Des microforêts dans la ville de pierre. Quand Bordeaux bascule écolo en 2020, la perspective de mini-écrins de verdure à la place du béton suscite une grande curiosité. Inspiré par une méthode japonaise, le nouveau maire Pierre Hurmic souhaite alors déployer des plantations d’arbres compactes et dispersées aux endroits les plus chauds de la ville. Grâce à elles et aux autres initiatives de végétalisation, la promesse est d’avoir un espace vert à dix minutes de marche pour tout habitant.
Cinq ans après, onze microforêts ont poussé, allant de 180 à 1 000 mètres carrés et jusqu’à 3 000 mètres carrés pour la plus grande. Ce qui doit rafraîchir les quartiers si l’on accepte « qu’un arbre équivaut à cinq climatiseurs », comme le rappelle à l’envi l’élu vert. La reconquête végétale est en ordre de marche.
Tout comme à Strasbourg où, en août 2020, deux mois après la victoire de l’écologiste Jeanne Barseghian, la ville de Strasbourg a adopté son plan « Canopée » et promis de planter 10 000 arbres supplémentaires d’ici 2030. À plus long terme, en 2050, ce plan prévoit 30 % de surfaces protégées par les arbres, soit 306 hectares de forêts à créer dans les différents quartiers de Strasbourg.
Fraîcheur limitée
La nouvelle majorité municipale ambitionne de réduire les îlots de chaleur et de protéger la biodiversité. « Nous créons des microforêts urbaines, avec l’appui des bailleurs sociaux, et demandons aux promoteurs immobiliers de revoir leurs projets en fonction du patrimoine existant », détaille Suzanne Brolly, adjointe à la mairie de Strasbourg, en charge du plan local d’urbanisme et du programme local de l’habitat.
Mais dans ces villes très minérales, le verdissement se fait plus cosmétique que transcendant. Et l’efficacité des grappes végétales est discutée. « Ça me dérange qu’on dise qu’une micro-forêt peut rafraîchir la ville ou être favorable à la biodiversité. On n’a pas les données pour le dire, tord Philippe Clergeau, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle et consultant en écologie urbaine. Le problème est économique. Dans une microforêt on plante 3 à 5 petits arbres par m2 et on a plus de 70 % de mortalité selon des travaux scientifiques. Il faut apporter beaucoup de compost et arroser ça sans arrêt. Beaucoup de municipalités s’en sont emparées, mais en termes d’entretien ça coûte cher », explique-t-il.
À Lyon aussi, la plantation d’arbres en rang serrés a suscité l’enthousiasme de Grégory Doucet, autre maire écologiste. Dans le quartier d’affaires de la Part-Dieu, très minéral, la réalisation d’un « bois » d’une superficie de 1,2 hectare qui comptera, à terme, 140 arbres et 2 600 mètres carrés de surfaces densément plantées, vient de débuter. Comme le rappelle l’agglomération, Lyon est la ville européenne de plus de 500 000 habitants où la température a le plus augmenté. Pour la rendre plus respirable, un plan de végétalisation à 141 millions d’euros a été lancé par la municipalité.
Un sujet transpartisan
Un point noir est néanmoins à noter : la végétalisation de la place Bellecour. Cette place d’armes, située au cœur de Lyon, compte assez peu de végétation au vu de sa superficie. En 2022, elle a été ciblée par un projet de végétalisation dans le cadre du budget participatif (1,5 million d’euros). Mais la promesse de campagne d’en faire une place « verdoyante » a finalement été douchée cette année en raison des contraintes d’infrastructures : le métro et le parking souterrain empêchent les plantations. À défaut, le maire de Lyon Grégory Doucet, a choisi la construction du projet artistique « Tissages urbains » qui doit permettre aux passants de profiter d’un espace ombragé. Avec l’intégration d’arbres et de végétation en strate basse sur les abords de la place, dans un second temps.
« Les municipalités ont voulu entreprendre des virages, mais ont-elles apporté un plus significatif pour les populations ? Je ne suis pas sûr, même si elles plantent beaucoup », opine Philippe Clergeau. Si l’arbre meurt au bout de quelques années, ça ne sert à rien. Pour moins avoir à l’entretenir, il faut y intégrer un environnement favorable, mettre d’autres arbres autour, avoir un sol à l’écosystème riche. Bref, créer des continuités écologiques. »
Il est encore tôt pour juger cette politique quand on sait qu’un arbre produit tous ses meilleurs effets au bout de 20 ans. Mais malgré des volontés affichées, les élus verts n’ont pas forcément changé de paradigme. Le sujet du végétal est souvent géré uniquement par le service paysagisme. La collaboration entre les services ne va pas de soi dans les municipalités, ce qui aboutit à des résultats limités sur la transformation de l’espace.
D’autant que la place et la valeur accordées au végétal font tout de même encore grincer des dents, en particulier dans les milieux économiques locaux. « L’arbre n’est plus une valeur d’ajustement. Les entreprises de travaux publics qui abîment des arbres sont tenues de rendre des comptes », prévient Suzanne Brolly, l’adjointe à la maire de Strasbourg. La valeur de certains spécimens, tels les Ginkgo Biloba plantés sur la place de la République, peut atteindre une centaine de milliers d’euros.
Ville à bicyclette
Il apparaît néanmoins que le plébiscite du végétal n’appartient plus seulement aux seules mairies sous pavillon écolo. Partout, on réfléchit désormais à éteindre les îlots de chaleur. « Toutes les municipalités parlent de végétaliser la ville, c’est un objectif qui marquera les campagnes municipales à venir », observe Philippe Clergeau.
Et dans la grande promesse de transformation du cadre de vie portée par ces municipalités, les mobilités figurent elles aussi en première ligne. Et en particulier les mobilités douces. La création des « Voies Lyonnaises » dans la capitale rhônalpine en est l’exemple emblématique : un réseau de 13 pistes cyclables sécurisées, maillant 49 communes, pour atteindre près de 400 kilomètres de voies d’ici 2030. Le tout, pour un budget XXL de 130 millions d’euros à date, auquel se sont récemment ajoutés 52 millions d’euros pour le lancement d’autres chantiers.”
Si de multiples tronçons ont déjà été inaugurés, les critiques d’élus mais aussi d’habitants se sont fait entendre concernant le choix de certains tracés, complexifiant certaines opérations. Le cumul des travaux dans la Métropole a également contraint son exécutif à reporter la construction d’environ 50 kilomètres de voies.
Urbanisme tactique
À Bordeaux Métropole, la pratique du vélo n’a cessé d’augmenter depuis le Covid, avec encore +6 % en 2024 par rapport à 2023. Pour répondre à l’afflux, le réseau vélo express prend peu à peu place jusqu’en 2030 avec 14 « autoroutes cyclables » qui traversent les communes. L’aménagement de ces pistes à vélotaffeurs exige souvent la suppression de places de stationnement pour les voitures. Ce qui mécontente les commerçants, craignant de voir disparaître leur clientèle âgée et toutes celles qui ont des difficultés de mobilité. Des concertations sont organisées pour chaque nouvelle ligne aménagée, mais l’exécutif métropolitain, codirigé entre socialistes et écologistes, veut avancer vite pour livrer l’ensemble du réseau d’ici cinq ans.
« Concerter, ça prend du temps », note d’ailleurs régulièrement Pierre Hurmic. Dans cet esprit d’« urbanisme tactique » comme il s’en revendique, l’édile avait sanctuarisé une voie des boulevards bordelais aux bus et vélos. « Nous avons reçu beaucoup de plaintes par courrier au début. Aujourd’hui, personne ne s’en plaint », croît-il. L’exemple montre en tout cas que l’équipe municipale cherche parfois à s’affranchir de toute consultation pour concrétiser ses projets.
Le temps est compté pour ces maires verts qui ont refusé d’être des maires bâtisseurs. À un an des municipales, ils auront besoin de projets concrets à montrer dans l’espace urbain pour défendre leur bilan. Et même s’ils ne sont pas encore officiellement candidats, ils le savent plus que jamais : l’action politique ne peut se passer de matérialisation dans l’espace.