« Nous sommes soulagés mais pas surpris, notre entreprise possède un savoir-faire précieux », souffle Pascal Darnon. Le délégué CGT de Verney-Carron, spécialisée dans les armes de petit calibre, n’en dira pas plus sur le nom des candidats et le contenu des offres de reprise présentées dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, tant qu’il n’aura pas étudié avec ses collègues et leurs conseillers juridiques le contenu de ces offres.
L’armurier stéphanois, connu pour ses armes de chasse et ses flashballs, positionné plus récemment (et de manière beaucoup plus modeste) sur le domaine de la Défense, avait été placé en redressement judiciaire en février dernier. En difficulté depuis plusieurs années, fragilisée par un important contrat avec l’Ukraine qui n’avait finalement pas pu être mis en œuvre, la PME de 68 salariés est quasiment à l’arrêt depuis le début de l’année. Malgré un carnet de commandes encore relativement garni, ses lignes de production sont en stand-by et la presque totalité des salariés en activité partielle.
Selon nos informations, à la clôture des offres ce lundi 16 heures, quatre dossiers avaient été déposés. Ils émanent du Ligérien Rivolier, du Belge FN Browning, du Lyonnais ACI en partenariat avec Sofema et de la société bretonne Atalante Stratégic.
Une offre franco/tchèque pilotée par le Ligérien Rivolier
Rivolier n’en faisait pas mystère et s’était déjà dévoilé depuis plusieurs semaines, il avait d’ailleurs déjà tenté de racheter l’entreprise en 2022 (mais Cybergun avait raflé la mise) : le groupe ligérien s’est donc positionné, dans le cadre d’une association avec le family office tchèque RSBC.
Rivolier (320 salariés, 150 millions d’euros de chiffre d’affaires notamment dans la distribution d’armes et équipements pour les forces de l’ordre et l’armée française) détiendra 65% de l’entreprise qui serait constituée pour cette reprise. RSBC possède notamment le fabricant d’armes de petit calibre slovène Arex depuis 2024 et le fabricant d’armes autrichien Steyr depuis 2020. Rivolier et RSBC sont partenaires depuis plusieurs années, le Ligérien distribuant en France leurs fabrications. Rivolier avait notamment remporté un appel d’offres de l’Office National des Forêts pour la fourniture de pistolets Arex.
« Depuis un peu plus d’un an, nous sommes le distributeur exclusif de Verney-Carron. En raison des difficultés financières de l’entreprise, qui génèrent des difficultés de production et un vieillissement des gammes, les ventes ne sont pas au niveau espéré mais le potentiel est important. Le nom Verney-Carron est très connu, son savoir-faire ne doit pas être perdu et ne doit pas quitter Saint-Etienne. Nous améliorerons notre offre s’il le faut, nous souhaitons vraiment reprendre cette entreprise », explique Arnaud Van Robais, le dirigeant du groupe Rivolier.
Les conditions sociales et le contenu exact de l’offre restent pour l’heure confidentiels, mais le patron de Rivolier évoque des investissements industriels à Saint-Etienne et une offre préservant un grand nombre d’emplois.
Côté modèle économique et perspectives, Rivolier mise sur sa connaissance du monde de la défense et de la chasse, ainsi que sur des synergies industrielles et techniques avec les deux fabricants d’armes dans le giron de RSBC. « Si nous remportons de nouveaux marchés avec les pistolets Arec en France, ils pourraient être fabriqués chez Verney-Carron, ce qui apportera de l’activité. Concernant les armes rayées [les carabines de chasse], le savoir-faire de Steyr pourrait être intéressant car faute d’investissement, les gammes Verney Carron ont beaucoup vieilli et correspondent moins au marché ».
L’association Rivolier/RSBC tient déjà son futur patron d’usine en la personne de Damien Kaivers, qui n’est autre que l’ex PDG de Browning.
FN Browning veut renforcer ses positions en France
Le deuxième dossier émane de la puissante manufacture d’armes belge, FN Browning Group (ex Herstal), au chiffre d’affaires de 906 millions d’euros en 2024 (3.000 salariés).
Là encore, cette candidature n’est pas une surprise. FN Browning group avait déjà annoncé en mars dernier avoir déposé une offre ferme de reprise, dans le cadre d’un plan de continuation qui pourrait être présenté par Cybergun, l’actuel propriétaire de Verney-Carron. Mais le Belge y avait assorti des clauses financières suspensives, liées à la restructuration de l’entreprise et qu’Hugo Brugière, le patron de Cybergun, n’a pas encore réussi à lever.
« Nous continuons d’avancer sur les deux axes : le plan de continuation avec Cybergun et le plan de cession, seuls. D’une manière ou d’une autre, nous souhaitons acquérir cette entreprise avec une offre qui préserve l’usine de Saint-Etienne. La France montre la volonté d’investir dans la défense et de reconstituer une filière de petit calibre, nous voulons répondre à ce besoin. Nous souhaitons renforcer notre ancrage industriel en France », explique un porte-parole du groupe belge.
Rappelons que FN Browning Group est par ailleurs en train d’acquérir une autre entreprise française, d’une toute autre envergure que Verney-Carron : le fabricant de munitions de chasse et de tir sportif, Sofisport (1.000 salariés). Il devrait également se positionner sur le futur appel d’offres français concernant la fabrication de munitions de petit calibre en France. Le groupe belge dispose par ailleurs d’une filiale commerciale, Browning Sport France, implantée à la Talaudière dans la Loire.
« Verney-Carron nous intéresse évidemment. Concernant son activité défense, il faudra voir quelles sont les synergies possibles », poursuit le porte-parole.
ACI/Sofema intéressé surtout par l’activité défense
Le troisième dossier a été déposé par le groupe lyonnais ACI, sous-traitant industriel tourné vers l’aéronautique, la défense, le nucléaire et l’énergie (1.590 salariés, 35 usines dont une dizaine dans la Loire, toutes acquises par des opérations successives de croissance externe).
Il est sensiblement différent des deux précédents : ACI prévoit en effet de ne pas reprendre le bâtiment actuel de Verney-Carron. Les salariés repris et les machines seraient déménagés vers des sites ACI déjà existants, dans un périmètre proche. Cette offre a été déposée conjointement avec Sofema (40 millions d’euros de chiffre d’affaires et 85 salariés), distributeur d’équipements militaires et de pièces de rechange auprès des acteurs de la défense et de la sécurité. Sofema a été reprise l’année dernière par ses salariés après avoir eu un pool d’actionnaires constitué d’Airbus, Dassault Aviation, Naval Group, KNDS France, MBDA France, Thales, ou encore Safran.
« L’outil actuel de Verney-Carron est extrêmement vieillissant, complètement dépassé. Une relance industrielle du site nécessiterait de très lourds investissements. Or, nous avons à proximité, des usines qui pourront accueillir les salariés, le matériel en état de fonctionnement et les productions, en réduisant l’investissement industriel nécessaire », détaille Philippe Rivière, dirigeant d’ACI et co-fondateur du groupe.
L’entrepreneur reconnait être surtout intéressé par l’activité Défense de Verney-Carron puisqu’il oriente fermement ACI dans cette direction depuis quelques mois, ce qui justifie son association avec Sofema sur ce dossier, mais l’offre présentée comprend bien une reprise de l’ensemble des activités.
Enfin, le quatrième dossier de reprise émane de l’entreprise Atalante Stratégic, petite société bretonne de formation au maniement d’armes. A l’heure où nous écrivons ces lignes, nous n’avons pas encore pu joindre ses dirigeants.
Cybergun espère toujours pouvoir présenter un plan de continuation
En parallèle du plan de cession ouvert par l’administrateur judiciaire, Cybergun poursuit son travail pour finaliser la restructuration financière de Verney Carron qui lui permettrait de lever les clauses suspensives posées par FN Browning Group. Sur les quatre millions d’euros concernés, il n’en manquerait plus qu’un, selon Hugo Brugière, grâce à un effacement possible des dettes fiscales et sociales par l’État et grâce à un engagement de la Ville de Saint-Etienne à reprendre les murs de l’usine.
La fin du suspense est attendue le 28 mai. D’ici là, les candidats devraient être amenés à négocier éventuellement à la hausse les conditions de leur offre.