97 millions d’euros à destination des acteurs publics de la recherche et de l’innovation en immunologie à Marseille, qu’il s’agisse d’immunothérapies contre le cancer, de maladies infectieuses ou de thérapies contre les maladies auto-immunes… C’est ce que l’État doit distribuer au Marseille Immunology Biocluser (MIB), porté par un consortium d’acteurs parmi lesquels Aix-Marseille Université, des établissements hospitaliers, les collectivités locales, des structures de l’innovation et de la recherche et le monde économique. Avec une ambition pour les dix années à venir, celle de structurer et renforcer cet écosystème en pointe depuis une bonne quarantaine d’années. En particulier s’agissant de lutte contre le cancer.
« Tout a commencé par des recherches purement fondamentales, guidées par la curiosité de quelques-uns qui souhaitaient comprendre comment fonctionnait notre système immunitaire », retrace Eric Vivier, directeur scientifique d’Innate Pharma et aussi, désormais, à la tête d’un autre biocluster, celui de Paris Saclay, dédié au cancer. Des recherches qui se structurent autour d’outils – comme le Centre d’Immunologie de Marseille Luminy (CIML), créé en 1976 – et qui aboutissent, des années plus tard, à des applications dans les établissements hospitaliers autant que dans des entreprises privées nées de ces découvertes. Innate Pharma – 200 salariés, 7 produits en cours d’essais cliniques – est de celles-ci. De sorte que Marseille s’est imposée comme « un berceau de l’immunologie », observe Denis Bertin, vice-président de la fondation Amidex qui a co-porté le MIB.
Soutenir et maintenir les start-up sur le territoire
Parmi les points forts du territoire en matière d’immunologie : « le soin, la recherche fondamentale et un important nombre de sociétés issues de cette recherche, énumère Denis Bertin. Chaque année, nous assistons à environ deux créations de spin-off [sociétés valorisant des travaux de recherche, ndlr] en immunologie ». Denis Bertin souligne néanmoins quelques failles de l’écosystème. Parmi elles, une difficulté à faire émerger des médicaments. Difficulté qui s’explique notamment par le manque d’essais cliniques en phase précoce et une lisibilité insuffisante des nombreux travaux menés par les chercheurs, limitant l’apport de soutien par les investisseurs et les groupes de l’industrie pharmaceutique. Et lorsque des start-up se développent, il est fréquent de les voir passer dans le giron d’entités étrangères, américaines bien souvent. Ce qui pose des questions de souveraineté.
Pour résorber ces failles et renforcer l’écosystème, le MIB repose donc sur trois briques. Parmi elles, une brique technologique visant à « faciliter l’identification de molécules d’intérêt », explique Carole Masurier, directrice du Marseille Immunology Biocluster. « Nous allons travailler avec de grands comptes sur des technologies d’identification et voir dans quelle mesure ces technologies peuvent répondre à nos besoins ».
Seconde brique : augmenter le nombre d’essais cliniques en phase précoce. « Pour cela, il faut que l’on travaille davantage avec les industriels. Il faut que nous définissions les modalités de collaboration avec eux, que nous levions les verrous et que nous nous inspirions de ce qui fonctionne, à l’image de nos deux centres d’essais précoces en cancérologie ».
Enfin, le MIB doit s’atteler à encourager le passage de la recherche à l’innovation grâce à l’incubation d’une trentaine de start-ups en dix ans. Il dispose pour cela d’un espace dédié au sein de la Cité des savoirs et de l’innovation (Cisam) et d’une offre de formations censée apporter des compétences tant en immunologie qu’en gestion d’entreprise. « Sur ce volet, les choses s’amorcent », assure Carole Masurier. « Deux porteurs sont en passe de créer leur start-up. Et nous travaillons avec les structures académiques pour identifier les bons porteurs et leur faciliter l’accès au financement ».
À la clé, de nombreux emplois pour le territoire. « Lorsqu’une biotech se développe, elle peut vite recruter 30 à 50 salariés », observe Carole Masurier. Avec un impact significatif sur les prestataires. De sorte que le MIB table sur la création d’environ 2000 emplois pour le territoire. Sans compter les emplois plus indirects liés à l’arrivée de nouveaux habitants sur le territoire, qu’il est difficile de chiffrer.
Pour accompagner ces start-up sur l’épineuse question du financement, le MIB réfléchit également, en lien avec l’État, à la création d’un fonds d’investissement dédié à l’immunologie. Un outil local, mais dont la portée serait nationale.
Un modèle à construire et à pérenniser
Car les 97 milliards d’euros du MIB ne sont là que pour donner un élan. Il faut d’ores et déjà penser l’après, quand ce financement se sera éteint. « Dans le cadre de MIB, nous devrions recruter une soixantaine de personnes d’ici quatre ans. Il faut que nous trouvions des moyens pérenniser notre modèle économique ». Avec une inspiration en tête, celle de Boston qui a «r éussi à bâtir un écosystème capable d’attirer les investisseurs ».
« En favorisant les partenariats public-privé, le biocluster peut créer un cercle vertueux qui donne envie de contribuer à la recherche et au territoire », imagine Eric Vivier.
De quoi autonomiser le modèle. Ce qui ne doit, insiste Eric Vivier, dispenser de continuer de soutenir la recherche fondamentale. « La recherche fondamentale est la source de tout. Quand Einstein transforme la physique, il ne peut en aucun cas imaginer que ces travaux permettront la création du GPS. Or, lorsque nous nous comparons aux autres dans la compétition internationale, nous constatons que nous possédons encore une marge de progression. C’est bien beau de vouloir une Start-up Nation, des applications cliniques et industrielles, mais sans la recherche fondamentale, rien n’est possible. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer. Les salaires des chercheurs français sont trop peu attractifs. Et dans les laboratoires publics, les fonctions support sont trop souvent portées par les directeurs de laboratoires, faute d’assistants. Aujourd’hui, la réalité c’est que les chercheurs cherchent surtout de l’argent. Et c’est autant de temps qu’ils ne consacrent pas à faire de la recherche ».