Camille Pouponneau : “Sans la loi sur la parité, je ne me serais jamais présentée à une élection de maire à 26 ans”

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Camille Pouponneau : “Sans la loi sur la parité, je ne me serais jamais présentée à une élection de maire à 26 ans”




















“Aujourd’hui il faut maîtriser les codes du monde politique pour être élu. Demain, espérons qu’il faille maîtriser la réalité de la vraie vie pour faire de la politique.”
© FREDERIC MALIGNE PHOTOGRAPHE

Grand entretien

Propos recueillis par

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Camille Pouponneau, ancienne maire, revient dans Maire, le grand gâchis sur son expérience d’élue locale. Elle y décrit l’engagement total, la lassitude face à l’impuissance de l’État, et la nécessité de repenser le rôle du maire dans la République.

Camille Pouponneau a été de celles et ceux qui ont cru, avec force et sincérité, que l’action locale pouvait encore transformer la vie quotidienne. Élue maire à seulement 30 ans, elle s’est jetée corps et âme dans son mandat, avant de devoir y renoncer, épuisée par un engagement devenu insoutenable. Dans Maire, le grand gâchis (Robert Laffont), elle raconte cette expérience de l’intérieur : la solitude du pouvoir local, la charge mentale invisible, la tension permanente entre attentes citoyennes et impuissance institutionnelle. À l’heure où les maires démissionnent en nombre, où la parité s’invite enfin dans les petites communes (ce qu’elle voit d’un bon œil), où l’État semble reculer face aux urgences du terrain, Camille Pouponneau livre un témoignage sur ce que signifie être maire.

Marianne : Pour les municipales 2026, le Parlement a étendu la parité aux petites communes, en généralisant le scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1 000 habitants. Ce texte a suscité de vifs débats. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

Camille Pouponneau : Je pense que cette évolution va dans le bon sens. Depuis que je suis engagée, je me suis souvent interrogée : est-ce la loi qui fait évoluer la société ou faut-il attendre que la société évolue pour changer la loi ? En matière de parité, j’ai pu expérimenter personnellement la situation. Sans la loi qui a instauré la parité par scrutin binominal homme-femme pour l’élection des conseillers départementaux, je ne me serais jamais présentée à une élection alors que j’étais une femme et que j’avais 26 ans. Certes, c’est parce qu’il fallait une femme dans le binôme que mon profil a fait mouche, mais en même temps cela m’a donné une chance de prendre la place et de montrer en suivant mon investissement et mon savoir-faire.

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Autre expérience concrète : lorsque j’ai constitué la liste que je portais pour les élections municipales de 2020, la très grande majorité des femmes à qui j’ai proposé de se présenter m’ont dit : « Tu es sûre ? Je ne sais pas si j’en suis capable. » Et bien évidemment elles ont été plus que capables. Les femmes aujourd’hui osent moins, parce que leur syndrome de l’imposteur est fort, parce qu’elles ont une charge mentale familiale et domestique importante. Pourtant elles constituent la moitié du corps électoral.

Ce ne sera pas plus dur dans les communes de moins de 1 000 habitants qu’ailleurs de trouver des femmes, cela nécessitera simplement de se poser les vraies questions qui permettent leur engagement : l’horaire des réunions, la prise en charge des modes de garde, leur donner confiance, légitimer leur place. Je connais d’ailleurs de nombreux collègues maires de communes de moins de 1 000 habitants qui n’ont pas attendu ce texte pour appliquer la parité. Enfin, la loi adoptée le 7 avril prévoit de nombreux ajustements pour éviter les blocages en permettant notamment que les conseils municipaux soient incomplets et en donnant la possibilité de remplacer un ou une adjointe sans obligation de respecter le sexe initial du titulaire.

Dans votre livre, vous décrivez un engagement total, jusqu’à l’épuisement. À quel moment avez-vous compris qu’il vous fallait renoncer à votre mandat, et quelles émotions vous ont traversée à ce moment-là ?

Cet épuisement est la conséquence de l’accumulation de sentiments d’impuissance face à tant de situations pour lesquelles je me sentais responsable et redevable devant mes concitoyens et où je ne pouvais pas agir. J’ai compris qu’il fallait renoncer le jour où je me suis dit que la question n’était plus de savoir si j’allais tomber mais quand. Les jambes étaient de plus en plus chancelantes, le sommeil impossible, l’estomac noué, les angoisses profondes.

Prendre cette décision me semblait impossible car je crois à la parole donnée, la politique, selon moi, c’est avant tout un pacte moral entre des élus et des électeurs. En démissionnant, je rompais cet engagement. Un maire sur deux pense régulièrement à démissionner. Pourtant, nous faisons tout pour tenir. Dans ma situation, j’ai compris que c’était mon mandat ou ma santé.

Quel est, selon vous, l’état actuel de la relation entre les citoyens français et leurs maires ?

Le maire est de loin l’élu préféré des Français. Mais en même temps, cette relation de confiance est tendanciellement en baisse. La défiance générale envers la politique et les politiques commence à déteindre au niveau local. Toutefois, nos habitants nous laissent une chance de faire nos preuves, car ils voient, tard le soir, la lumière du bureau allumée à la mairie, car ils perçoivent notre énergie déployée pour essayer de faire bouger la commune. Par ailleurs, face au délitement des services publics et à la fermeture progressive de tous les guichets, le maire devient le dernier espoir et le dernier rempart : quand un professeur est absent, quand il n’y a plus de médecins, quand les citoyens se sentent en insécurité. Pourtant sur tous ces sujets, c’est l’État qui est censé être capitaine à bord. Il y a donc un décalage entre ce qu’attendent les citoyens de leur maire et son pouvoir réel.

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Reste que la relation entre le maire et les citoyens est une relation affective et fraternelle. C’est d’ailleurs la puissance de ce lien qui peut faire émerger des solutions et moments extraordinaires. C’est pour cela que dans mon livre je prône pour redonner leur juste place aux maires.

Vous évoquez un État défaillant, une montée de l’individualisme et une violence ordinaire. Que faudrait-il changer en priorité pour redonner envie de s’engager en politique locale ?

C’est simple (et pas très à la mode dans un État historiquement centralisateur) : il faut faire confiance aux territoires. Il faut que les personnes qui s’engagent dans leurs communes ne soient pas des simples exécutants de lois et règlements nationaux mais qu’elles puissent faire, qu’elles puissent expérimenter. Il faut accepter la différenciation. Ce dont a besoin en Bretagne n’est pas forcément ce dont on a besoin en Occitanie, ce qui marche dans une commune d’Alsace ne fonctionne peut-être pas dans une mairie basque. Nous devons accepter la différenciation et faire confiance, a priori, aux élus locaux.

Ainsi l’État s’allégerait de toutes ses missions de contrôle et pourrait redéployer ces forces vives dans des services publics vitaux qui en manquent cruellement. Enfin, il faut vraiment un statut de l’élu local plus protecteur, a minima aligné sur le droit commun : une indemnité à la hauteur des responsabilités, une protection en cas de congés maternité, une aide à la réinsertion à la fin de mandat, une protection face aux risques liés à la responsabilité pénale,

Vous écrivez en conclusion que les “politicailleries” finissent par détruire les bonnes volontés. Qu’entendez-vous par là, et comment sortir de cette logique qui décourage tant d’élus ?

La très grande majorité des personnes qui s’engagent dans un mandat local le font avec beaucoup d’authenticité et de sincérité, sans plan de carrière politique. Ils sont pourtant confrontés dans leur action à des personnalités qui, elles, jouent plus gros et qui peuvent recourir à des manœuvres un peu débectantes. Je pense qu’il existe deux solutions. D’abord apprendre dès le plus jeune âge l’empathie et l’intelligence émotionnelle.

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Le monde politique est le reflet de la société, nous avons les élus que l’on mérite. Le jour où l’attention à l’autre et la fraternité seront socialement plus valorisées que la force, le profil des élus changera. Ensuite, il faut donner plus de pouvoir à ceux qui ne le veulent pas. il y aura des citoyens non professionnels engagés plus le monde politique devra s’adapter. Aujourd’hui il faut maîtriser les codes du monde politique pour être élu. Demain, espérons qu’il faille maîtriser la réalité de la vraie vie pour faire de la politique.


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