Marianne
Grève du samedi
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Dans la magnifique cour Vivienne, à Paris, ce samedi 12 avril, les vacataires de la Bibliothèque nationale de France entendent lutter contre leurs conditions de travail, entre touristes flâneurs et étudiants bosseurs. Le but, faire entendre leurs cris, mais pas à n’importe quel prix médiatique.
« Do you speak English ? » Il est midi, les touristes viennent flâner en quête de culture parisienne, entre le jardin et le bâtiment principal de la Bibliothèque nationale de France (BNF), rue Vivienne à Paris, à quelques pas du Conseil constitutionnel, mais dans la cour peuplée d’étudiants qui mangent leur sandwich, ils trouvent banderoles, grévistes, et apéro improvisé.
Les vacataires de la BNF sont en grève, et après des rassemblements à Tolbiac, à la Bibliothèque François-Mitterrand devant un public convaincu, ils – et surtout elles – veulent un peu faire parler d’eux, même aux touristes, et à… certains médias.
Des contrats au rabais
Dans un groupe d’une quinzaine de personnes, devant les façades claires et chargées de colonnes du « site Richelieu », décoré d’une banderole « Défendez-vous, déclenchez l’apocalypse » Océane, une des meneuses, explique : « On est mobilisés depuis octobre, et en grève chaque samedi depuis mars, mais rien ne bouge, on a jamais eu de réponses concrètes ».
En cause, un changement venu de la direction de la BNF : les temps partiels chargés des missions de service public – s’occuper des salles bondées d’étudiants, et gérer les magasins qui donnent accès aux documents de la BNF – n’ont plus accès au CDI. À la place, des contrats à durée déterminée d’un an, renouvelable une fois. C’est tout. Dans la précédente décennie, les CDI de 110 heures par mois avaient été accordés par vague, mais le robinet est fermé, et les temps partiels sont réduits à 80 heures, au grand dam des vacataires, qui se présentent surtout comme des précaires.
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Midi passé. Les touristes qui sortent du jardin du Palais-Royal regardent avec curiosité ce petit bout inattendu de folklore français, une table, quelques drapeaux syndicaux, des grévistes aux looks d’artistes… Océane reprend son réquisitoire : « Leur argument, c’est que les CDI à temps partiel enferment dans la précarité, et que cette nouvelle organisation apporte de la flexibilité, mais c’est juste pour pouvoir réduire des contrats et faire sauter des postes. » Comme elle, ils sont environ 80 petites mains précaires qui gèrent les missions de transmissions de cette très grosse machine, répartis dans plusieurs départements, comme Droit et Économie.
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« La direction nous explique que les CDD d’un an permettent d’anticiper la fin de contrat pour trouver un autre emploi, mais un CDI nous offrirait justement de la sécurité avant de trouver un emploi, ou de passer le concours sereinement », s’agace Océane. Elle fait partie de ceux nombreux, à ce poste, qui ambitionnent de devenir bibliothécaire, donc fonctionnaire de catégorie A, un graal aux accès limités par le nombre de postes disponibles.
La Révolution permanente
Alors que les petites assiettes disposées sur la table empêchent les feuilles de s’envoler dans la poussière, grâce à leur paquetage de gâteaux faits maisons et de M&MS, Solène, 27 ans, rejoint la mobilisation. Elle aussi est vacataire et prépare le concours de bibliothécaires : « C’est très sélectif, il faut tenter plusieurs années généralement… » 80 heures de travail par mois ne suffisent pas à vivre. Heureusement, elle habite chez ses parents, sinon, elle devrait « cumuler deux emplois ».
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C’est la première fois que la petite troupe de motivés se retrouve ici, d’habitude, c’est plutôt à Tolbiac qu’on « plante le piquet de grève », mais là-bas, moins de passants, et moins d’opportunité de chercher comment on dit « précarisation » en anglais pour convaincre une touriste de l’importance de la lutte des vacataires.
Moins de médias, aussi. Même si ce samedi, dès midi, il n’y a que Marianne. Le hic, c’est que, globalement, on ne veut pas parler à « ce magazine ». Et tant pis s’il n’y a pas d’autres médias traditionnels, les grévistes ont leur propre voie de distribution de la parole politique : Révolution permanente. « Ils vont faire un article, des interviews… », explique-t-on avant de refuser fermement, pour une très large partie de la petite assistance, de s’adresser à Marianne.
13 heures, il reste une heure de mobilisation. La rue se remplit un petit peu, toujours de touristes et d’étudiants qui viennent profiter des magnifiques salles d’étude. On se rassemble en cercle pour voter sur les deux options possibles pour déplacer les tables et occuper l’espace à l’intérieur ou à l’extérieur du bâtiment. On ne transige pas avec la démocratie. On sort enfin le micro, pour commencer à faire du vrai bruit, contre la précarité : « Réchauffons le climat social, pas la planète ! »
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*Le prénom a été modifié.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne