Après le concept, la concrétisation. Depuis l’appel d’Emmanuel Macron exhortant l’industrie de l’armement de produire, dans le contexte de l’économie de guerre, davantage et plus rapidement, comment les industriels de défense orchestrent-ils leur montée en puissance ? Pour Eric Béranger, PDG du missilier MBDA, l’économie de guerre n’est pas uniquement synonyme de massification. Il s’agit aussi de « s’adapter aux besoins, en permanence, qui évoluent fortement dans beaucoup de directions et de façon simultanée », lance-t-il.
Face à cette donne, MBDA, qui affiche un carnet de commandes record (37 milliards d’euros), illustre plusieurs de ses avancées ces dernières années. « Sur les armes de décision, nous avons très fortement augmenté les volumes, la vitesse et réduit les délais de fabrication. Nous avons augmenté notre production de Mistral par quatre. Et cette année, nous allons livrer cinq fois plus d’Aster que ce qui était prévu initialement », se félicite Eric Béranger. Autre jalon franchi, le groupe missilier s’apprête à présenter au Bourget « une nouvelle munition de longue portée développée pour la saturation dans le cadre du pacte drones avec la DGA », met-il en avant. La recette de ces progrès ? Elle consiste à « modifier nos façons de travailler, mais pas uniquement la nôtre. Il s’agit aussi d’aider toute la chaîne de fournisseurs à monter en puissance », considère-t-il. Et qui implique des recrutements conséquents.
Chez Airbus Helicopters, engagé dans des programmes de long terme tels que l’évolution de l’hélicoptère Tigre, le contexte de l’économie de guerre a « mis le focus », sur plusieurs enjeux, dont celui, commun avec l’ensemble de l’écosystème, de certification. « Nous divisons par deux les durées de visite. Cela se traduit par une transformation et une évolution de nos process », abonde Bruno Even, président exécutif d’Airbus Helicopters.
La montée en cadence par son groupe est « avant tout tirée par les contrats à l’export sur lesquels nous sommes bien positionnés », entre autres dans le domaine des programmes comme le Caracal, « plus que des commandes supplémentaires sur les deux ou trois dernières années au niveau national », précise le dirigeant d’Airbus Helicopters qui, par ailleurs, a engagé une modernisation de son site de Marignane. Un « enjeu de compétitivité », d’automatisaton, de digitalisation et d’environnement, qui devrait permettre au groupe de gagner de nouvelles parts de marché. De son côté, Hervé Dammann, directeur général adjoint des systèmes terrestres et aériens chez Thales, note lui aussi une montée en puissance de la production, tant dans le domaine des radars que des effecteurs. En matière de radars, elle a été multipliée « par trois en deux ans. Et nous nous apprêtons à le faire par quatre sur nos sites français et à l’étranger », assure-t-il.
Accompagner la supply chain
Thales porte en outre un effort particulier sur la supply chain, au vu de la masse de sous-traitants du groupe, quelque 3 800 entreprises des start-up aux ETI. Ainsi, « nous sommes associés avec la DGA pour identifier le plus tôt possible, dans la chaîne de sous-traitants, quels pourraient être les sous-traitants critiques susceptibles de connaître des difficultés financières. Dans ce cas-là, nous essayons de les accompagner », affirme-t-il.
Au vu de ces témoignages les industriels sont-ils au rendez-vous depuis ces trois dernières années ? « Nous sommes régulièrement challengés et nous devons nous considérer en permanence dans l’émulation d’un adversaire qui a les mêmes capacités et les mêmes compétences que nous. Si on prend le cas de la Russie, c’est un pays qui forme des ingénieurs, qui a des chercheurs, la Chine également », nuance pour sa part Walter Arnaud, sous-directeur au sein du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique de la direction générale pour l’armement. Autrement dit, fini l’asymétrie, les adversaires sont « à notre dimension ». Mais il préfère voir le verre à moitié plein. « La supply chain avait besoin de progresser. Et de fait, il y a eu un effort collectif », estime-t-il.
Coopération avec le civil
Enfin, pour monter en puissance, l’enjeu pour les industriels de la défense est aussi d’accélérer en travaillant avec des sociétés dans l
e secteur civil. « La coopération avec le monde civil est importante et nous le faisons avec l’industrie automobile. Ils ont l’habitude de massifier », témoigne de son côté Hervé Dammann. « On a intérêt à multiplier ce type de partenariat », dit-il. Écho similaire du côté de MBDA, qui travaille avec l’industrie automobile ainsi qu’avec des start-up et des PME pour innover, entre autres grâce à l’IA.
Renforcer la résilience
Reste qu’une récente note de Bercy a envoyé quelques signaux contradictoires dans ce sens. « La note en question a juste vocation à éviter une mauvaise interprétation », défend Walter Arnaud. Autrement dit, elle mettait en garde que « le fait de travailler avec les industriels de la défense ne comblera pas l’impact d’une crise massive dans le secteur civil ». Si toutes les bonnes volontés sont bienvenues, gare aux « fantasmes » sur les capacités de la défense à absorber une crise civile, analyse le sous-directeur au sein du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique de la direction générale pour l’armement. Et de réaffirmer que dans l’effort de défense, « il est clair que si on veut profiter de l’innovation et de capacités de production massifiées, une des voies logiques et rationnelles est de se tourner vers l’industrie civile notamment automobile » qui en a l’habitude.
Plus largement, Walter Arnaud affiche sa confiance dans la résilience de la base industrielle et technologique de défense. « On a encaissé une crise Covid, puis l’Ukraine. La BITD a tenu dans des conditions sportives ». Même si cette résilience « native » mérite d’être encore renforcée. « A la fin, dans ce travail collectif, tout le monde a gagné en performance, que ce soit l’État ou les industriels de toute part », conclut-il. Un atout pour la suite, d’autant que l’émulation est « le nouveau paradigme » dans l’industrie de l’armement.
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Natasha Laporte