« Nous ne sommes pas obligés de signer des accords ». Prononcés avec agacement par Donald Trump, mardi, lors de sa première rencontre avec le nouveau Premier ministre canadien, ces mots ont de quoi dérouter. Et pour cause : depuis l’annonce de sa salve douanière courant mars, le président républicain n’a cessé, au contraire, d’appeler les nations et partenaires commerciaux des États-Unis à négocier des accords bilatéraux. Au fil des semaines, Donald Trump s’est même vanté plusieurs fois que « son téléphone n’arrêtait pas de sonner pour négocier des accords ».
Sauf que, un peu plus de deux mois après le « Liberation Day », où le dirigeant a brandi au monde son tableau de droits de douane, aucun accord commercial majeur, n’a été conclu. Et ce, alors que, comme l’a rappelé The New York Times hier, courant avril, plusieurs membres de l’administration Trump avaient prédit la signature « de 90 accords en 90 jours ».
📍Opacité sur le nombre d’accords en négociation
En réalité, il est difficile d’avoir un chiffre exact du nombre d’accord en négociation, l’administration Trump jouant le jeu de l’opacité. D’autant que, ces dernières semaines, il n’a pas été rare d’entendre Donald Trump dire qu’il allait annoncer un « grand accord » avec tel ou tel pays, sans que l’annonce ne soit faite. Pareil du côté de certains de ses conseillers, qui ont été plusieurs, « en off », à confier à des médias américains l’imminence d’un « deal » commercial, sans donner suite. Cette arlésienne sur les futurs accords commerciaux ne plaît pas aux Bourses mondiales, qui, mardi , ont globalement terminé en baisse. Notamment Wall Street, qui a vu le Dow Jones perdre 0,95 %, le Nasdaq 0,87 % et le S&P 500 abandonné 0,77 %.
Le NYT donne tout de même du crédit à une déclaration de Scott Bessent, secrétaire américain au Trésor, devant la Chambre des représentants cette semaine. D’après lui, les États-Unis seraient en ce moment en train de négocier « avec 17 partenaires commerciaux majeurs, mais pas avec la Chine », dont le dirigeant, Xi Jinping, n’a officiellement pas décroché son téléphone pour discuter avec Donald Trump. Contrairement à ce qu’a dit ce dernier d’ailleurs, ce qui a obligé Pékin à démentir il y a quelques jours.
📍Enfin une rencontre entre Pékin et Washington ce week-end
Mais les choses pourraient peut-être changer cette semaine. La Chine et les États-Unis ont en effet annoncé ce mercredi matin qu’ils allaient se réunir le week-end prochain en Suisse pour jeter les bases d’une négociation commerciale. Ces discussions ont été organisées « à la demande des États-Unis », a tenu à préciser Lin Jian, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, en conférence de presse ce matin. Et le haut cadre de souligner que la Chine « ne sacrifiera pas sa position de principe » et « défendra la justice ».
Première rencontre entre officiels des deux pays depuis que Trump a dévoilé sa « mappemonde douanière », elle réunira à Genève le vice-Premier ministre chinois He Lifeng, le ministre américain des Finances Scott Bessent et le représentant américain au commerce Jamieson Greer. Sans toutefois que cela n’aboutisse à un accord, comme l’a prédit, lors d’un entretien à la chaîne Fox News mardi, Scott Bessent : « Je m’attends à ce que nous parlions de désescalade, pas d’un grand accord commercial (…). Il nous faut la désescalade avant de pouvoir aller de l’avant. »
En parallèle, la banque centrale chinoise a annoncé cette semaine un train de mesures pour soutenir l’économie du pays, menacée par la guerre commerciale avec Washington (145 % de droits de douane), et une consommation intérieure morose. Cette future rencontre n’est peut-être pas étrangère à ces deux données clés, les économies des deux géants, étant, quoi qu’ils en disent, très interdépendantes.
📍 Négociations« très complexes »avec le Canada
Autre grand partenaire commercial des États-Unis, le Canada continue les discussions avec l’administration Trump. C’est pour avancer sur le sujet, que Mark Carney, nouveau chef de l’exécutif canadien, a rendu hier sa toute première visite au président Trump. Mais les négociations sont « très complexes », du propre aveu de Mark Carney, qui a toutefois évoqué « des progrès ».
Aujourd’hui taxés à 25 % par Washington (notamment sur l’acier, l’aluminium, les voitures), Ottawa a déjà, comme le Mexique, un accord de libre-échange avec les États-Unis, dans les faits suspendus par les mesures prises par Donald Trump. L’enjeu est donc de renégocier les termes d’un nouvel accord. Mais le chemin ne sera pas si simple tant les relations se sont tendues entre les deux pays.
Partisan d’une ligne dure avec Donald Trump, Mark Carney a plusieurs fois déclaré qu’il serait ferme dans les lignes rouges à ne pas dépasser. Le dirigeant canadien a d’ailleurs rappelé hier que son pays ne serait « jamais à vendre ». Une pique en lien avec les menaces d’annexion du Canada par les États-Unis, pour en faire un 51e état. Ce à quoi Donald Trump a répondu : « Il ne faut jamais dire jamais. » Et le président américain de réaffirmer hier que pour le moment, il ne reviendrait pas sur sa décision d’imposer des droits de douane au Canada. « C’est comme ça (…). Il n’y a aucune raison pour que nous subventionnions le Canada », a-t-il dit.
📍 Volontaire, l’Union européenne patauge
Sur le front européen, le canal de discussion est bien ouvert, mais il ne porte pas ses fruits pour le moment. Pourtant le commissaire européen en charge du Commerce, Maros Sefcovic, met les bouchées doubles avec le secrétaire au Commerce Howard Lutnick. Le haut fonctionnaire européen a en effet déjà rencontré trois fois son homologue américain… sans parvenir à un accord.
Afin de faire avancer la discussion, dimanche dernier, Maros Sefcovic a annoncé que l’Union européenne envisageait d’augmenter de 50 milliards d’euros ses achats de produits américains, notamment de gaz naturel liquéfié (GNL). Pour la Commission, ce chiffre correspond au déficit commercial réel que les États-Unis ont avec l’UE, mais Washington affirme plutôt qu’il serait de 100 milliards d’euros.
Interrogé par le Financial Times sur le fait de savoir s’il accepterait un prélèvement de 10 % comme plancher dans les négociations commerciales, le commissaire européen a assuré que l’UE considérait cela comme un « niveau très élevé », suggérant qu’elle ne se contenterait pas d’un accord qui maintiendrait les droits de douane à ce niveau.
📍 Pendant ce temps-là, les nations taxées font affaire entre elles
C’est l’autre effet Trump. En parallèle de leurs négociations avec les États-Unis, plusieurs pays veulent renforcer leurs liens entre eux. Pas plus tard qu’hier, l’Inde et le Royaume-Uni ont annoncé la conclusion d’un accord de libre-échange, présenté par Londres comme le plus ambitieux depuis le Brexit. Celui-ci permettra aux deux nations d’accéder à un marché gigantesque de 1,4 milliard de consommateurs.
Selon les prévisionnistes, cet accord permettra une hausse du commerce bilatéral de 25,5 milliards de livres sterling. En outre, le « deal » prévoit que 85 % des droits de douane indiens sur le Royaume-Uni, seront réduits à zéro d’ici dix ans. Par ailleurs, il faut ajouter que Londres est en ce moment en négociation avec l’UE pour un futur traité de libre-échange.
Par ailleurs, Friedrich Merz, le nouveau chancelier allemand, a affirmé ce mercredi que l’accord entre l’UE et le Mercosur « devrait être rapidement ratifié et mis en œuvre ». S‘exprimant lors d’une conférence de presse conjointe avec le président français Emmanuel Macron, le dirigeant a aussi dit avoir conscience des réserves de Paris sur le sujet.
Dans une autre géographie, le président colombien Gustavo Petro a annoncé mardi vouloir signer une lettre d’intention pour que son pays rejoigne l’accord économique et commercial dit des « nouvelles routes de la soie » lors de son voyage en Chine, la semaine prochaine. Pour rappel, la Chine se classe quatrième destination pour les exportations colombiennes, mais est en passe de devenir deuxième, selon Analdex, l’Association colombienne de commerce extérieur.
La plupart de ces « deals », conclus ou en cours, rappellent ce point : les négociations d’accords commerciaux restent complexes et chronophages. Selon une analyse de 2016 du Peterson Institute for International Economics, les négociations pour un seul accord commercial prennent en moyenne plus d’un an, tandis que sa mise en œuvre peut prendre plusieurs années.
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