C’est un fait : les voitures, en particulier électriques, sont de plus en plus connectées et bardées d’électronique. Face à cette expansion, la sécurité des logiciels et autres équipements électroniques embarqués préoccupent de plus en plus l’Europe. La Commission européenne redoute en premier lieu que ces technologies soient détournés de leurs fonctions à des fins de piratage, d’espionnage des communications, ou encore de prise à contrôle à distance des véhicules.
Sur ce front, l’UE n’entend désormais plus rester les bras croisés. La Commission européenne compte se donner les moyens d’interdire certains composants et logiciels étrangers présents dans les véhicules s’ils présentent « un risque pour la sécurité nationale et le consommateur », indique à La Tribune le cabinet de Stéphane Séjourné, le vice-président de la Commission européenne en charge de la stratégie industrielle.
Cette potentielle mesure est l’une des facettes du « plan d’urgence » de Bruxelles pour sortir la filière automobile européenne de la crise. Lors de la présentation de ce plan à l’usine Renault de Douai (Hauts-de-France), la semaine dernière, Stéphane Séjourné en a brièvement esquissé les contours. « Nous allons aussi veiller à assurer notre souveraineté sur les logiciels et les semi-conducteurs, lâchait alors le commissaire français. Nous ne pouvons pas prendre aujourd’hui le risque que nos voitures soient contrôlées par des technologies extérieures, soit depuis Austin [nouvelle Mecque de la tech américaine, où figure notamment le siège de Tesla, Ndlr], soit depuis Shenzhen pour ce qui est des Chinois. Le ‘made in Europe’ de la voiture connectée, c’est aussi une mesure de sécurité pour les Français et les Européens. »
Un« nouveau cadre législatif »
Mais que prépare concrètement la Commission ? Elle souhaite d’abord doter l’Europe d’un « nouveau cadre législatif » portant sur la sécurité des logiciels embarqués, mais aussi de certains équipements électroniques, notamment ceux qui gèrent le fonctionnement des moteurs électriques, précise à La Tribune le cabinet de Stéphane Séjourné. Il s’agit d’un prérequis indispensable, détaille-t-on, pour arrêter ensuite une décision de l’UE qui permettra d’interdire, si nécessaire, les technologies étrangères jugées risquées.
Cette décision ne ciblera aucun pays en particulier, assure-t-on à Bruxelles. Mais, comme l’a indiqué Stéphane Séjourné à Douai, ce sont bien les logiciels et composants chinois qui figurent dans le viseur de l’Europe. Mais aussi, chose nouvelle, ceux « made in USA », au regard de la méfiance croissance du Vieux Continent à l’égard des Etats-Unis depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Ces dispositions découlent « du contexte géopolitique » actuel admet le cabinet de Stéphane Séjourné.
La nouvelle logique contraignante de l’Europe
Cette mobilisation de l’Europe intervient, plus globalement, dans un contexte d’inquiétude de nombreux pays vis-à-vis des logiciels embarqués pour des raisons de cybersécurité. En septembre dernier, l’administration Biden avait annoncé son intention d’interdire aux Etats-Unis toutes les voitures équipées de logiciels et terminaux « made in China ». Washington avait alors invoqué des « risques pour la sécurité nationale » pour justifier cette décision. Au grand dam de la Chine, qui n’y a vu qu’un moyen, pour Washington, de fermer définitivement son marché à ses constructeurs automobiles, très en avance dans l’électrique.
Si la manière est différente, l’Europe ne s’interdit désormais plus… d’interdire. Un vrai changement dans sa façon d’appréhender ce type de menace. En janvier 2020, alors que plusieurs états européens affichaient leur méfiance à l’égard des équipements de réseaux mobiles du chinois Huawei, la Commission européenne avait répondu par une « boite à outils ». Il s’agissait, en clair, d’une série de consignes pour inciter les Etats membres à se passer des services du groupe de Shenzhen pour leurs télécommunications. En clair rien de contraignant : chaque pays a, aujourd’hui encore, la liberté de mener ses propres arbitrages.
Privilégier le « made in Europe »
Ce qui ne sera pas le cas avec la décision sur les logiciels et équipements électroniques automobiles dont la Commission espère in fine accoucher. « Il y aura un caractère contraignant, confirme le cabinet de Stéphane Séjourné. C’est effectivement du jamais vu en Europe. »
Derrière ces mesures, l’objectif de la Commission européen est de pousser les constructeurs à s’orienter, le plus possible, vers des solutions technologiques « made in Europe », et d’améliorer, en la matière, l’indépendance stratégique du continent.
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