« Alors que je commence ma 88e année, j’ai décidé de quitter le poste de président et de membre du conseil d’administration [du forum économique de Davos], avec effet immédiat ». C’est par ces mots que Klaus Schwab a annoncé sa démission lundi, près de 55 ans après avoir créé cette organisation (World Economic Forum, en anglais). Une nouvelle qui a en partie surpris : s’il était attendu que le dirigeant laisse sa place, le processus de succession ne devait s’achever qu’en janvier 2027. Aucune raison n’a toutefois été précisée sur le pourquoi de ce départ, dans le bref communiqué le révélant.
Selon le Wall Street Journal, c’est une lettre de dénonciation visant Klaus Schwab et son épouse, reçue la semaine dernière par le Conseil d’administration de l’organisation, qui est venue chambouler ce calendrier. Après sa lecture, ses membres se sont réunis en urgence dimanche et ont décidé, à l’unanimité, d’ouvrir une enquête indépendante pour vérifier les allégations écrites dans la missive. C’est là que le président aurait choisi de démissionner, après s’être opposé à toute enquête.
Manquements financiers et harcèlement sexuel
Cette lettre, qui émanerait d’anciens et actuels employés, fait état de « manquements financiers et éthiques de la part du dirigeant, de longue date, et de son épouse », écrit le quotidien américain. Klaus Schwab aurait ainsi demandé à des employés subalternes de retirer des milliers de dollars à des distributeurs automatiques en son nom et aurait utilisé les fonds du Forum pour payer des massages privés en chambre dans des hôtels.
Quant à sa femme, ancienne employée du Forum, elle aurait organisé des réunions « symboliques » financées par l’organisation afin de justifier des voyages de luxe tous frais payés. Enfin, la famille exercerait un contrôle strict sur l’utilisation de la Villa Mundi, une luxueuse propriété appartenant à l’organisation économique.
La lettre soulèverait également des inquiétudes quant à la gouvernance et à la culture d’entreprise du Forum. Notamment sur la façon dont Klaus Schwab a traité ses employées et quant à la manière dont sa direction aurait laissé, pendant des décennies, des cas de harcèlement sexuel et d’autres comportements discriminatoires se perpétuer – ces allégations avaient fait l’objet d’un précédent article du Wall Street Journal, contestées par l’organisation.
Klaus Schwab conteste et se défend
Par l’intermédiaire d’un porte-parole, les époux Schwab ont déclaré nier toutes les allégations à leur encontre. Afin de protéger leur réputation, Klaus Schwab a l’intention de porter plainte contre l’auteur de la lettre anonyme et « quiconque propage ces contre-vérités ». Selon le porte-parole, le désormais ex-dirigeant du Forum « n’a jamais eu l’occasion de donner sa version des faits au conseil d’administration ni au comité d’audit », qui ont refusé qu’il s’exprime lors de la réunion de dimanche. Klaus Schwab aurait renoncé à sa pension de 5 millions de francs suisses en signe de bonne foi envers le Forum, a-t-il ajouté.
La confiance entre Klaus Schwab et le conseil d’administration du Forum se serait détériorée au cours de l’année écoulée, selon certaines sources auprès du Wall Street Journal. Ce dernier, composé de personnalités politiques, de dirigeants d’entreprise ou encore de célébrités, a nommé Peter Brabeck-Letmathe, ancien PDG de Nestlé, président par intérim et a mis en place un comité de sélection pour le futur président.
Le Forum de Davos en 5 dates clés
À sa première édition en 1971, le Davos n’a pas son envergure actuelle. Il s’appelle alors « Forum européen de management » et Klaus Schwab, professeur en gestion d’entreprise de l’université de Genève, l’a créé pour encourager les échanges entre entrepreneurs européens et américains. Les patrons ont été rejoints à partir de la fin des années 1970 par des responsables politiques, et Davos est devenu le lieu où, chaque année, l’élite mondiale débat des problèmes du monde, tout en faisant des affaires à l’abri des regards. Depuis, bien qu’essentiellement lieu de discussions, le Forum économique de Davos a tout de même été le théâtre de décisions importantes :
1988 : c’est ici que les dirigeants de la Turquie et de la Grèce ont négocié et signé la « Déclaration de Davos » visant à normaliser leurs relations. Les deux pays sont alors en proie à de vives tensions et aux portes de la guerre. Celle-ci aurait été « inévitable », de ce qu’aurait confié le premier ministre turc Turgut Özal à Klaus Schwab, s’il n’avait pas rencontré son homologue grec Andreas Papandreou à Davos deux ans plus tôt.
1992 : c’est à Davos qu’a lieu la première apparition conjointe – hors d’Afrique du Sud – entre le président de ce pays, Frederik de Klerk, le ministre en chef du KwaZulu, Mangosuthu Buthelezi, et Nelson Mandela, leader anti-apartheid et chef du Congrès national africain. « Cette rencontre, à un moment crucial du processus de transformation de l’Afrique du Sud, démontra que, malgré leurs divergences, les trois acteurs clés partageaient la même volonté de faire progresser le pays vers la démocratie », estime le Forum.
1999 : le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a évoqué pour la première fois à Davos le « Pacte mondial » en vertu duquel les entreprises acceptent de promouvoir dans leurs pratiques un ensemble de valeurs fondamentales concernant les normes de l’emploi, les droits de l’homme et l’environnement. Il est entré en vigueur l’année suivante et l’est toujours aujourd’hui.
2000 : l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation (Gavi) est lancée à Davos. Ce partenariat public-privé aide depuis à vacciner partout dans le monde des enfants contre des maladies infectieuses mortelles (tuberculose, diphtérie, tétanos, fièvre jaune…). Plus d’un milliard d’enfants en ont bénéficié selon les derniers chiffres, arrêtés en 2022.
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Agathe Perrier