Est-ce « un retour à la raison », comme le suggère le président de l’Union maritimes des Alpes-Maritimes, Nicolas Plumion, ou la volonté de calmer la grogne du monde économique face à une décision qu’ils sont nombreux à considérer comme hasardeuse, tant sur la forme que sur le fond ? Quoi qu’il en soit, Christian Estrosi fait marche arrière. Après cinq semaines de tensions et de débats, le président de la métropole Nice Côte d’Azur revient sur l’interdiction signée le 24 janvier des bateaux de croisière de grande capacité (+ de 900 passagers) dans les ports de Villefranche et Nice et propose une nouvelle « solution » d’accueil des navires, soumise à l’examen du conseil portuaire du 7 mars.
Mobilisation générale
Une bonne nouvelle pour les professionnels du secteur qui sont montés au créneau, dénonçant l’absence de toute discussion. De Nice à Marseille, les syndicats patronaux ont multiplié les déclarations communes, demandant un retrait de l’arrêté pour les uns, un moratoire pour les autres, tous partageant un même sentiment : celui d’une décision prise à la légère, sans concertation aucune, faisant fi des avancées environnementales de la filière, matérialisées par la charte d’engagement croisière durable en Méditerranée signée par ladite métropole en décembre 2024, et des impacts économiques d’un tel arrêté sur le territoire azuréen, régional et même national.
En attendant les résultats d’une étude d’impact diligentée en urgence par la CCI Nice Côte d’Azur, tout ce petit monde a sorti sa calculette. Du côté de la Cruise Lines International Association (CLIA), on rappelle volontiers la bonne santé d’une industrie résiliente qui a atteint en 2023 un record historique de 31,7 millions de passagers dans le monde, dépassant de 7% le niveau pré-Covid de 2019. En pièces sonnantes et trébuchantes, cela se traduit par un impact de 140 milliards de dollars générés par 2% des voyages dans le monde. A l’échelle française, les retombées économiques se situent aux alentours des 7,7 milliards d’euros pour 38.000 emplois. Et si l’on ressert la focale jusqu’à Marseille, sujet de l’étude d’Oxford Economics présentée en décembre dernier à l’occasion du Blue Maritime Summit, l’impact pour l’économie de la ville qui a accueilli 2,5 millions de passagers en 2024 se chiffre à 150 millions d’euros, alimentant notamment l’activité des commerces alentours à hauteur de 45 à 50% de leur chiffre d’affaires en moyenne.
Une perte de revenus estimée à 10 millions d’euros
« Certes, l’échelle n’est pas la même sur le périmètre de Nice Côte d’Azur, admet Erminio Eschena, président de la CLIA, il n’en demeure pas moins que la contribution économique au territoire s’avère très importante, les activités de croisière représentant près de 90% des activités du port de Villefranche ». Lequel devait accueillir 88 escales en 2025, soit quelque 160.000 passagers. « Soit moins de 1% du trafic aéroportuaire de Nice Côte d’Azur », détaille-t-il. « On estime à 10 millions d’euros la perte de revenus engendrée par cet arrêté, dont 1 million d’euros rien qu’en recettes portuaires », relève de son côté Nicolas Plumion qui s’interroge sur le devenir de l’équilibre financier de l’infrastructure et évoque la création d’un « climat de défiance envers les armateurs français et européens alors que ces derniers investissent lourdement dans la construction de navires innovants et respectueux de l’environnement, notamment auprès des Chantiers de l’Atlantique ». Quant au président de l’UPE 06 (Medef + CPME), Pierre Ippolito, il regrette « le signal contre-productif dans un contexte économique défavorable qui crée du stress supplémentaire ». Et appelle à une meilleure association du monde patronal à la définition d’une stratégie touristique à moyen, long terme.
Appel à la concertation
Une période de consultations que le président de l’Union maritime 06 souhaite aussi engager. Pour lui, le Conseil portuaire de vendredi, dont l’avis est consultatif, n’a rien d’une fin en soi. « C’est le début d’un nouveau cycle », estime-t-il. Préférant évoquer une gestion de flux plutôt que de capacité maximum. « L’industrie de la croisière est habituée à travailler de concert avec les villes où nos bateaux font escale, abonde Erminio Eschena. Je pense à Barcelone, à Palma, à Dubrovnik, où armateurs, autorités portuaires et citadines ont trouvé des solutions pour mieux adapter le flux des croisiéristes au flux touristique en général. » Une position qui doit encore faire son chemin sur le littoral azuréen. Car que si la Métropole a lâché du lest, celle-ci envisage toujours de restreindre le nombre d’escales (65 escales par an) et de passagers à Villefranche (2.500 passagers contre 3.500 actuellement) et à Nice (450 passagers contre 900). Au risque, d’une part, de provoquer selon Nicolas Plumion un potentiel boycott de la zone, « les compagnies signataires de la Charte pourraient être tentées de privilégier d’autres ports plus stables et offrant une meilleure visibilité à long terme ». Certaines compagnies ayant validé des programmes d’escales sur la Côte d’Azur jusqu’en 2031. Au risque, de l’autre, d’exclure une flotte plus moderne et plus propre, mais d’une capacité de passagers supérieure à la limite fixée, au profit de bateaux plus anciens et plus polluants. « Un non-sens écologique et économique. » Le bras de fer est engagé.