante. Né dans les Abruzzes et après une vie au service de la France, c’est à Paris que Mazarin désire être enterré. Né étranger, Gambetta se donnera tant à la France qu’il repose aux Invalides. Fuyant le racisme de son pays natal, Josephine Baker s’agrégera au peuple français au point de reposer dignement au Panthéon.

Apollinaire, né Guglielmo Alberto Vladimiro Alessandro Apollinaire de Kostrowitzky à Rome, mourra en 1918, portant l’uniforme français. Si l’on juge qu’Apollinaire était devenu français, c’est parce qu’il s’est assimilé à sa culture et qu’il s’appropria brillamment sa langue. N’oubliez pas qu’en 1914, Apollinaire ne put s’engager : il dut attendre sa naturalisation en 1916. Seule l’administration publique pouvait ignorer qu’il s’agissait déjà d’un Français.

Aujourd’hui, parler d’identité, c’est souvent parler de culpabilité. On reproche à la France, comme à bien d’autres nations, de vieux crimes. Certains résument la France en invoquant Vichy et la guerre d’Algérie comme d’autres réduisent l’Allemagne au nazisme ou la Grande-Bretagne à la grande famine irlandaise.

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Ce genre de raisonnement fait vite naufrage. On ne peut prétendre, par exemple, que la France naît en 1789 et lui reprocher le projet colonial de la Nouvelle-France entrepris en 1534 ou encore les Croisades commencées en 1096. Bref, la repentance si grossièrement affichée est souvent incompatible avec une identité fondée par la Révolution française.

On ne peut conspuer l’assimilation et vanter une identité purement institutionnelle. Si l’identité française n’était que politique, alors la question des ancêtres, des mœurs et des racines serait insensée. Reprocher à l’assimilation une violence culturelle et symbolique n’a de sens qu’à partir du moment où l’identité nationale comporte nécessairement une part ethnoculturelle.

En somme, même dresser une liste des crimes d’une nation suppose une conception de l’identité plus complexe et riche que la vénération d’un régime. Si la France est millénaire, si on peut dire qu’elle est éternelle, c’est aussi parce que malgré ses désaccords, amers et parfois sanglants, ce qui fait corps dépasse l’idéologie. Voyez Blum qui admirait Barrès ou encore Aragon qui signa La Rose et le Réséda. Être français, finalement, c’est reprendre Charles Péguy : « La République une et indivisible, c’est notre royaume de France ».


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