Aux États-Unis, tout est oublié. Sous la seconde présidence Trump, Elon Musk démantèle fièrement les agences fédérales, au premier rang desquelles l’Institut national de la santé. De brillants scientifiques sont limogés à la chaîne.
Une grippe aviaire sévit dans les élevages américains, elle a passé la barrière des espèces et contaminé 70 humains ? 10 % des salarié·es des centres de contrôle des maladies ont été remercié·es, ainsi que 5 600 personnes sous contrat avec le département de l’agriculture, dont certaines étaient chargée du suivi de la grippe aviaire. Une épidémie de rougeole – virus le plus contagieux au monde – s’est déclarée ? Un enfant en est mort ? Le nouveau ministre de la santé Robert Kennedy Jr. laisse le choix aux Américain·es : le vaccin ou l’huile de foie de morue.
En France, que reste-t-il des expériences acquises dans la lutte contre cette pandémie, qui a tué près de 170 000 personnes ? Les politiques français·es sortent blanchi·es : l’enquête de la Cour de justice de la République est close et devrait aboutir à un non-lieu. Le 16 mars 2020 au soir, il y a cinq ans, le président nous annonçait « la guerre ». C’était dire la naïveté, l’impréparation et la prétention face à ce virus.
La crise de la gestion de crise
En 2005, pourtant, la France était prête. Elle s’était dotée d’un plan pandémie, régulièrement remis à jour, pour la dernière fois en 2011, rappelle le rapport indépendant sur la gestion de la crise rendu en mars 2021 par Didier Pittet, épidémiologiste suisse. Selon lui, en 2011, le plan français « montre un degré de complétude comparable à ceux d’autres pays développés », de la planification aux outils de commandement, en passant par la communication.
Puis le risque pandémique a été perdu de vue. Le 7 mars 2020, Emmanuel Macron se rendait au théâtre avec son épouse. « La vie continue », disait-il aux Français·es, alors que l’Italie du Nord comptait déjà ses morts.
La France a pourtant activé tôt son premier niveau d’alerte : dès le 22 janvier 2020, un Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss) est monté au sein du ministère de la santé. Agnès Buzyn, ministre de la santé jusqu’au 16 février, assure dans son livre en forme de retour d’expérience avoir multiplié les messages d’alarme auprès du premier ministre et du président de la République, en vain. Ce n’est que le 17 mars, jour du confinement, que le fardeau de la crise est enfin partagé : est alors créée une cellule interministérielle de crise, qui mobilise tout l’appareil d’État.
Dès le 14 mars, cependant, la première vague épidémique submergeait les hôpitaux de la région Grand Est, comme en Italie un peu plus tôt. Et tout manquait déjà : lits de réanimation, masques ou surblouses, etc. Les hôpitaux d’Île-de-France se retrouvaient à leur tour submergés par des malades du covid en détresse respiratoire. À ce moment-là, ne restait plus qu’une seule solution de santé publique, la plus médiévale : le confinement de la population.
Des réformes administratives ont-elles été conduites pour ne plus perdre ces jours précieux qui, face à un virus, se paient en morts ? En réponse à nos questions, le ministère de la santé explique que « la Direction générale de la santé (DGS) a dédié davantage d’effectifs à la réponse aux alertes ». Et les pouvoirs du DGS – incarné par Jérôme Salomon pendant la crise – se sont accrus : il pourra désormais prendre la main sur toutes les « directions et services ministériels concernés par la crise ».
Au 1er mars 2024, un nouveau Centre de crises sanitaires (CCS) a été créé, toujours au sein du ministère : il regroupe « 65 personnes aux profils variés (médecins, pharmaciens, ingénieurs, épidémiologistes, gestionnaires de crise, cadres de l’administration) ». Le ministère de la santé espère ainsi « raccourcir les circuits de décision ».
Le mensonge en politique
Au ministère de la santé, Agnès Buzyn a su très tôt que le stock de masques était famélique : le 24 janvier 2020, elle apprend qu’il y en a moins de 100 millions dans les réserves de Santé publique France, alors qu’il y en avait plus de un milliard au début des années 2010.
La France se retrouve sans moyens de protection élémentaires contre un virus respiratoire. Certes, aucun chercheur n’avait jusqu’alors pris la peine de prouver l’utilité des masques. Pourtant, tout le monde en cherche, instinctivement : le gouvernement, les hôpitaux, les administrations, les entreprises, chaque Française et chaque Français. Mais le gouvernement choisit d’infantiliser la population. C’est le « mensonge d’État » révélé par Mediapart.
Le 27 janvier, Agnès Buzyn, qui est professeure de médecine et mesure donc bien les besoins, affirme sans ciller que « des dizaines de millions de masques [sont] en stock, en cas d’urgence », que « tout cela est parfaitement géré par les autorités ». Son remplaçant, Olivier Véran, affirme lui aussi, le 18 février, que la « France est prête » face au « risque pandémique ».
« Il n’y a pas de sujet de pénurie », dit encore le 26 février le directeur général de la santé Jérôme Salomon. Le 19 mars, deux jours après le confinement, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye affirme encore : « Les Français ne pourront pas acheter de masques dans les pharmacies parce que ce n’est pas nécessaire quand on n’est pas malade. »
Santé publique France s’est retrouvée en première ligne en 2020. L’agence assure à Mediapart avoir depuis « multiplié par dix » ses stocks de masques – « 1,369 milliard, entretenu par des commandes régulières » – et par deux ses capacités de stockage, aussi vastes que « 43 stades de football répartis sur toute la France ». « 1 000 produits sont référencés », poursuit l’agence.
Dans ces entrepôts, il y a bien des masques, mais aussi 264 millions de doses de vaccins contre le covid-19, des antitoxines botuliques, des vaccins contre la typhoïde, utilisés à Mayotte, ou encore des « vaccins prépandémiques contre la grippe aviaire ».
Des coupes budgétaires pour la recherche
« C’est à se demander si on apprend des leçons de l’histoire, et même d’une histoire très récente », a fermement dénoncé, sur France Info Yasmine Belkaid, directrice générale de l’Institut Pasteur. L’histoire, c’est celle du covid, et les leçons qui devraient être retenues sont les moyens dont doit disposer la recherche, en baisse de 630 millions d’euros dans le budget 2025. « Si on diminue les investissements, on se rend extrêmement vulnérables et dépendants », prévient-elle encore.
L’Agence nationale de la recherche sur les maladies infectieuses et émergentes (ANRS-MIE), qui finance les projets de recherche en France dans ce champ, ne subit en 2025 pas de baisses budgétaires, selon son secrétaire général, Jean-François Sicard. L’agence peut même doubler le nombre de postes de fonctionnaires sur quatre ans. Mais elle anticipe les difficultés et a d’ores et déjà commencé à négocier « pour la stabilisation de [ses] ressources à partir de 2026 ».
Le virologue Étienne Decroly voit lui bel et bien « le retour des difficultés budgétaires ». Il travaille au CNRS à Marseille, notamment sur les coronavirus. Avant la pandémie, son laboratoire finançait difficilement ses recherches sur cette famille de virus, malgré leur dangerosité avérée : le SARS-CoV et le MERS-CoV avaient déjà traversé la barrière des espèces et contaminé l’homme en 2002 et 2012. Pourtant, cinq ans après, « on est en train d’abandonner une bonne partie de ces travaux, faute de financements suffisants », dit-il .
Le laboratoire auquel il appartient parvient à remporter d’autres appels à projets, financés par la France ou l’Union européenne. « Mais qui est légitime pour décider des sujets pertinents ? », s’interroge le virologue. Sur les coronavirus, son laboratoire fait de « la recherche fondamentale, qui devrait être financée sans objectifs, simplement pour faire progresser la connaissance, qui sera le terreau de médicaments et vaccins de demain ».
Étienne Decroly répète l’évidence : « Les coronavirus restent dangereux pour la santé humaine. Le covid fait encore plus de morts que la grippe. Et les élevages intensifs sont un terrain très propice à une nouvelle zoonose. Il faut continuer à travailler sur le fonctionnement des virus zoonotiques pour développer des stratégies antivirales ou vaccinales nouvelles. »
Les malades du covid long, toujours sans soins
Quelques semaines après le début de l’épidémie en France, des premiers malades ont commencé à se manifester sur les réseaux sociaux. Après la phase aiguë du covid, ils expliquaient continuer à souffrir au long cours d’épuisement, d’essoufflement, de palpitations cardiaques, de troubles cognitifs. Un premier collectif de malades s’est créé, AprèsJ20, soit « après le 20e jour ». Ce syndrome post-infectieux a désormais un nom, le covid long, au sujet duquel les recherches commencent seulement dévoiler les causes.
Plus de deux cents symptômes différents, qui touchent presque tous les organes, ont été décrits. Un article de Nature Medicine, en avril 2024, estime à 400 000 millions le nombre de personnes souffrant d’un covid long dans le monde, à divers degrés. En France, 4 % de la population serait touchée, soit 2,7 millions de personnes. 30 % des cas sont sévères. Et la prévalence ne semble pas diminuer avec le temps, selon de récentes études américaines. Dans sa clinique près de Montpellier, le docteur Larché a diagnostiqué en 2024 « plus de 400 nouveaux patients. Leur nombre ne baisse pas ».
« Le variant Omicron provoque moins de covids longs, explique Jérôme Larché, médecin interniste à la clinique du parc à Montpellier. Mais comme les infections sont bien plus nombreuses, le nombre de covids longs ne baisse pas. » Ce médecin travaille dans un des cinq centres qui diagnostiquent le covid long dans la région Occitanie. « C’est la seule région où il y a une organisation des soins, regrette Matthieu Lestage, membre de l’association AprèsJ20. Le gouvernement assure que tous les covids longs sont pris en charge, mais c’est faux. J’en souffre depuis cinq ans, j’habite dans le Centre-Val de Loire, et je suis obligé de me déplacer à Paris. »
Le diagnostic est posé à partir du moment où tout autre diagnostic est exclu. Il n’existe pas encore de traitement, mais de la rééducation est proposée aux malades. En Occitanie, 25 établissements en proposent : rééducation cognitive, cognitive, à l’effort, olfactive, etc.
La crise permanente de l’hôpital
En janvier 2025, au plus fort de l’épidémie de grippe, les services d’urgence ont connu une nouvelle situation de « tension sanitaire extrême », selon le syndicat Samu Urgences de France. Il a interrogé plus de 130 services d’urgence : 85 % étaient en tension et 30 % ont déclaré des événements désirables graves liés à la surcharge de leurs services.
Le nombre de lits de réanimation, qui ont tant manqué au plus fort de la crise, a augmenté en 2020, pour baisser de nouveau en 2021 (− 1,2 %) et 2022 (− 1,6 %), selon les chiffres de la Direction des études du ministère de la santé.
Le docteur Yannick Gottwalles, chef du pôle des urgences à l’hôpital de Colmar, était aux premières loges quand le covid a dévasté la région Grand Est, à la suite d’un rassemblement évangélique à Mulhouse. Il ne se fait aucune illusion : si son hôpital devait faire face à une autre épidémie de cette ampleur, « ce serait pire ! », s’écrie-t-il. « Aucun enseignement n’a été tiré. Très rapidement, la même politique de gestion économique de l’hôpital est revenue. Les lits ferment faute de personnel. Le Ségur n’a pas suffi : les salaires des soignants restent dérisoires par rapport au reste de l’Europe. » Et à cela s’ajoute, selon lui « une plus grande défiance vis-à-vis de la médecine et de la science ». Cet hiver, il a vu défiler les patient·es grippé·es non vacciné·es.
La population française adhère pourtant à 84 % à la vaccination, un niveau « stable et élevé », selon la dernière étude de Santé publique France. Mais les vaccinations contre la grippe et le covid-19, recommandées au plus de 65 ans, sont à la peine : 54 % se sont vaccinés contre la grippe et 30 % contre le covid-19, en 2023-2024.
Le charlatanisme médical
Le 25 février, avant même d’avoir vu un seul malade, le professeur Raoult annonce, sur la page Facebook de l’Institut hospitalo-universitaire d’épidémiologie qu’il dirige, un « scoop » : le nouveau « coronavirus chinois » serait, selon lui, à l’origine de « l’infection respiratoire la plus facile à traiter. Pas la peine de s’exciter ! ». Avec 500 mg de chloroquine par jour pendant dix jours, il promettait « une amélioration spectaculaire », dans « tous les cas cliniquement positifs ».
Mathieu Molimard, professeur de pharmacologie au CHU de Bordeaux, ne connaissait pas encore l’infectiologue marseillais. Il se souvient juste du « soir de l’annonce du confinement ». « On s’appelle avec deux collègues, et on se dit qu’il faut faire quelque chose, car les gens vont croire n’importe quoi… »
Les pharmacologues, spécialistes de l’efficacité et des risques du médicament, décident de communiquer sur le site de la société française de pharmacologie et de thérapeutique : « On a créé une foire aux questions, pour répondre aux patient et aux médecins avec des informations validées par notre conseil scientifique. Nous avons tout de même eu cinq millions de vues »… Hélas presque rien en comparaison des saillies médiatiques de Didier Raoult.
« Très rapidement, nous avons pu établir que l’hydroxychloroquine ne pouvait pas être efficace, et que le risque n’était pas nul, notamment au niveau cardiaque, explique le professeur Molimard. Heureusement que sa délivrance a été très vite interdite en ville, sinon on aurait eu des centaines de morts. Mais on était inaudibles : il y a eu une campagne médiatique autour de Didier Raoult, les politiques ont suivi, y compris le premier d’entre eux [Emmanuel Macron – ndlr]. Tout cela démontre un manque de culture scientifique. »
Finalement, Mathieu Molimard estime que Didier Raoult a perdu : « Ses principales études sur le covid ont été rétractées. Et il n’est plus reçu que chez Hanouna. » Mais pour la recherche française, l’épisode reste cuisant : « Tout le monde s’est mis à travailler sur l’hydroxychloroquine, sans aucune méthode. Heureusement que les Anglais étaient là… »
La recherche britannique s’est en effet coordonnée pour mener le plus vaste essai clinique au monde, qui a inclu 11 000 patient·es et testé de nombreuses molécules. La branche de l’essai dédiée à l’hydroxychloroquine a été très vite arrêtée, faute de résultats. Ce sont finalement les corticoïdes qui ont démontré une réelle efficacité sur les formes graves du covid. De ce fiasco médical français, « aucune leçon n’a été tirée, on a mis la tête sous le tapis », estime Mathieu Molimard.
Une zoonose ou une fuite de laboratoire ?
L’origine du SARS-CoV-2 est la clé manquante pour tirer correctement les leçons de cette pandémie. La prédation humaine est-elle à l’origine d’une nouvelle zoonose, le passage d’un virus de l’animal à l’homme ? Le premier SARS, en 2002, est passé de la civette, un mammifère sauvage, à l’homme, dans le contexte d’un élevage. Le rôle de la civette dans l’émergence SARS-CoV-2 est encore une piste de recherche aujourd’hui. Mais l’animal hôte, qui a transmis le virus à l’homme, peut-être sur le marché de Wuhan, n’a toujours pas été identifié.
À l’hypothèse de la zoonose, s’oppose celle de l’accident de laboratoire. Wuhan est la capitale mondiale de la recherche sur les coronavirus. Un groupe international de chercheurs, appelé Drastic, a peu à peu réuni, en Chine et aux États-Unis, des documents qui attesteraient que des recherches expérimentales de gain de fonction ont été menées sur des coronavirus, à Wuhan, peut-être financées par les États-Uniens.
Ces recherches sont faites dans un but louable : comprendre comment les virus peuvent passer de l’animal à l’homme, dans l’espoir de pouvoir développer ensuite des vaccins ou des médicaments qui contrecarrent ces modifications. Seulement, de très nombreux chercheurs et chercheuses alertent, depuis les années 2000, sur la dangerosité de ces expériences, d’autant plus quand elles sont menées dans des laboratoires peu sécurisés, comme à Wuhan.
Que l’une ou l’autre thèse se vérifie ne change rien : aucune leçon n’a été tirée. « En Chine, des expériences récentes ont eu lieu sur un MERS-CoV de chauve-souris, capable d’infecter des cellules humaines, rapporte le virologue Étienne Decroly. Tout cela dans un laboratoire P2, soit des conditions de sécurité insuffisantes pour ce type d’expériences. On a besoin d’une réglementation internationale. » Et l’homme continue son entreprise de prédation du vivant, quels qu’en soient les risques.