La construction d’une usine est un évènement rare en France. D’autant plus si elle est destinée à recycler et raffiner des terres rares. Ces 17 métaux du tableau périodique des éléments aux noms méconnus – le scandium, l’yttrium et la famille des lanthanides… – sont indispensables pour la fabrication d’une grande variété d’objets phares de la transition énergétique, allant des éoliennes, pompes, moteurs électriques aux ordinateurs et robots.
La pose ce lundi de la première pierre de son usine à Lacq, près de Pau (Pyrénées-Atlantiques) était donc à la fois un évènement marquant pour la start-up lyonnaise Carester, fondée en 2019, et pour la souveraineté. Baptisée Caremag, elle « représente une avancée majeure vers l’indépendance de l’Europe en terres rares pour les aimants permanents [résistants à la démagnétisation] », s’est félicité son président Frédéric Carencotte. Ce site permettra en effet « de se doter d’une technologie sur laquelle la Chine est en position monopolistique puisqu’elle fournit 98 % du marché européen », a précisé la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, qui avait fait le déplacement avec Laurent de Saint-Martin, ministre du Commerce extérieur.
Un projet bi-national
Il faut dire que Carester vise le marché national, mais également l’export, dès le lancement de la production, prévue entre fin 2026 et début 2027 avec une équipe de quelque 90 personnes. Car le projet est en réalité porté par deux pays : la France et le Japon, qui soutiennent tous deux le projet à hauteur d’une centaine de millions d’euros.
La société a notamment reçu 106 millions d’euros en subventions et avances remboursables dans le cadre des appels à projets France Relance et France 2030, ainsi qu’un crédit d’impôt industrie verte. Une co-entreprise associant l’Organisation publique japonaise pour la sécurité des métaux et de l’énergie à la société nippone Iwatani Corporation s’est engagée de son côté à hauteur de 110 millions d’euros, en fonds propres et en dettes d’actionnaire. L’objectif étant de créer « un partenariat stratégique de long terme comme on a su en construire avec Toyota à Valenciennes », a souligné Agnès Pannier-Runacher.
« Cet investissement s’accompagne de la signature d’un accord d’achat à long terme pour la fourniture au Japon d’oxydes de terres rares lourdes produits par Caremag », précise Carester qui sera voisin à Lacq d’une autre société japonaise, Toray Carbon Fibers Europe, qui construit actuellement sa sixième ligne de production de fibres de carbone.
Spécialisée dans le trading de métaux, Iwatani Corporation, créée en 1930 et employant plus de 11 000 personnes pour un chiffre d’affaires de plus de cinq milliards d’euros, se chargera de vendre la moitié de la production à des partenaires industriels japonais.
Des accords déjà signés en France
En France, Carester a également déjà signé un accord en septembre dernier avec Stellantis pour fournir à la maison mère de Peugeot, Chrysler, Fiat et ses treize autres marques plus de 34 000 tonnes de terres rares sur une période initiale de dix ans. À terme, Caremag devrait être à la fois le premier recycleur européen de terres rares et le plus gros producteur occidental de terres rares dites lourdes, représentant environ 15 % de la production mondiale actuelle. Elle raffinera d’une part 5 000 tonnes de concentrés miniers pour produire 600 tonnes d’oxydes de dysprosium et terbium et recyclera, d’autre part, 2 000 tonnes par an d’aimants pour récupérer quelque 800 tonnes de néodyme et de praséodyme.
Conscients de la préoccupation grandissante de la population locale sur les effets négatifs des industriels du bassin de Lacq, ce qui est également l’un des points d’achoppement concernant la future usine d’Elyse Energy de carburants durables pour l’aviation et le transport maritime, Carester promet de respecter les plus hauts standards environnementaux. L’usine recyclera la totalité de l’eau, 80 % des rejets de CO2 seront recyclés et le nitrate d’ammonium, un coproduit, sera reconcentré et vendu comme fertilisant.
Ce n’est pas l’unique projet de ce type en France. La start-up MagREEsource a inauguré en juin, en Isère, la première usine-test d’Europe produisant des aimants permanents à partir d’aimants recyclés, à hauteur de 50 tonnes par an. Le groupe belge Solvay a également prévu de lancer prochainement dans son usine de La Rochelle la production des premières tonnes d’oxydes de terres rares pour des aimants permanents. Enfin, le groupe minier Orano a initié en 2022 le projet Magnolia pour lancer une production d’aimants permanents, dont la localisation n’a pas encore été trouvée.
