Matériau extrêmement rare à l’état naturel sur Terre, le tritium est l’un des deux isotopes de l’hydrogène nécessaires au fonctionnement d’un réacteur à fusion nucléaire. Créée fin 2022, la start-up européenne Gauss Fusion a donc fait de la maîtrise du système de couverture du production du tritium l’une de ses priorités stratégiques en vue de la construction d’un réacteur à fusion en Europe à l’horizon 2040.
Produire du tritium
À l’heure de passer aux travaux pratiques, l’entreprise de 40 salariés vient se signer un contrat de R&D avec l’industriel Alsymex, basé près de Bordeaux, qui est aussi l’un de ses cinq actionnaires avec Bruker et RI (Allemagne), Idom (Espagne) et ASG (Italie). Tous sont des fournisseurs stratégiques du projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (Iter). « L’enjeu de ce contrat est d’étudier et expérimenter les technologies pour collecter, mesurer et générer du tritium dans le cadre d’une boucle fermée permettant d’en produire un peu plus que la quantité consommée », explique à La Tribune Frédéric Bordry, le directeur technique de Gauss Fusion.
La start-up paiera quelques millions d’euros à Alsymex pour bénéficier de son expertise et installera une première équipe d’ingénieurs à Bordeaux courant 2026. « Le succès des centrales de fusion dépendra de la possibilité de fabriquer des composants clés dans des conditions réelles », pointe Olivier Huet, PDG d’Alsymex. L’ETI, qui emploie 650 salariés pour une centaine de millions d’euros de chiffre d’affaires, est spécialisée dans ces matériaux capables de résister à des pressions et températures extrêmes.
La course à la fusion bat son plein
« Ce contrat est la première pierre que l’on pose à Bordeaux avec l’ambition d’y créer un centre d’excellence sur le tritium et, à terme, d’être en mesure de produire et de vendre du tritium à d’autres entreprises à des prix raisonnables », ajoute Frédéric Bordry. Car Gauss Fusion est loin d’être seule dans la course internationale à la fusion nucléaire. En France, Renaissance Fusion table sur un premier démonstrateur dès 2030 tandis que GenF, soutenue par Thales, vient d’annoncer son ancrage à Bordeaux pour bénéficier d’un accès à l’infrastructure clé qu’est le laser méga-joule. De quoi positionner fortement la région bordelaise sur la carte de la fusion nucléaire.
Mais d’autres concurrentes internationales, souvent déjà très fortement capitalisées, sont aussi engagées dans la course à l’instar de Marvel Fusion et Focused Energy en Allemagne et de General Fusion, Shine Technology ou encore Commonwealth Fusion System, qui a déjà levé près de deux milliards d’euros, aux États-Unis.
Un premier réacteur en 2040 ?
Pour Frédérick Bordry, « cette concurrence est une bonne chose puisque la fusion nucléaire, qui proposera une énergie stable, propre et modulable, sera incontournable aux côtés des énergies renouvelables ». De son côté, Gauss Fusion prévoit d’achever fin 2025 son rapport de conception son futur réacteur avant d’entrer dans une phase de prototypage d’éléments individuels puis d’amorcer l’étape d’assemblage puis de construction d’un premier réacteur en Europe avec 2040 en ligne de mire.
« L’ADN industriel et européen de Gauss Fusion est un avantage dans cette compétition même s’il ne faut pas promettre n’importe quoi : il faudra au moins quinze ou vingt ans pour développer un réacteur à fusion », observe le directeur technique. Un clin d’œil à peine masqué aux promesses de la start-up américaine Helion, soutenue par une brochette de milliardaires, qui affirme pouvoir produire de l’électricité à partir d’un réacteur à fusion de 50 mégawatts de puissance dès 2028.