Après trois ans et demi à la tête de l’académie de Paris, Christophe Kerrero démissionnait en février 2024 de son poste de recteur, après avoir été désavoué par la ministre en poste dans son projet de réforme des classes préparatoires parisiennes. Cet ancien professeur de lettres analyse dans L’école n’a pas dit son dernier mot (Robert Laffont) ce qu’est, selon lui, l’école d’aujourd’hui, une machine élitiste qui ne s’intéresse pas assez aux plus faibles.
Marianne : Vous allez jusqu’à écrire que la méritocratie et l’élitisme républicain ne sont plus que des mythes. C’est plutôt étonnant pour un haut fonctionnaire qui a fait l’essentiel de sa carrière à droite. Vous ne mâchez pas vos mots, notamment, à l’encontre de l’ex ministre Amélie Oudéa-Castéra et ce qu’elle incarne, selon vous, de l’élite à la française, coupée de toute réalité sociale.
Christophe Kerrero : Avec ses déclarations sur le lycée privé Stanislas – où elle avait mis ses enfants – et ses propos sur les professeurs absentéistes du public, cette ministre a incarné malgré elle le symbole d’une caste arrogante qui pratique sans complexe la ségrégation scolaire. Plus jeune, je croyais fermement à l’égalité des chances. Aujourd’hui, je pense que c’est un leurre. Les places fortes de l’élitisme scolaire qui conduisent au pouvoir politique, économique ou culturel sont à peine entrouvertes. Dans les grandes écoles, on ne trouve jamais plus de 10% d’étudiants issus de milieux défavorisés. Et moins de 5% dans les 10% les plus sélectives. Pas besoin d’être bourdieusien pour voir que ces chiffres sont figés depuis les années 1960 !
Quand on est né dans le ghetto, aujourd’hui, on y reste. Songez que les jeunes ayant passé leur bac à Paris ne représentent que 3% des élèves Français mais 27% des effectifs d’HEC et de Polytechnique ! Il ne faut pas s’étonner ensuite que nos élites soient déconnectées des préoccupations de la France périphérique. Les jusqu’au boutistes de l’élitisme « à la française » rétorqueront que dans un système pensé pour servir l’intérêt général et l’État, il est juste que les moins bons soient écartés des filières et des postes prestigieux. Et tant pis si ce sont les moins favorisés. Nous nous achetons une bonne conscience à peu de prix à coups de bourses et quotas. En réalité, les performances scolaires n’expliquent que pour partie l’accès en classes prépas. Je ne veux pas faire du « prépa bashing » mais leur fonctionnement, pétri d’individualisme et d’hyper-sélectivité, fait figure de modèle pour l’ensemble du système éducatif français. C’est un modèle de qualité pour extraire une élite. Mais il est devenu obsolète pour répondre aux défis d’aujourd’hui. Il est illégitime dans une société démocratique qui doit répondre aux besoins de l’école de masse.