Les industriels allemands ont peut-être trouvé une porte de sortie à la crise automobile. Rheinmetall premier fabricant européen de munitions, a annoncé la semaine dernière qu’il allait réorienter la production de deux usines actuellement consacrées aux pièces automobiles essentiellement vers des équipements de défense. Hensoldt, qui fabrique les systèmes de radar TRML-4D utilisés par l’Ukraine face à la Russie, négocie le recrutement d’environ 200 employés auprès des équipementiers automobiles Bosch et Continental. Enfin, l’équipementier ZF Friedrichshafen, actuellement en pleine restructuration, est en contact avec des entreprises de la défense en vue de transferts de personnel, a-t-il dit, évoquant des « synergies industrielles ».
« Nous profitons des difficultés du secteur automobile », a dit à Reuters le président du directoire d’Hensoldt, Oliver Dörre, ajoutant que de nouveaux investissements pourraient plus que doubler la production annuelle du TRML-4D pour la porter entre 25 et 30 unités.
Et pour cause, alors que Volkswagen va fermer plus de 35 000 emplois d’ici à 2030, soit environ 10 % des troupes du groupe en Allemagne, faute de demande, le secteur de la défense risque d’avoir beaucoup de travail ces prochains mois.
L’Allemagne veut se réarmer à toute vitesse
Cette dynamique nouvelle vient des récentes annonces des pays européens. Alors que les États-Unis de Donald Trump ont gelé leur aide militaire à l’Ukraine et exigent des pays européens qu’ils assument le fardeau financier de leur propre défense, les spécialistes de l’armement en Allemagne s’efforcent d’accroître leur production, des chars aux systèmes de radar.
L’initiative vient aussi des politiques. Les dirigeants des Vingt-Sept doivent participer ce jeudi à un sommet extraordinaire à Bruxelles au cours duquel ils devraient débattre des propositions dévoilées mardi par la Commission européenne pour mobiliser jusqu’à 800 milliards d’euros pour ce réarmement, notamment via un emprunt communautaire de 150 milliards d’euros.
Mardi, les partis conservateur et social-démocrate allemands, qui négocient la formation du futur gouvernement, ont annoncé vouloir réaliser des investissements sans précédent de plusieurs centaines de milliards d’euros pour renforcer la défense et l’économie du pays. Ils souhaitent notamment parvenir à la création d’un fonds de 500 milliards d’euros en faveur des infrastructures et à un assouplissement du frein constitutionnel à l’endettement afin de pouvoir investir massivement dans la défense.
Les actions de la défense s’envolent en Bourse
Ces annonces de centaines de milliards de dollars ont fait flamber les actions des groupes d’armement comme Rheinmetall, ThyssenKrupp, Hensoldt et Renk qui gagnaient entre 8 % et 14 % mercredi matin à la Bourse de Francfort, alors que le secteur européen de la défense ne cesse déjà de grimper depuis le début de la semaine.
Et pour cause, le centre de réflexion Bruegel estime que les armées européennes pourraient avoir besoin de 300 000 soldats supplémentaires et d’une augmentation annuelle des budgets militaires d’au moins 250 milliards d’euros « pour dissuader la Russie d’une agression ». Un tel essor de l’industrie de défense pourrait opportunément donner une nouvelle impulsion à l’économie allemande, désormais parmi les moins dynamiques d’Europe en raison, notamment, de coûts de l’énergie élevés et d’une concurrence internationale plus intense sur ses traditionnels points forts.
L’institut de Kiel pour l’économie mondiale (IfW) estime que le produit intérieur brut (PIB) de l’Union européenne pourrait augmenter de 0,9 % à 1,5 % par an si les États membres portaient leurs dépenses militaires à 3,5 % de leur PIB, contre un objectif actuel de 2 % au sein de l’Otan, et favorisaient l’acquisition d’équipements européens. « À moyen et long termes, l’histoire économique américaine en particulier a montré que de telles dépenses militaires pouvaient avoir un puissant effet en termes de gains de productivité, de retombées et de progrès technologiques », a déclaré Johannes Binder, de l’IfW.
Un rebond industriel à nuancer
Si l’Allemagne portait ses dépenses de défense à 3 % de son PIB, cela ferait plus que doubler ses investissements annuels en la matière à 25,5 milliards d’euros, créerait 245 000 emplois directs et indirects et générerait près de 42 milliards d’euros d’activité, en matière de production et de services, chaque année, selon le cabinet EY. « Nous devons considérer l’industrie de défense comme un moteur économique pour l’Allemagne, a dit Oliver Dörre d’Hensoldt. Le secteur va jouer un rôle plus important que par le passé. »
Mais ces chiffres sont à remettre en perspective au regard du déclin de l’automobile. Les statistiques disponibles les plus récentes montrent que le secteur allemand de la défense employait 387 000 personnes en 2022, soit environ la moitié des effectifs de l’industrie automobile cette année-là. Le chiffre d’affaires total des entreprises du secteur était de 47 milliards d’euros cette même année, contre 506 milliards pour l’automobile.
Surtout, les analystes de Deutsche Bank ont prévenu dans une note publiée le mois dernier que l’augmentation des budgets de défense en Europe n’allait pas forcément profiter de manière significative aux acteurs locaux, le secteur européen étant plus fragmenté que son homologue américain. Dans son rapport rendu l’an dernier sur la compétitivité en Europe, l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi a rapporté que, entre mi-2022 et mi-2023, près de quatre cinquièmes des achats d’équipements militaires au sein de l’UE avaient été effectués auprès de fournisseurs non-européens.
(Avec agences)
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