Quentin de Groeve / Hans Lucas
Tribune
Par Marie Dosé
Publié le
Dix-neuf avocats mettent en garde contre les méthodes de plusieurs commissions d’enquêtes parlementaires, dont celle présidée par Sandrine Rousseau qui vient d’achever ses travaux. Certaines auditions ont concerné des faits visés par des procédures judiciaires en cours, en dehors de toutes garanties inhérentes au procès équitable, et le parti pris assumé de sa présidente met à mal toute velléité de contradictoire.
Chaque jour, nous accompagnons en audience correctionnelle, en interrogatoire ou en garde à vue, des justiciables exposés à des accusations dont ils ont à se défendre dans un contexte médiatique parfois délicat, voire hostile. Leur est bien sûr conféré le droit au respect de leur présomption d’innocence, mais aussi celui de ne pas s’auto-incriminer, de connaître la nature des accusations, d’accéder à leur dossier et de garder le silence, ou encore de discuter de la valeur probante de tel ou tel témoignage.
Or aucun de ces droits ne s’applique à celui qui se trouverait convoqué par une commission d’enquête parlementaire, et forcé de s’y rendre. Ni le droit de se taire (refuser de répondre est passible de deux ans d’emprisonnement), ni celui de connaître la nature des accusations formulées, ni même de discuter contradictoirement les termes du rapport que la commission produira in fine – et qui fera généralement l’objet d’une large publicité. Le législateur de 1958 en a décidé ainsi, sans doute persuadé que le principe intangible de la séparation des pouvoirs empêcherait toute commission de confondre son rôle avec celui d’un tribunal.
Pourtant, certains de leurs travaux portent sur des faits donnant lieu à des procédures judiciaires, médiatisées ou non, et de récents exemples illustrent la forte tendance de ces commissions à empiéter sur le domaine judiciaire, sans pour autant qu’elles en tirent les conséquences attendues quant à la nature des droits conférés.
Des personnes qui n’ont été ni condamnées, ni même entendues par la Justice, sont présentées comme quasiment coupables.
Ainsi, la commission d’enquête sur les violences sexuelles et sexistes présidée par Sandrine Rousseau a-t-elle abordé plusieurs affaires faisant concomitamment l’objet de procédures pénales en cours. Des plaignants et des témoins ayant déposé dans une procédure pénale y sont entendus sans que la valeur probante de leurs déclarations puisse être discutée par les mis en cause. Des personnes qui n’ont été ni condamnées, ni même entendues par la Justice, sont présentées comme quasiment coupables. Des « témoignages » dont les auteurs et le contenu sont inconnus de ceux qu’ils incriminent sont publiquement mis en avant.
Chacun se souvient de l’embarras des membres de la commission d’enquête créée en 2018 sur Alexandre Benalla, visé par de multiples procédures judiciaires. Ceux-là répétaient à qui mieux mieux ne pas vouloir se substituer à la justice… tout en multipliant les questions en lien direct avec les agissements qui faisaient l’objet de l’enquête.
Le pouvoir judiciaire veille tant bien que mal à ce que le Parlement n’empiète pas sur ses prérogatives. Ainsi la Cour européenne des droits de l’homme a-t-elle jugé qu’il était impossible, pour un juge pénal, de se fonder exclusivement sur des déclarations recueillies dans le cadre d’une commission d’enquête puisque celle-ci n’offre aucune des garanties du procès équitable. Ce même motif fut tout récemment encore soulevé par la Cour d’appel de Paris, dans une autre affaire. Didier Migaud, alors garde des Sceaux, avait déjà signalé aux représentants de la commission d’enquête sur les violences sexuelles et sexistes dans la culture, avant qu’elle débute ses travaux, que « le périmètre de la commission d’enquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir des procédures [pénales] en cours. » Rappelant au passage que ses travaux ne pouvaient « donner lieu à des investigations sur des aspects relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire ». Chacun se fera librement son opinion quant au respect de cet avertissement par ladite commission…
Il y a lieu de s’interroger sur l’appétence des représentants du peuple à désigner, sur des sujets aussi sensibles, les présidents les plus dogmatiques.
Le Parlement est légitime à exercer le pouvoir de contrôle que la Constitution lui reconnaît. Pourtant, à suivre les travaux de certaines de ces commissions, l’on peine à entrevoir, derrière l’idéologie ou le parti pris qui s’en dégagent, la moindre mission de contrôle du gouvernement. L’inquiétant précédent de la commission consacrée à l’affaire Sarah Halimi aurait dû alerter les parlementaires, et les inciter à davantage de prudence et de neutralité dans le choix des présidents de commissions aux pouvoirs coercitifs considérables. Investir d’une telle responsabilité le député Meyer Habib, qui, convaincu du caractère prémédité du crime antisémite, avait affirmé que le meurtrier méritait la mort, a aussitôt jeté le discrédit sur la conduite des travaux, le parlementaire se retrouvant accusé d’avoir instrumentalisé cette commission et violé la séparation des pouvoirs.
Il y a lieu de s’interroger sur l’appétence des représentants du peuple à désigner, sur des sujets aussi sensibles, les présidents les plus dogmatiques. Car alors le risque est grand que le travail mené en commission soit déconsidéré ou simplement ignoré, et que la tentation de l’idéologie et de l’atteinte à la séparation des pouvoirs finisse par l’emporter.
Comment, à cette aune, ne pas constater la totale absence d’impartialité qui préside aux travaux de la commission d’enquête sur les violences sexuelles et sexistes dans la culture ? Mais comment, au demeurant, pouvait-il en être autrement, au regard des positions continûment assénées sur ces questions par sa présidente ? Les signalements au parquet pour parjures pleuvent arbitrairement, et pas un ne concerne celles ou ceux dont les accusations furent pourtant fermement contredites au lendemain de leur diffusion. Un dramaturge mondialement connu, qui expliquait qu’un « directeur de théâtre désire un metteur en scène tandis qu’un metteur en scène, lui, désire un auteur », s’est vu sommé de s’expliquer sur le choix du mot « désir ». On en est là… À quoi la présidente rétorqua avec le sens de la nuance qu’on lui connaît : « Vous parlez du juridique. […] Les féministes, le mouvement féministe et les personnes qui appartiennent à ce mouvement ne souhaitent pas qu’il y ait une mise en valeur de ceux qui ont commis un acte… Il y a quelque chose de l’ordre du profil bas qui est un combat politique à obtenir. C’est ça qui se joue, plus que la justice ».
Au moment où cette commission s’apprête à rendre son rapport, il va sans dire que son contenu ne surprendra personne : tous coupables, forcément coupables. Comme l’est à jamais Julien Bayou aux yeux de Sandrine Rousseau, nonobstant les conclusions d’une enquête interne, d’une enquête externe et d’une enquête préliminaire. Les conclusions de la commission d’enquête qu’elle préside, elles, auront évidemment toute légitimité.
Signataires : Basile Ader, François Artuphel, Thomas Bidnic, Robin Binsard, Romain Boulet, Karine Bourdié, Fanny Colin, Julia Courvoisier, Emmanuel Daoud, Marie Dosé, Jacqueline Laffont-Haik, Céline Lasek, Jean-Baptiste Marre, Julia Minkowski, Christian Saint Palais, Sébastien Schapira, Lucie Simon, Martin Vettes, François Zimeray, Avocats à la Cour
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne