Bruno Retailleau est par monts et par vaux. En campagne pour la présidence de LR, le ministre de l’Intérieur sillonne le pays à la rencontre des 121. 617 adhérents de son parti appelés aux urnes les 17 et 18 mai, tout en continuant à gérer ses dossiers Place Beauvau. Que changerait son élection ? Il répond à La Tribune Dimanche.
LA TRIBUNE DIMANCHE — Si les adhérents LR vous choisissent pour président le 18 mai, quelle sera la première décision que vous prendrez ?
BRUNO RETAILLEAU — Je rendrai Les Républicains à ses militants, c’est‑à-dire que j’introduirai de la démocratie avec des référendums internes. Je constituerai aussi une équipe dirigeante renouvelée parce que je pense que le parti a mal vieilli, s’est replié sur lui-même, a oublié de réfléchir et de proposer des idées neuves.
Je veux créer un grand parti moderne, c’est‑à-dire adapté à la France d’aujourd’hui, populaire parce que notre vocation est de nous adresser à tous les Français qui partagent nos convictions, et enfin patriote parce que ce sont nos racines. En tant que gaullistes, nous devons être les premiers militants de la fierté française. Aucun défi demain ne sera relevé si les Français ne croient pas en la France. On peut déplacer des montagnes quand on a foi en son pays.
Votre première décision ne sera donc pas de démissionner du gouvernement…
Cette décision de participer au gouvernement n’avait rien d’évident. Elle a été collégiale, car si la droite avait claqué la porte, Emmanuel Macron n’aurait pas eu d’autre choix que de donner les clés du gouvernement de la France à la gauche mélenchonisée. Or, quand on est de droite, on fait barrage à cette gauche-là. J’ajoute que lorsque l’on aime son pays, que l’on voit la France au bord du chaos, on ne fuit pas ses responsabilités.
Alors, évidemment, aujourd’hui les conditions politiques ne sont pas idéales puisqu’il n’existe pas de majorité à l’Assemblée nationale. Mais tant que je pourrai être utile à mon pays, je ferai mon devoir et donnerai le meilleur de moi-même. Cette semaine, a été définitivement voté le texte qui va tout changer en matière de combat contre le narcotrafic, que j’avais initié au Sénat.
Cet hiver, j’ai réformé la circulaire Valls. En mars, nous avons obtenu que la directive retour, qui actuellement donne le choix au clandestin de rester sur notre territoire ou de partir, soit profondément remaniée par la Commission européenne afin d’inverser la logique de l’éloignement forcé. La confiscation des véhicules utilisés lors des rodéos a augmenté de 65 %… Je pense que les Français qui votent à droite comprennent et soutiennent mon action, tout en étant parfaitement conscients des difficultés du contexte politique.
Cette élection va reconfigurer non seulement la droite française, mais aussi le paysage politique français
Que changerait votre statut de président des LR au sein du gouvernement et plus largement du socle commun ?
Cette élection va reconfigurer non seulement la droite française, mais aussi le paysage politique français. J’en suis persuadé. J’ai choisi de ne pas faire de l’eau tiède. Lorsque je mets sur la table des propositions claires et fermes sur l’immigration ou la sécurité, il n’y a pas seulement 70 ou 75 % des Français de droite qui les soutiennent, mais beaucoup d’électeurs qui votaient à gauche également.
Nous pouvons donc, au-delà même de notre famille politique, rassembler de nombreux Français sur une politique de la majorité nationale, comme disait le général de Gaulle. Tant de gouvernements ont fait une politique des minorités, s’adressant au peuple de France comme à des clientèles successives en le découpant en tranches ! Moi, je veux que le projet de société que nous allons construire s’adresse à tous nos compatriotes : parlons aux Français comme à un seul peuple.
Qu’est-ce qui pourrait remettre en question la participation des Républicains au gouvernement ?
Si nos convictions essentielles étaient atteintes et des intérêts fondamentaux de notre nation contrariés… Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Et les électeurs de droite ratifient notre choix. À l’occasion de la demi-douzaine d’élections législatives ou municipales partielles, LR est le parti qui a le plus progressé.
Le gouvernement a lancé les débats budgétaires. Les marges de manœuvre de la France sont extrêmement limitées. La droite peut-elle poser des lignes rouges ? Si oui, lesquelles ?
Je ne veux pas raisonner en termes de ligne rouge, mais j’ai une certitude : il nous faut sortir des deux mensonges de la gauche. Le premier a été de dire que la dépense publique créait la croissance. En réalité, c’est l’inverse. Le second a été de prétendre qu’en travaillant moins on se porterait mieux, alors que cela a appauvri la France et les Français.
Aujourd’hui nous comptons 3 .300 milliards de dette et en deux ans un quart des Français ont été rattrapés par le smic. Tout cela a nourri un terrible sentiment de déclassement et même de frustration. Pour reconstruire une prospérité collective, française et individuelle, il faudra se servir à la fois du frein et de l’accélérateur.
C’est‑à-dire ?
Le frein, c’est de réduire les dépenses publiques. Avant d’aller faire les poches des Français, c’est à l’État bureaucratisé de se serrer la ceinture, et il y a de la marge. Depuis 2021, les dépenses de l’État ont augmenté de 100 milliards. L’accélérateur, c’est d’investir pour favoriser la croissance potentielle de demain. C’est ce qui nous permettra de faire diminuer vraiment la dette et de donner aux Français plus de pouvoir d’achat.
Nous devons redevenir une nation d’ingénieurs
Cela signifie travailler plus, baisser le niveau des charges sociales salariales, créer une allocation sociale unique en plafonnant le total et encourager l’investissement pour relancer la compétitivité, notamment pour utiliser tous les avantages de l’IA et des nouvelles technologies au sein des entreprises.
Notre offre de travail doit être plus qualifiée. Nous devons redevenir une nation d’ingénieurs. L’école a été le grand échec français quand on voit que, de tous les pays européens, c’est en France que la réussite des élèves dépend le plus de la situation sociale des parents. Sa refondation doit être notre priorité.
Êtes-vous surpris par le ton de Laurent Wauquiez lors de cette campagne ?
Quand j’ai décidé d’être candidat, je savais que ce serait difficile, car lorsque vous êtes ministre de l’Intérieur, vous êtes exposé. Mais je me suis astreint dès le départ à une discipline : ne jamais laisser sortir de ma bouche la moindre petite phrase. Donc j’ai refusé de répondre aux attaques parce que les guerres des chefs ont coûté très cher à notre famille politique. Par ailleurs, quand on fait campagne, on doit le faire généreusement, en présentant d’abord ses idées, en disant qui on est et ce que l’on veut faire. On n’a pas besoin d’abîmer son concurrent pour essayer de se rehausser.
Laurent Wauquiez vous reproche d’abord de ne pas être suffisamment libre en raison de votre présence au gouvernement. Que lui répondez-vous ?
Je ne suis pas certain que depuis le début de la Ve République il y ait eu un ministre de l’Intérieur à la parole plus libre. Il suffit de voir les polémiques qu’ont parfois suscitées mes prises de position. Je parle clair parce que les Français ne supportent plus ces responsables politiques qui veulent contourner la réalité et parfois même la dissimuler. Ma sincérité est ma force. Et c’est la condition d’une parole publique qui porte et qui agit.
Vous opposerez-vous en tant que ministre de l’Intérieur, donc chargé des élections, comme vous le demande Laurent Wauquiez, à la mise en place de la proportionnelle aux législatives qui est désirée par François Bayrou ?
Nous avons toujours été clairs : la proportionnelle est une mauvaise chose parce qu’elle consisterait à pérenniser l’instabilité. Celle-ci est aujourd’hui conjoncturelle, après notamment cette inexplicable dissolution. Il est hors de question de permettre qu’elle devienne structurelle grâce à la proportionnelle. Je l’ai dit à François Bayrou et c’est d’ailleurs aussi la position de Gérard Larcher, le président du Sénat. Georges Mandel disait qu’elle était le seul mode de scrutin qui permet aux battus d’être élus.
Si vous l’emportez, que proposerez-vous à Laurent Wauquiez ?
De l’associer, bien entendu, à la gouvernance de notre famille politique, parce que le gagnant aura un devoir : rassembler. Mais cela se fera sur une ligne claire et en changeant tout, du sol au plafond.
Comment souhaitez-vous que Les Républicains désignent leur champion pour la présidentielle ?
Ce seront les adhérents du parti, par leur vote, qui le décideront, et non pas quelques chapeaux à plumes. Je crois à la démocratie interne.
En vue des municipales de l’an prochain, beaucoup d’élus ou de candidats LR désirent faire alliance avec le centre et les macronistes. Comment allez-vous l’assumer tout en voulant incarner une ligne indépendante pour la présidentielle ?
Évoquer les alliances avant le projet, c’est prendre le sujet à l’envers. La droite l’a trop souvent fait. Trouvons d’abord de nouvelles idées, identifions les nouveaux talents qui doivent permettre de créer une vague bleue aux prochaines municipales. Une chose est sûre : notre priorité devra être de reconquérir les villes passées aux mains de la gauche et des écologistes.
Je veux reconstruire la droite, et pour cela, faire revenir à nous ceux que nous avons déçus
Rachida Data serait-elle une bonne candidate aux municipales à Paris l’an prochain ?
Je ne veux pas pour l’instant me prononcer sur des candidatures. Comme je dis toujours : colline après colline…
Quel rapport faut-il construire avec Édouard Philippe dans les deux ans
à venir ?
Entre nous, les divergences ont été parfois profondes. Nos choix n’ont par exemple pas été les mêmes en 2017. Malgré tout, nous avons l’un pour l’autre estime et respect. Pour autant, la grande différence entre lui et moi, c’est que je crois au retour du clivage droite-gauche.
Je pense que la tripartition du paysage politique n’a pas vocation à être perpétuelle parce qu’elle installe le fait minoritaire dans la Ve République, paralysant ainsi l’action politique, et qu’elle réduit l’alternance aux deux ailes radicales. C’est pourquoi je veux reconstruire la droite, et pour cela, faire revenir à nous ceux que nous avons déçus et qui sont partis voter Le Pen, Zemmour, Macron ou se sont abstenus.
C’est quoi, la marque Retailleau ?
C’est d’abord mener une action au service d’un idéal. Pour moi, c’est fondamental. C’est très exigeant, mais cela permet de ne pas être attaché au piquet de l’instant, et ça change la perspective. On est prêt à prendre des risques pour un idéal, et cela rend plus fort. On ne perd pas son temps en petits calculs politiciens.
Dans votre opuscule Ne rien céder – Manifeste contre l’islamisme (Éditions
de l’Observatoire), sorti cette semaine, vous dénoncez l’usage abusif du
terme « islamophobie ». Le meurtre d’Aboubakar Cissé dans une mosquée
du Gard ne vous donne-t‑il pas tort ?
Au ministère de l’intérieur, nous n’utilisons jamais ce terme-là. Le mot « islamophobie » a été forgé par les Frères musulmans pour interdire toute critique d’une religion. C’est un terme piégé que je n’utilise jamais car en démocratie on peut critiquer, moquer les religions, quand en revanche, on doit protéger les croyants. C’est le sens profond de la laïcité.
Vous allez justement déclassifier prochainement un rapport très attendu sur les Frères musulmans. Quelle conclusion en avez-vous déjà tirée ?
Les Frères musulmans sont les inventeurs de la matrice politique de l’islamisme avec un contenu idéologique que l’on connaît : la charia plutôt que la loi républicaine, la soumission de la femme… Pour cela, ils s’appuient sur une stratégie subversive qui consiste à infiltrer la société civile, en faisant de l’entrisme dans les associations sportives, culturelles, à maîtriser un certain nombre de mosquées, grâce à un discours extrêmement lisse.
Ils utilisent notre vocabulaire, nos propres valeurs démocratiques pour les retourner contre la République. « Avec vos lois démocratiques, nous vous coloniserons ; avec nos lois coraniques, nous vous dominerons », a déclaré Youssef Al-Qaradawi, l’une des plus grandes figures des Frères musulmans. Face à cela, il faut donc un débat public qui permette une prise de conscience. Nous prendrons de nouvelles mesures sur la base de ce rapport.
La situation est toujours complètement bloquée avec l’Algérie ?
Oui, les choses n’évoluent pas et je suis très préoccupé par le sort de Boualem Sansal. Nous n’avons plus de nouvelles. J’ai voulu poser un rapport de force avec l’Algérie, car je suis chargé de la sécurité des Français et je ferai tout pour éviter un second Mulhouse.
Lors de l’attentat de Mulhouse, l’individu à l’origine de l’acte terroriste était un ressortissant algérien sous OQTF que nous avions présenté à 14 reprises aux autorités algériennes, qui à 14 reprises ont refusé de le reprendre, contrairement aux obligations fixées par l’accord de 1994 entre nos deux pays. Et nous avons répondu coup pour coup à l’expulsion de 12 agents de mon ministère.
Si les choses ne bougent pas, alors il y aura d’autres mesures de riposte que pour l’instant je garde pour moi et qui viseront notamment la nomenklatura. Je ne reconnais à aucun pays, malgré les douleurs de l’Histoire, le droit d’offenser la France.
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Propos recueillis par Bruno Jeudy et Ludovic Vigogne