Elle devrait être opérationnelle dès la fin de l’année prochaine. Michelin a annoncé ouvrir la toute première unité de production en Europe de 5-HMF, molécule obtenue à base de fructose transformé. Également connu sous le nom de 5-Hydroxyméthylfurfural ou « géant endormi », cette brique essentielle de la chimie verte, biosourcée et non-toxique, vise à remplacer des ingrédients d’origine fossile dans des domaines industriels très variés.
Le démonstrateur industriel, dont la construction va démarrer à l’automne sur la plateforme chimique d’Osiris à Péage-de-Roussillon en Isère, devrait en produire 3.000 tonnes par an.
Avec l’idée de dupliquer cette usine grâce à des partenaires (via un système de licences) et d’ouvrir un marché potentiel de plus de 40.000 tonnes à horizon 2030 par la création d’une filière européenne.
« Avec 3.000 tonnes, nous serons déjà le plus gros site de production à l’échelle mondiale. Cette molécule est aujourd’hui quasi indisponible, produite en petite quantité uniquement en Asie. Nous avions des difficultés pour nous approvisionner, or c’est un élément essentiel dans la fabrication de nos résines adhésives non toxiques ResiCare », explique Maude Portigliatti, directrice division Polymer Composite Solutions chez Michelin.
Accélérer le développement de ResiCare
Cette première unité, qui comptera 30 salariés, devrait donc permettre à Michelin de sécuriser son approvisionnement en 5-HMF. Cette production, en quantité industrielle et à un prix raisonnable, doit ainsi permettre à la filiale ResiCare de Michelin, créée en 2016, de débloquer sa croissance.
« Nous visons 100 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2030 et cela est rendu possible par cet investissement. Aujourd’hui, nous sommes limités », insiste Quentin Faucret, directeur de la ligne Business Polymères solutions, qui précise que le volume de ventes de ResiCare est aujourd’hui de seulement quelques millions.
Objectif : commercialiser, sous cinq ans, dix fois plus de résines qu’aujourd’hui. Car si Michelin a développé, au départ, ces résines adhésives non toxiques pour assembler des composants de ses pneus (100 millions de pneus déjà fabriqués avec cette colle), l’industriel les vend à des tiers pour d’autres applications : dans la construction (pour le contreplaqué notamment), l’aéronautique, le ferroviaire…
Et le marché de ces résines de spécialité est colossal. Il représenterait plus de 10 milliards d’euros dans le monde, estime le manufacturier.
Diversification hors pneu
Michelin va investir 60 millions d’euros dans ce projet, dans la droite ligne de sa stratégie de diversification au-delà du pneu, et au sein de secteurs innovants.
« Michelin s’est donné l’objectif de réaliser 20% de son chiffre d’affaires en dehors du pneumatique en 2030, au travers des services, des solutions, mais aussi des activités autour des composites. Polymer Composite Solutions représente aujourd’hui 5% du chiffre d’affaires du groupe, soit 1,4 milliard d’euros, avec une variété d’applications dont ResiCare », détaille Maude Portigliatti, également membre du comité exécutif du groupe.
Mais toute la production de cette première unité n’est pas destinée uniquement à ResiCare. Michelin en réserve aussi un tiers à ses partenaires. Car ce projet, baptisé Cerisea, a été développé avec quatre autres acteurs industriels (ADM, Avantium, ARKEMA et Kraton) mais aussi des acteurs institutionnels et académiques (dont IFPEN, CNRS ou encore l’Université de Poitiers). Tous intéressés par la polyvalence du 5-HMF.
« Tous les industriels du consortium ont travaillé sur cette molécule, mais il manquait ce déclic pour passer à l’action et à l’utilisation réelle. Avec eux, nous allons élargir le champs d’application au-delà des résines par exemple en agriculture, cosmétique… On pourra utiliser cette molécule pour faire de nouveaux plastiques, pour faire des bouteilles ou des vêtements », avance Quentin Faucret.
Face à des enjeux de compétitivité et de souveraineté européenne sur ce type de matériaux, le consortium a été subventionné par l’Ademe en France et, au niveau européen, par le CBE JU (Circular Bio-based Europe Joint Undertaking, un partenariat public-privé qui soutient les activités de recherche et d’innovation dans le domaine de la bioéconomie). Ces aides s’élèvent à 20 millions d’euros au total, dont la moitié pour Michelin dans le cadre de la construction de l’usine.