Après avoir tiré la sonnette d’alarme à l’automne dernier, face à la première version du projet de loi de finances du gouvernement Barnier, qui prévoyait une contribution de 5 milliards d’euros pour les collectivités locales, les exécutifs locaux ont finalement reçu une facture moins lourde lors du vote du PLF 2025.
Il n’empêche : les collectivités locales devront tout de même contribuer à hauteur de 2,2 milliards d’euros en 2025 (dont 900 millions d’euros pour les départements).
Le « fonds de précaution », initialement prévu, a été abandonné. Il est désormais remplacé par une nouvelle contribution : le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités locales (Dilico). Et il ne fait pas que des heureux. Celle-ci prévoit en effet « un prélèvement de 1 milliard d’euros sur les recettes fiscales des collectivités territoriales en 2025, dont 500 millions pour le bloc local, répartis à parts égales entre les communes et les intercommunalités », comme le rappelle Intercommunalités de France.
« Un risque de décrochage »
Et ce, dans un contexte financier qui n’a jamais été aussi contraint pour les départements, dont les postes de dépenses continuent d’augmenter, à travers des mesures le plus souvent dictées par l’État (revalorisation du RSA, du SMIC, application du Ségur au sein du secteur médico-social, etc). Leurs recettes, quant à elles, s’amoindrissent, avec la chute notamment des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en raison de la crise immobilière, mais aussi le ralentissement des perceptions de la TVA.
« La situation des départements n’est pas du tout la même que celle des autres collectivités, avec un réel risque de décrochage, une épargne nette quasiment à zéro et une épargne brute qui diminue de 30%», atteste un représentant de Départements de France (DF), contacté par La Tribune, qui craint désormais que certains départements ne se retrouvent même en « défaut de paiement » en 2025. « On peut aussi s’attendre à ce qu’il y ait des révisions des budgets en cours d’année, en fonction de l’évolution de la situation financière ».
Résultat : les budgets 2025 qui s’apprêtent à être votés par les départements français sont devenus un exercice d’équilibriste. Face aux compétences « obligatoires » en matière de routes, aide sociale ou encore collèges, l’heure est aux choix drastiques.
Le cas du nouveau Rhône
Après avoir lancé, avec les départements voisins (la Loire, la Haute-Loire et l’Ardèche), un appel pour être « retirés de la liste des collectivités contributrices au Projet de loi de finances 2025 » en raison des dizaines de millions d’euros de dégâts causés par les inondations du 17 octobre, le Rhône s’apprête à voter son budget 2025 début avril.
« Le budget le plus complexe à réaliser en dix années de mandat », assure le président du Département, Christophe Guilloteau.
Et malgré la petite amélioration promise dans la seconde mouture du PLF, l’élu LR ne digère pas le dispositif Dilico, qui s’élèvera pour sa collectivité entre 5 et 6 millions d’euros cette année, alors que sa voisine la Loire, en est par exemple exemptée. « Nous payons plus cher que la Savoie, qui est plus riche que nous ».
« Il faut être réaliste : nos recettes sont en baisse de 4% cette année, et bien que l’on prenne les 0,5% d’augmentation de DMTO prévue, le marché est atone et ne devrait pas remonter de sitôt. En l’espace de dix ans, nous avons perdu 50% de ce levier fiscal et nous n’avons aucune visibilité sur la suite ». Un constat qui conduit Christophe Guilloteau à bâtir un budget qui comprendra 130 millions d’euros de dépenses en moins (qui s’affichait à 594 millions d’euros l’an dernier).
En conséquence, la collectivité a mis sur la table une série de 130 mesures d’économies : « nous sommes allées les chercher partout, presque à la pince à épiler ! C’est par exemple la première fois que l’on achète des voitures d’occasion alors que le Département est un gros consommateur de voitures pour ses assistants sociaux notamment, ou que l’on achète des meubles d’occasion pour nos nouveau locaux ».
Le Rhône est en train de passer au crible tous les mètres carrés sous-utilisés, ou tous les postes qui ne feront pas l’objet d’un remplacement lors d’un départ à la retraite.
Pour la première fois également, elle réduira son aide aux communes, en passant de 10 à 5 millions d’euros. « Mais il ne faut pas oublier que jusqu’ici, c’est la contribution des Départements qui produit un effet levier à l’échelle des territoires auprès de la Région, de l’Etat, etc. », ajoute Christophe Guilloteau, qui devra également sabrer de 10% dans les subventions au tissu associatif.
Le moteur économique du Grand Lyon fragilisé
Ce lundi 17 mars, c’est sa voisine, la Métropole de Lyon, une collectivité aux « super pouvoirs » étendus (combinant les compétences de métropole et de département à l’échelle de son territoire de 58 communes et 1,4 million d’habitants) qui a voté son budget. Avec, de son côté, un impact estimé à 60 millions d’euros (dont 27 millions d’euros en raison du fameux « Dilico »), sur un budget total de 3,9 milliards d’euros.
Une situation accentuée par la suppression de la CVAE sur les entreprises en 2023, jusqu’alors l’un de ses principaux moteurs du Grand Lyon en tant que métropole, qui estime avoir perdu 40 millions d’euros en deux ans, malgré le jeu des compensations. « Demander des efforts aux collectivités territoriales est quelque chose qu’on peut comprendre, mais qui est excessif, introduisait Bruno Bernard, son président. En particulier pour les départements, qui ne sont pas en mesure d’avoir des recettes pilotables. Nous n’avons plus beaucoup de variables d’ajustement. »
La « super-collectivité » peut pourtant encore actionner quelques leviers dont les départements ne disposent pas. À commencer par la Cotisation foncière des entreprises (CFE), délivrée aux EPCI, qui passera de 28,62 à 30,34% pour la première fois dans la métropole lyonnaise cette année depuis 2015, « ce qui reste un taux faible par rapport à d’autres intercommunalités », souligne Bruno Bernard. Cela représentera une entrée de 18 millions d’euros dans le budget du Grand Lyon, afin de compenser en partie la chute des Droits de mutation à titres onéreux (DMTO), liés aux transactions immobilières, de -52 millions d’euros entre 2024 et 2025. Une augmentation de la fiscalité des entreprises de 1,8 points à laquelle s’oppose la CPME du Rhône, ainsi qu’une partie de l’opposition, qui estiment que cela pèsera sur les petites entreprises, déjà en difficulté.
En parallèle, l’exécutif de la Métropole compte également s’appuyer sur la dette pour financer ses projets (1,83 milliard d’euros d’encours fin 2024, réduits de 253 millions d’euros depuis 2021). Tout en taillant dans ses dépenses de fonctionnement afin de préserver trois priorités : le volet social (RSA, handicap, autonomie), le logement et l’adaptation au changement climatique.
Pour cela, il choisit de ponctionner dans la masse salariale, dont le budget augmente malgré tout de 3% du fait de la revalorisation des points d’indice. Un départ sur deux ne sera donc pas remplacé. Cela, dans un climat social tendu depuis juin 2024, et alors que l’intersyndicale a lancé un mouvement de grève ce lundi, dénonçant une « situation critique sur le front de l’emploi et des conditions de travail ».
Bruno Bernard a quant à lui rappelé qu’il « ne pourra pas aller plus loin » que le contrat social adopté l’année dernière, prévoyant « 17 millions d’euros supplémentaires par an entre 2023 et 2026 » pour la partie RH.
Idem pour les dépenses aux secteurs du sport et de la culture, dans lesquels l’exécutif a demandé un effort de -10% aux grandes structures (musée des Confluences, biennale d’art contemporain et de la danse, festival et fête des lumières, etc), afin de préserver les plus petites (conservatoires, écoles de musique, missions dans les collèges). La Métropole réduit également certaines enveloppes allouées au marketing territorial et à la communication, dont celle de l’agence d’attractivité lyonnaise, Only Lyon & Co (ex-Aderly, qui regroupe 11 territoires, dont la Métropole). Tandis que l’opposition souligne un « risque » sur l’attractivité économique, moteur de la collectivité. Cette année, pour la première fois, le Grand Lyon ne présentait pas de stand au Mipim (le salon de l’immobilier), soit une économie de 500.000 euros. Il en sera de même pour le salon Pollutec, qui se déroulera à Lyon à l’automne prochain.
L’Isère, une exception mais…
À une centaine de kilomètres de là, le Département de l’Isère conduit par le LR Jean-Pierre Barbier s’apprête lui aussi à voter son budget le 27 et 28 mars prochain. Mais à l’issue du premier débat d’orientation budgétaire, sa position est déjà tranchée : « nous ne toucherons pas à l’aide aux communes, qui représente 35 millions d’euros par an ».
La collectivité, qui a « la chance » de ne pas être touchée par une contribution au Dilico, compte-tenu de son indice de « fragilité sociale élevé » (avec un seuil de 21.000 allocataires du RSA notamment), veut à tout prix préserver sa capacité d’investissement. Pour autant, elle assumera de ne plus participer à des projets impliquant d’autres partenaires, tels que l’État ou la Région : à commencer par l’enveloppe de 16 millions d’euros promise pour la rénovation du Centre Hospitalier de Grenoble Alpes (CHUGA) ou de 12 millions d’euros pour des projets du campus universitaire de Grenoble…
« Ces projets se feront quand même sans le Département. Notre boussole sera celle de l’équité territoriale. Nous continuerons d’aller sur des domaines où d’autres ne vont pas, comme l’aide aux centres de vaccination destinés à la petite enfance », affiche Jean-Pierre Barbier.
Côté fonctionnement, le président du Département assure vouloir descendre dans les dépenses de ses services pour vérifier que chaque euro est bien investi. « Mais nous n’allons pas prendre la hache et la tronçonneuse comme certains, plutôt le sécateur en allant couper certaines choses qui ne s’avère pas nécessaires mais qui permettent parfois de renforcer d’autres politiques. »
En contrepartie, la collectivité affirme qu’elle ne touchera pas aux enveloppes attribuées jusqu’ici à l’agriculture, à la culture et à l’éducation, « même si nous ne compenserons pas non plus la baisse que pourraient décider d’autres acteurs. Car ces budgets ne sont pas les plus élevés mais ils sont essentiels à la cohésion du territoire ».
« La loi nous permet d’augmenter les DMTO de 0,5% hors primo accédants, et c’est une disposition dont on aura du mal à se passer face à nos dépenses de fonctionnement qui explosent sur des pistes comme le vieillissement de la population, la protection de l’enfance, ou les publics en situation de handicap », concède Jean-Pierre Barbier, qui rappelle que le gel de la TVA représente un manque à gagner de 22 millions d’euros sur l’année 2025.