Obtenir « un traitement judiciaire plus clément » sous l’administration Trump que celle de Biden. C’est ce que souhaiterait le géant américain de l’aviation Boeing, selon des informations obtenues par le Wall Street Journal lundi. Le constructeur aéronautique américain tenterait ainsi d’annuler l’accord de plaider-coupable auprès de la Federal Aviation Administration (FAA), lié à deux accidents tragiques. Celui des 737 MAX 800 des compagnies Lion Air en octobre 2018, et celui d’Ethiopian Airlines en mars 2019, qui ont fait au total 346 morts.
Cette nouvelle fenêtre de négociation n’aurait pas été possible sans le rejet, en décembre dernier, par un juge fédéral du Texas de l’accord de plaider-coupable négocié entre Boeing et le ministère public. Décision, qui de facto, a laissé du temps aux deux parties pour rediscuter les modalités de celui-ci. S’il est acté, cet accord de plaider-coupable permettrait à l’avionneur d’éviter un procès, dont la date a été fixée le 23 juin prochain par le même juge texan.
Plus de clémence ?
« Boeing pourrait désormais bénéficier d’un regard neuf de la part du ministère de la Justice de Trump, qui serait enclin à modifier au moins certaines parties de l’accord », explique le quotidien financier américain. Et le média d’émettre cette hypothèse : « Permettre à Boeing d’annuler son accord de plaider-coupable, ou alléger sa sanction, constituerait l’un des exemples les plus marquants de l’approche plus souple de l’administration Trump en matière de répression des délits financiers. »
L’une des modifications envisagées est la possibilité pour Boeing de renoncer à faire appel à un contrôleur externe pour garantir sa conformité à la loi en matière de processus de production. Ce point est clé puisque toute la procédure repose sur des manquements présumés du groupe aérien dans la fabrication de son modèle 737 MAX, potentiellement à l’origine des accidents de Lion Air et Ethiopian Airlines. Soupçon renforcé en janvier 2024, par d’autres incidents techniques, notamment celui-ci, qui a renforcé la crise existentielle de Boeing : en janvier 2024, un appareil 737 MAX 900 d’Alaska Airlines avait perdu en plein vol, un panneau de fuselage.
Dans leur suivi de l’affaire, les procureurs américains reprochent à Boeing de ne pas leur avoir répondu sur des anomalies graves constatées dans ses chaîne de fabrication. Ces investigations, rappelle le Wall Street Journal, auraient notamment mis en évidence la falsification de « certaines inspections obligatoires », dans son usine de Caroline du Sud de Boeing.
Crainte d’un accord « moins-disant »
« Comme précisé par les parties dans de récents documents déposés auprès du tribunal, Boeing et le ministère de la Justice continuent de mener des discussions de bonne foi pour un règlement approprié à cette affaire », a indiqué sobrement la firme aéronautique mardi. De nombreux observateurs de la vie judiciaire américaine craignent qu’un accord de plaider-coupable « moins-disant » soit finalement trouvé entre les deux parties. Ce, en raison du rapport conflictuel qu’entretien Donald Trump avec la justice de son pays.
L’annulation ou le gel de certaines procédures l’ayant visé personnellement, avant de revenir à la Maison-Blanche, fondent certaines de ces craintes. Qui plus est : le président américain a nommé ministre de la Justice Pam Bondi, une ancienne procureure générale de Floride, et surtout membre de son équipe d’avocats, lors de son procès en destitution en 2020.
Mais, sauf coup de tonnerre, la négociation avec le ministère de la Justice n’exemptera pas Boeing d’un accord de plaider-coupable et des engagements financiers qui lui sont liées. Notamment l’obligation de dépenser « 400 millions de dollars pour améliorer la sécurité et la conformité », a précisé l’une des sources du Wall Street Journal.
La financiarisation à outrance, tare de Boeing
Selon de nombreux experts, ces anomalies dans les chaînes de fabrication de l’avionneur, sont la conséquence d’une « financiarisation à outrance » du groupe, au détriment de l’ingénierie. Un article de Gautam Mukunda, professeur à Yale, publié en 2014 dans la Harvard Business Review, illustre bien la problématique.
« Avant sa fusion l’avionneur McDonnell Douglas (racheté en 1996), Boeing avait une culture axée sur l’ingénierie et avait l’habitude de miser sur des investissements audacieux dans de nouveaux avions », analysait déjà à l’époque ce spécialiste du management et l’innovation. Et d’ajouter : « McDonnell Douglas, en revanche, était peu enclin à prendre des risques et se concentrait sur la réduction des coûts et les performances financières, et sa culture a fini par dominer l’entreprise. »
Dans la foulée de l’incident d’Alaska Airlines l’année dernière, la très libérale Bank of America avait dressé le même constat. « Les prouesses techniques de Boeing se sont émoussées en raison d’une obsession pour les indicateurs financiers, gonflés par la réduction des coûts et la génération de flux de trésorerie », jugeait-elle. Et la deuxième plus grosse banque des États-Unis d’estimer que Boeing « a besoin d’une refonte radicale de sa culture d’entreprise ».
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