“Comment confier l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle à Notre-Dame de Bétharram ?”

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“Comment confier l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle à Notre-Dame de Bétharram ?”




















“Le réseau de silence et de complicité qui s’est tissé autour de Bétharram a eu sa matrice au sein de l’Église”
Quentin Top / HANS LUCAS via AFP

Tribune

Par Assan Lakehoul

Publié le

Pour Assan Lakehoul, secrétaire général du Mouvement jeunes communistes de France, l’Affaire Bétharram est révélatrice d’un certain nombre de problèmes que pose l’enseignement catholique sous contrat. Il pointe une responsabilité qui n’est quasiment jamais évoquée : celle de l’Eglise.

Plusieurs dizaines de plaignants déclarent aujourd’hui avoir subi des violences morales, physiques, sexuelles, dans l’établissement scolaire privé catholique Notre-Dame de Bétharram. Très probablement, le nombre des victimes dépasse largement celui des plaignants aujourd’hui connus, et ces violences ont été tues pendant des années.

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La responsabilité du Premier ministre, François Bayrou, est aujourd’hui engagée. Le sujet est abondamment traité dans le débat public. Une autre responsabilité n’est, elle, quasiment jamais évoquée : celle de l’Église catholique et de tout le système de l’enseignement privé confessionnel en France.

Le rôle de l’Église catholique ?

Pendant des années, le réseau de silence et de complicité qui s’est tissé autour de Bétharram a eu sa matrice au sein de l’Église. À tel point qu’après qu’une première plainte eût été déposée, le directeur de l’institution de l’époque, accusé de deux viols, put se réfugier au Vatican alors que l’enquête était en cours. En 1957, lors d’une précédente affaire de viols et d’agression sexuelle commis par un religieux sur des internes, l’une des victimes avait dénoncé les pressions subies de la part du clergé catholique pour obtenir son silence. Le religieux mis en cause à l’époque avait été muté à Bethléem, pas exactement un placard dans la mystique chrétienne.

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Nous confions aujourd’hui l’éducation de centaines de milliers d’enfants à l’Église catholique qui, avec les financements de l’État, reste maîtresse en de nombreux domaines dans les établissements. De manière structurelle, les établissements privés sous contrats sont moins inspectés que les établissements publics et le pouvoir du chef d’établissement est sans commune mesure avec la situation dans l’Education nationale. Avec ses institutions, ses lois, sa doctrine, l’Église ne crée-t-elle pas un système parallèle, où les actions de prévention et la bonne marche de la justice sont ralenties, voire empêchées ?

Il apparaît dans les différentes affaires Bétharram que les institutions de l’Église ont été saisies avant la Justice de la République et qu’elles ont failli. Sommée de répondre aux multiples affaires de violences sexuelles dans ses rangs, l’Église a créé en 2022 un tribunal pénal canonique, qui applique le Code du droit canonique et prétend juger des délits commis par toute personne baptisée, y compris les violences sexuelles. Quelle autre institution aurait été autorisée à créer un « tribunal » pour appliquer des « lois » qu’elle édicte et qui ne sont pas celles de la République ? Laisser exister ce « tribunal » et ces « lois », n’est-ce pas détourner des milliers de croyants du droit commun, notamment en matière pénale ?

Le Code canonique

Le Code canonique en vigueur est-il compatible avec la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ? Plus spécifiquement, permet-il aux établissements catholiques de lutter contre les violences en leur sein, et d’assurer leur prévention par l’éducation à la vie affective et sexuelle, obligatoire depuis 2001.

Le Code canonique est très clair sur l’organisation de l’enseignement religieux. L’évêque « du lieu a le droit pour son diocèse de nommer ou d’approuver les maîtres qui enseignent la religion, et de même, si une raison de religion ou de mœurs le requiert, de les révoquer ou d’exiger leur révocation. » (C.805). Décidons-nous de laisser aux évêques l’encadrement de personnels éducatifs en contact constant avec les enfants, sans que ces derniers n’aient reçu aucune formation encadrée par l’État exigé habituellement ? Par ailleurs, puisque nous estimons que l’éducation à la vie affective et sexuelle est l’un des leviers majeurs pour faire reculer les violences sexistes et sexuelles dans la société, y compris dans les lieux d’enseignement, peut-on de bonne foi la confier à l’Église ?

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Là encore le Code canonique est extrêmement clair sur les conceptions de la famille, du couple, du consentement. Les personnes pratiquant l’avortement sont excommuniées (C.1397) et l’avortement est mis sur le même plan que l’homicide volontaire (C.1041, 1046 et 1049), comme l’a d’ailleurs rappelé le pape en qualifiant les médecins belges de « tueurs à gage ». Le mariage est une « alliance irrévocable » (C.1057) entre un homme de plus 16 ans et une femme de plus de 14 ans (C.1083). Il n’est valide que « consommé » et « l’impuissance à copuler » annule le mariage (C.1084).

Lorsqu’il s’agira de trancher entre deux enseignements contradictoires, entre le consentement et le devoir conjugal, qui du professeur ou du théologien aura le dessus ? Nous pouvons jouer les naïfs et croire que l’Église est allée au bout de sa laïcisation, mais quand une organisation édite un Code, dont l’une des prétendues lois dispose « qu’il appartient à l’Église d’annoncer en tout temps et en tout lieu les principes de la morale, même en ce qui concerne l’ordre social » (C.747), nous pouvons anticiper que la question de l’application réelle des programmes d’EVARS (Éducation à la vie affective, relationnelle, et à la sexualité) va se poser, et que l’enseignement privé sous contrat risque de ralentir l’application d’une mesure d’intérêt général extrêmement urgente.


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