Il passait la majeure partie de son temps dans un bureau. C’est aujourd’hui tout l’inverse. « Je suis tombé dans la comptabilité un peu par hasard, je savais que je ne voulais pas en faire ma carrière. Après quinze ans d’exercice, j’aspirais à beaucoup plus de concret », témoigne Quentin Gross. Ce qui lui manquait ? « Avoir un rendu autre que la satisfaction des chefs et des commissaires au compte », s’amuse Quentin Gross qui a désormais les mains dans la terre. Après un bilan de compétence, il coche la case maraîchage, démarre par du woofing, qui consiste à travailler bénévolement sur une exploitation agricole en échange du gîte et du couvert, puis lance son activité à Mérignac, près de Bordeaux.
Pour d’autres, c’est la naissance d’un enfant qui a créé le déclic. Ancien cadre commercial, Benjamin Caie, se retrouvait tous les quinze jours dans un aéroport différent. « J’avais un bilan carbone catastrophique. Je voulais revenir à un métier plus proche de mes valeurs environnementales », déclare-il. Il se lance donc lui aussi dans le maraîchage. Il s’installe à Gradignan, au sud de l’agglomération bordelaise, à la suite d’une idée soufflée par la Chambre d’agriculture de Gironde. Mathieu Lecoffre, ancien ingénieur aéronautique, se met lui-aussi à acheter des produits « sains » pour son fils, avant de changer d’échelle pour devenir à son tour maraîcher du côté de Castets-et-Castillon, dans le sud de la Gironde.
Et il ne regrette rien : « C’est un mode de vie évidemment différent, un confort financier différent aussi. Mais au moins je ne m’interroge plus sur le sens de mon travail. On est là pour nourrir en respectant le plus possible la nature, c’est dans l’ère du temps. » Un moteur qui a également décidé Quentin Gross à cultiver des fruits et légumes : « Je me suis posé une question : de quoi les gens ont besoin toute leur vie ? », témoigne-t-il.
Des compétences bénéfiques
Ils ne sont toutefois pas du genre à faire table rase du passé. Car leur expérience constitue un atout dans leur nouvelle vie professionnelle. « Je savais que la comptabilité allait me servir », souligne Quentin Gross, qui a obtenu un brevet professionnel responsable d’entreprise agricole. « Cela m’a aussi permis de mettre des sous de côté, ce qui n’est pas négligeable quand on se lance dans une activité. » Pour que le business fonctionne, ils ont aussi des clés. Ainsi Mathieu Lecoffre a fait le choix de produire quarante légumes différents chaque année. « Si une culture rate ou périclite, tout n’est pas perdu. »
Il a aussi opté pour diversifier ses canaux de distribution tout comme Quentin Gross qui travaille aujourd’hui avec des magasins bio spécialisés, des crèches mais aussi en vente directe depuis le mois de mars : « Il s’agit de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. » Mathieu Lecoffre se lance sur un autre modèle : le regroupement de plusieurs producteurs locaux pour ouvrir un point de vente multi-produits, l’idée étant de faciliter l’acte d’achat et ainsi éviter à un consommateur de se rendre chez le maraîcher, le paysan boulanger puis le fromager. Il envisager aussi de travailler avec l’atelier de transformation voisin pour trouver un débouché à ses éventuels invendus.
Locataires d’un foncier
A contrario, ces néo-agriculteurs, qui ne sont pas issus de familles d’agriculteurs, se sont heurtés au frein du foncier. Sans terre ni exploitation familiale à reprendre, il a fallu trouver des alternatives. Quentin Gross a répondu et remporté un appel à manifestation d’intérêt de la ville de Mérignac qui a lancé sa première ferme urbaine. « L’aspect financier n’est pas à négliger. J’avais budgété 120.000 euros sans achat de foncier avec uniquement du rachat de matériel d’occasion. Ici l’outil est mis à ma disposition, neuf ! » Pour le reste, il a signé un contrat de fermage avec la mairie. Il est donc locataire, tout comme Julie Yagound, ex-communicante reconvertie à la viticulture avec son conjoint, Antoine Debiastre, au Domaine des quatre vents à Puisseguin. Le couple est passé par l’association Terre de Liens qui acquiert du foncier agricole pour installer une nouvelle génération de producteurs bio.
Tout n’est toutefois pas gagné d’avance. « Pour être tout à fait franc, nous sommes plutôt dans le creux de la vague en matière de consommation bio », reconnait Mathieu Lecoffre. « La vente n’est pas notre métier » témoigne, pour sa part, Julie Yagound. Mais pas de quoi entacher leur motivation. Si ce n’est pas à l’ordre du jour, dans tous les cas, ils se laissent aussi la possibilité, un jour, de changer de nouveau de voie. « Avec le modèle de fermage, si j’ai envie, dans quelques années, de faire autre chose je peux », conclut Quentin Gross.