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Plume de discorde
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Dévoilée par le ministère de la Culture le 5 mars, la nouvelle enseigne des marchands de presse devrait remplacer peu à peu la célèbre plume rouge logée dans un carré jaune. Depuis, une polémique sur la pertinence de ce changement a éclaté alors que les professionnels s’inquiètent avant tout de la disparition à plus long terme de ce secteur en crise.
Un toilettage en forme de baroud d’honneur ? Le 5 mars 2025, le ministère de la Culture a dévoilé le tout nouveau logo qui devrait peu à peu venir remplacer la célèbre devanture en plastique jaune à la plume rouge des vendeurs de presse. À la place, les Français vont pouvoir découvrir une structure en métal réalisée par trois designers où le mot presse apparaît en vertical, accolé à une plume grise stylisée. Dans sa communication, la ministre Rachida Dati affirmait que « face aux défis auxquels est confronté le secteur – évolution des usages, transition numérique, nécessité de modernisation – il était essentiel de repenser cet emblème pour accompagner la transformation du métier. »
Mais dans un contexte pour le moins tendu pour les finances publiques, cette annonce et les subventions accordées pour cette modernisation ont déclenché une polémique sur l’utilité même de ce changement. Sur les réseaux sociaux, l’essayiste libéral Olivier Babeau s’interrogeait sur le coût de cette opération, reprenant le slogan du président argentin conservateur et libertarien, Javier Milei : « Faisons un audit. Combien d’ETP (Équivalent temps plein, NDLR) pour suivre ce truc, le concevoir, communiquer dessus, faire bosser des sous-traitants, des agences, etc. ? On veut l’évaluation du coût total de l’affaire. Afuera. » Le député UDR de la Marne à l’Assemblée nationale, Maxime Michelet, a quant à lui critiqué : « C’est laid, on ne comprend pas ce que c’est et on ne comprend pas ce qu’on regarde. Et, surtout, combien va coûter le déploiement de ce gadget inutile, alors que les anciennes enseignes s’étaient installées dans nos quotidiens ? »
Demande du syndicat professionnel
Mais avant de hurler au gaspillage d’argent public, il faut revenir à la genèse de ce projet. À la sortie de la pandémie, les vendeurs de presse avaient été considérés comme des commerces essentiels et la profession venait de subir de plein fouet une autre crise majeure avec la mise en liquidation judiciaire de Presstalis, le principal distributeur en France. « On était alors nombreux à souffrir, on a donc demandé des aides supplémentaires de la part du gouvernement. Notre public vieillissait et cette plume datait de plus de 50 ans alors que les enseignes des buralistes et des pharmaciens avaient déjà évolué. Il fallait trouver un symbole de renouveau, plus écologique aussi », explique Jean-Michel Detchart, président de Culture Presse, le principal syndicat national de la profession.
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C’est donc à la demande du syndicat que la ministre de l’époque, Roselyne Bachelot décide de doubler le montant de l’aide à la modernisation des diffuseurs de presse, dont l’enveloppe dépasse désormais les six millions d’euros par an. Le projet de dépoussiérer l’ancien logo, resté le même depuis le début des années 2000, s’inscrit dans ce contexte de modernisation plus globale de ces commerces sur le territoire. Libre ensuite aux marchands de presse de choisir d’engager ou non les travaux de rénovation de leur magasin et de leur devanture, venant piocher dans cette enveloppe de six millions d’euros. Pour le déploiement de l’enseigne, l’État a annoncé prendre en charge en 2025 et 2026 les dépenses à hauteur de 80 % en zone urbaine et 90 % en zone rurale.
Secteur en crise structurelle
Dans sa communication, le ministère a tenu à souligner, à juste titre, que le nombre de marchands de presse a chuté de 35 % en France en 20 ans. Mais pour les professionnels du secteur interrogés par Marianne, il faudra bien plus qu’un changement de logo pour sauver le métier. « Pour nous, le logo n’est clairement pas la priorité. Année après année, l’achat de journaux et revues se perd, le public vieillit et la presse n’est plus aimée comme avant », s’inquiète Esmeralda, gérante d’un point de vente en Bretagne depuis 2013. Sur les groupes Facebook qui rassemblent des professionnels comme elle, on ne cache pas son pessimisme. « Il y a énormément de messages de personnes qui veulent virer la presse de leurs magasins car il y a trop de travail et une rémunération pas assez conséquente à la clef », résume la Bretonne. Pour le moment, il n’est pas question pour elle d’engager la procédure de rénovation de son enseigne. « Il faut se moderniser oui, je la trouve jolie, mais est-ce que les gens vont s’y retrouver ? Je ne suis pas certaine, pourquoi changer quelque chose qui fonctionne et que tout le monde reconnaît ? », s’interroge Esmeralda.
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De son côté, Franck, gérant d’un Tabac presse dans un village du sud de la France depuis 25 ans, est plus radical. « Ce n’est pas cette nouvelle enseigne qui va relancer la presse, en plus le visuel n’est pas très beau », tranche le gérant. Si lui continue de vendre encore un peu les journaux, c’est seulement pour le flux que cela amène dans sa boutique. « Ça me demande trop de travail chaque matin, et ça prend trop de place dans le magasin alors que je pourrais développer le bar ou les souvenirs. Je viens d’installer un frigo de 80 cm par 80 cm et ça me rapporte beaucoup plus que la presse », reconnaît le commerçant.
Ce constat guère optimiste pour l’avenir, Jean-Michel Detchart le connaît mais il refuse de s’avouer vaincu : « Oui la presse est dévoreuse de temps et d’espace, mais il faut se battre pour la garder et être mieux rémunéré. Si ça n’arrive pas, il est certain que la presse disparaîtra au profit d’autres activités qui dégagent plus de marges, mais je ne peux pas l’imaginer dans un pays comme la France. »
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne