“Depuis que j’ai mon diplôme, c’est le vide total” : ils ont un bac +5 et ne trouvent pas d’emploi

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“Depuis que j’ai mon diplôme, c’est le vide total” : ils ont un bac +5 et ne trouvent pas d’emploi





















Selon une étude du think tank VersLeHaut de mars 2025, les jeunes occupent de plus en plus des postes inférieurs à leur niveau de formation.
PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP

Désenchantés

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En 2021, la France comptabilisait 140 000 nouveaux titulaires d’un master à l’université. Une aubaine pour l’élévation du niveau d’études, une rivalité toujours plus ardue entre candidats sur le marché de l’emploi. Malgré les promesses alléchantes des facultés et des grandes écoles, l’insertion professionnelle est pavée de désillusions d’après les diplômés interrogés par « Marianne ».

Certains cochent toutes les cases sans y arriver pour autant : titulaires d’un bac +5, parfois d’une grande école, trilingues, ils ont réalisé des stages ou une alternance et ont multiplié les engagements associatifs… Leur CV leur semble parfait, pourtant ils ne trouvent pas d’emploi. Des jeunes désabusés racontent leur expérience à Marianne.

« Les jeunes sont de plus en plus nombreux à avoir un niveau de formation initiale supérieur au niveau requis pour un poste » d’après une étude du think tank VersLeHaut publiée en mars 2025. Un phénomène nommé « déclassement professionnel » qui touche environ un salarié sur cinq en France selon les données de l’Insee (2023). Une douche froide alors que les formations communiquent sur l’excellence de leurs taux d’insertion.

École « prestigieuse »

Marine (le prénom a été modifié), a obtenu son diplôme de « paysagiste concepteur » en 2022 avant d’enchaîner les contrats courts pendant un an. Émue, elle raconte : « J’ai arrêté parce que je ne pouvais plus continuer physiquement. Je faisais des horaires pas possible, je rentrais tous les jours en pleurs. » Requinquée, elle a repris sa recherche d’emploi, sans résultat à ce jour.

Une réalité insoupçonnée lorsque l’on écoute les arguments de vente de la formation : « On nous dit que le nom de l’école est prestigieux, qu’on ne forme pas assez de paysagistes concepteurs et, qu’avec le réchauffement climatique, c’est un métier d’avenir. »

La réalité ? La jeune femme estime que « oui, il y a du travail, mais pour combien de temps et à quelles conditions ? » Pour se faire une place, il faut être prêt à cumuler les contrats à durée déterminée et répondre à des objectifs de productivité qui « pressent comme des citrons » les jeunes exécutants. Et c’est sans compter la concurrence de professionnels venus d’autres secteurs ‑ souvent en reconversion ‑, à l’image des « architectes sans connaissances sur le végétal ».

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Ce à quoi s’ajoute une culture de la rivalité inculquée dès les bancs de l’école. Déçue du système, Marine retrace : « On nous dit qu’on est une grande famille alors que la concurrence est déjà présente. Des enseignants protègent des profils : ils les gardent sous la main pour les embaucher plus tard. C’est un système de cooptation qui implique de maîtriser les codes sociaux. »

Secteur porteur

Rayane a, quant à lui, choisi un secteur pour le moins porteur : la data science (ou « sciences des données »). Le jeune « expert en métadonnées » a démarré sa formation au sein du prestigieux Institut national des sciences appliquées (Insa). Faute de moyens financiers pour la terminer, il s’est rabattu sur une alternance de deux ans avec la formation en ligne « Openclassroom ».

Si l’alternance s’est bien passée, Rayane déplore la suite : « Depuis que j’ai mon diplôme c’est le vide total. J’ai cherché pendant un an non-stop, en envoyant cinq candidatures par jour. J’ai fini par travailler dans une start-up qui ne m’a pas payé les quatre premiers mois. »

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Une désillusion qu’il explique par deux facteurs : le favoritisme des employeurs pour les écoles prestigieuses et leurs attentes irréalistes. Il développe : « Le métier de data scientist n’est pas compris par les employeurs. Ils ne sont pas certains de ce qu’ils cherchent : ils attendent que la technologie soit prête tout de suite alors qu’il s’agit d’un processus de long terme. Donc, très vite ils sont déçus et ne veulent plus investir. »

Pourtant, encore une fois, l’offre de formation (quasi-commerciale) était alléchante : « On m’avait promis de trouver un métier sous les six mois ou “vous êtes remboursés”. Sauf que la formation est payée par l’Opco [organisme public]. Et évidemment, l’État n’a pas été remboursé. »

Face à un marché du travail inondé par les Bac +5, ses camarades de promotion ont pour la plupart bifurqué vers des secteurs professionnels proches tels que la programmation ou le web design.

Surqualifications

Louis a terminé son doctorat en Géographie, Urbanisme et Transports en 2021. Après trois années passées en tant que maître de conférences vacataire, il est à la recherche d’un poste au sein d’une collectivité territoriale, d’un bureau d’études d’urbanisme ou d’un grand groupe spécialisé comme Eiffage. Un projet professionnel porteur d’après ses directeurs de thèse qui estiment que : « Les entreprises valorisent de plus en plus les docteurs. »

Une vision pour le moins déconnectée de la réalité selon le trentenaire : « La réalité du marché est toute autre. Souvent, nous sommes perçus comme trop qualifiés et spécialisés. Le fait d’avoir un niveau d’étude supérieur à la personne qui embauche peut faire peur. Les recruteurs pensent que nos exigences salariales seront trop élevées et difficiles à gérer. »

Un décalage entre le discours et la réalité que l’universitaire explique : « Un enseignant-chercheur est immergé dans un monde particulier où il n’a pas besoin de démarcher pour avoir son salaire, il est dans le giron du public. Ils ont une totale méconnaissance de l’économie réelle. »

Trop ou pas assez

Et puis il y a les secteurs réputés être bouchés : les lettres, la psychologie, le marketing et la communication. Pourtant, certains ont mis toutes les chances de leur côté en rejoignant les « meilleures » formations, souvent coûteuses.

C’est le cas de Jacky, diplômé depuis 2018 d’un Master 2 marketing digital et communication. Ayant souscrit à un prêt étudiant de 30 000 euros, il partage son désarroi : « Je suis issu d’une classe préparatoire aux grandes écoles de commerce. Le discours prononcé nous faisait miroiter un réseau d’anciens solide, un taux d’insertion rapide et un salaire mirobolant en sortie d’école. Un mensonge en somme. »

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D’autres se confrontent à une dure réalité : seules les offres de stage et d’alternance pullulent sur les sites de recherche d’emploi. Une fois le diplôme en poche, les offres sont limitées ou invisibles (dans ce cas, elles sont accessibles par réseautage).

Ces mêmes stages et alternances ne sont par ailleurs pas toujours reconnus à leur juste valeur, comme l’expose Laura-Alexia, également diplômée de communication et marketing : « Beaucoup d’entreprises ne les considèrent pas comme des expériences professionnelles. Je m’attendais à ce que la promesse de salaire de 4 000 euros en sortie d’école de commerce soit fausse, mais ça, c’est une vraie désillusion. »

Déception du premier poste

Enfin, d’autres s’en sortent mieux que d’autres et décrochent relativement vite leur premier poste. Ils ne sont pour autant pas exempts de désillusions. Mathieu (le prénom a été modifié) en est l’exemple. Doublement diplômé d’école d’ingénieur et de management dans le domaine de l’énergie nucléaire depuis 2024, il a été recruté dans les quatre mois suivant sa sortie d’études. Dépité, l’ingénieur partage : « Le nucléaire fait partie des domaines où on dit qu’on a un emploi assuré. C’est le cas, mais pas comme on l’espérait. »

Le jeune homme confie avoir accepté ce travail « pour avoir de l’argent mais pas par goût ». Il développe : « C’est très compliqué d’avoir un poste dans les structures porteuses promises en formation comme EDF ou Framatome. Je me retrouve dans une plus petite structure, sur un poste très technique avec peu de perspectives d’évolution. »

Mathieu n’est pas le seul à essuyer une telle déception. Ses comparsent enchaînent, pour la plupart, les entretiens d’embauche en espérant trouver un emploi en adéquation avec leur projet. Attristé, l’ingénieur résume : « En formation, on nous fait croire qu’on aura le choix mais en réalité on choisit un poste par défaut. »


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