Edouard Monfrais-Albertini/Hans Lucas
Tribune
Par Anne-Hélène Le Cornec Ubertini
Publié le
Sous couvert de revendications religieuses, de « féminisme islamique » ou de lutte contre « l’islamophobie », les discours masculinistes gagnent du terrain, selon Anne-Hélène Le Cornec Ubertini, maître de conférences HDR en sciences de l’information et de la communication et autrice de « Le Poison du Communautarisme – La gauche sans le peuple » (L’Harmattan). Ils dissimulent une volonté de contrôle du corps féminin, travestie en émancipation. Le plaidoyer en faveur du voile, souvent empreint d’une vision hypersexualisée de la femme, en est une illustration révélatrice.
Quelle époque bénie pour les machos de tous poils ! Ils peuvent encourager l’inégalité homme-femme, l’effacement des femmes dans l’espace public, sans pour autant passer pour des misogynes. Encore mieux, le voile islamique, symbole de l’infériorisation de la femme et de l’impossibilité pour l’homme de réfréner ses pulsions sexuelles, est considéré comme un symbole de liberté. Bref, c’est le bonheur ! En affirmant que le port du voile est un sujet mineur qui ne pose problème qu’en France, ils peuvent même recevoir les félicitations de journalistes acquis à la cause.
La religion, une race pour assurer la protection de l’antiracisme
Ils ont ainsi toute latitude pour jeter l’opprobre sur ceux qui auraient le tort de s’opposer au port du voile dans le sport, à l’école, l’université… et les accuser d’avoir l’intention cachée de discriminer une religion particulière. S’ils ajoutent « islamophobie », leur couronne de lauriers est tressée.
Les machos se croyaient définitivement marginalisés après les avancées décisives des féministes, à l’époque où hommes et femmes partageaient le même combat, mais La Fin de l’histoire n’était pas écrite. Sont arrivés en renfort des quantités des machos hors norme, qui au vu et au su de tous ont bousculé les règles, les lois, imposé au grand jour leur drapeau de mise sous tutelle de la femme. Ils ont trouvé des relais politiques et médiatiques pour les encourager, les victimiser si la moindre protestation essayait de ralentir leur progression. Ils ont trouvé des collaborateurs zélés en quantité insoupçonnée pour une France résistante.
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Sans coup férir, ils sont devenus des potes auxquels il ne faut pas toucher et leur religion est devenue une race pour leur assurer toute la protection militante de l’antiracisme. La liberté d’expression française est passée par perte et profits puisqu’elle avait l’outrecuidance de permettre le blasphème. Et on a sorti la boîte à idées propagandistes : va pour « l’islamophobie », pour le « féminisme islamique » avec « mon corps, mon choix », « le voile est un bout de tissu », « si elle ne porte pas le voile, elle ne pourra pas travailler » que l’on peut décliner en « elle ne pourra pas sortir de chez elle ou étudier ou encore faire du sport… ». Et puis, si on peut faire diversion, culpabiliser, vouer aux gémonies les récalcitrants, c’est parfait.
Quel retournement de l’histoire ! Il ne sera pas dit que le macho finira en photo dans un musée. Il est bien présent, d’une actualité brûlante qui lui permet d’envisager un avenir rayonnant. Le sacrifice de la ruse ou du mensonge n’est pas cher payé, ça peut même être réjouissant de prendre sa revanche, de se prétendre féministe pour convaincre tous les perdreaux de l’année et les bonnes âmes en quête de cause qui leur redonne de la superbe.
Et puis qui bouderait son plaisir d’être rejoint, dans une forme de convergence des luttes, par ceux que l’exotisme de la femme voilée, sa soumission librement consentie, font pâmer. Ils trouvent le voile charmant, confondent le prosélytisme de leurs interlocutrices, voilées de la tête aux pieds, avec une histoire des Mille et Une Nuits. Ah ! l’hypersexualisation de la femme dont le moindre centimètre carré de peau, la plus petite mèche de cheveu est un appât sexuel, un fruit défendu !
L’ONU, sur le coup
Mais, comment détourner l’attention des féministes ? « Mon corps, mon choix ! » devrait suffire à la plupart et, si ça ne suffit pas, il y a l’écriture inclusive qui permet d’occuper Pénélope à son ouvrage. Pendant qu’elle brode des points, des e, des barres obliques sur le canevas de la langue française pour en finir avec l’emploi du masculin comme neutre, l’écriture en grand de l’asservissement de la femme se déploie, une écriture accessible à tous, sans traducteur. Et puis l’ONU est sur le coup, elle milite pour l’écriture inclusive et le port du voile ! Au surplus, on peut compter sur tous ceux qui se rangent du côté du manche, qui ont peur de la censure et de la disqualification des médias dont dépendent leur cote de popularité et la vente de leurs films, livres, concerts…
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Alors, elle est pas belle la vie du macho ? De leur côté, les institutions publiques françaises, au sens large, imposent toujours plus de multiculturalisme avec la technique de la grenouille que l’on met dans une casserole d’eau froide avant de la mettre à cuire à petit feu pour qu’elle ne se rende compte de rien et ne réagisse pas avant d’être totalement cuite. La main sur le cœur, la plupart défendent la laïcité et la loi de 1905 et en modifient progressivement la définition jusqu’à ce qu’elle ne soit plus que la neutralité anglo-saxone, c’est-à-dire le rapport entre l’État et les cultes que préconisaient déjà ses opposants en 1905 :
– « aux États-Unis ; dans ce pays de liberté où notre guerre au cléricalisme doit sembler si étrange, la neutralité de l’État est une neutralité bienveillante respectueuse, et non pas dédaigneuse des religions. » (M. Louis Ollivier [catholique intransigeant], Chambre des députés, 12e séance, 12 avril 1905, p. 74).
– « Au contraire, même sous le régime de la séparation, l’État peut reconnaître tous les cultes, ainsi que cela se fait en Amérique. » (M. le lieutenant-colonel du Halgouët [membre du groupe Défense nationale, royaliste], Chambre des députés, 12e séance, 12 avril 1905, p. 82).
Au début, le macho s’est demandé si ceux qui lui promettaient des lendemains radieux n’étaient pas frappés de cécité. Matou échaudé craignant l’eau froide, il s’est interrogé. Comment ceux qui transgressent la loi et les mœurs, foulent au pied la loi de 1905, la galanterie française (Bernard Maris, 2015), cachent le sein de Marianne comme des Tartuffe, deviendrait-il des victimes ? Impossible ! Mais, impossible n’est pas Français. La botte de Nevers des temps machistes est l’accusation d’« islamophobie », elle fait mouche à chaque fois.
Le voile islamique comme simple bout de tissu
Le matou commence à ronronner d’aise. Comme il a l’esprit pratique, il se moque de ce que ce sésame veut dire. Si l’accusation d’hostilité envers l’islam, ou n’importe quel dogme, peut déboucher sur une prime au machisme, il en accepte l’augure. Après tout, les religions étant rarement féministes, pourquoi ne pas leur donner un coup de pouce confraternel ? Le macho est emballé, mais pas encore séduit. Il a un doute résiduel sur le voile comme « bout de tissu » et l’appui institutionnel apporté aux délinquants qui interdiraient aux femmes de sortir de chez elles sans voile.
Il a bien vu que des individus excités contre la laïcité française, sur d’autres continents, brûlaient des drapeaux français sans que personne ne pense qu’ils avaient froid et manquaient de bois. Alors, le voile islamique comme simple bout de tissu… Pour la prime donnée aux délinquants qui privent les femmes de liberté, il est moins inquiet. Il sait qu’il y a de bonnes âmes qui s’enorgueillissent de tendre la main au pauvre pêcheur, mais cela ne suffit peut-être pas…
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Pas de pessimisme immodéré toutefois car il se trouve des dames patronnesses animées d’un moteur religieux puissant qui les pousse à saisir toutes les opportunités pour en finir avec la loi de 1905 et imposer la pratique religieuse le plus largement possible dans les emplacements publics, si bien que le discours victimaire pour ces pauvres femmes privées de sortie, de travail, d’activités sportives…, bénéficie de nombreux relais militants dont la priorité n’est pas la liberté de la femme, mais l’encadrement de la société par la religion.
Il reste un dernier point pour que le macho se sente parfaitement à l’aise. Et si les Français n’étaient pas convaincus par l’avantage comparatif des autres pays qui ont choisi le multiculturalisme ou une religion d’État qui voile les femmes ? Le macho dont nous suivons le parcours est suspicieux. Il s’interroge sur l’efficacité de la propagande conjuguée des institutions publiques, des soutiens du modèle anglo-saxon, des islamistes, des religieux anti-laïques et des partis politiques opportunistes…, mais plus la liste s’allonge, plus il est rassuré. Alors, merci à Kamel Daoud, Mahyar Monshipour, Boualem Sansal… qui mettent leur vie en danger pour défendre la liberté des femmes.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne