À l’orée de la saison estivale, un vent d’exaspération souffle sur les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration. La raison : le retard persistant dans la publication de la liste des métiers en tension, un outil pourtant essentiel pour fluidifier le recrutement de travailleurs étrangers et répondre à une pénurie de main-d’œuvre criante. Si l’urgence économique est palpable, l’ombre de l’actualité politique plane au-dessus de ce dossier, laissant craindre que les impératifs électoraux ne prennent le pas sur les nécessités conjoncturelles, avec des conséquences potentiellement dommageables pour l’économie tricolore.
Un report aux allures de manœuvre politicienne
Initialement promise pour fin février, la mise à jour annuelle de cette liste, qui permettrait de régulariser des travailleurs étrangers occupant des postes vacants, se fait toujours attendre. Après un premier report, l’échéance a été repoussée à plusieurs reprises, François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l’Intérieur, évoquant même une publication « avant l’été » ou en septembre. Un calendrier qui sonne comme un désaveu pour les professionnels du secteur, confrontés à une pénurie de personnel qui menace leur capacité à répondre à la demande.
Derrière ces délais administratifs, des observateurs avertis décèlent des manœuvres politiques. La tension palpable entre le ministère du Travail, qui semble conscient de l’urgence économique, et le ministère de l’Intérieur, dont le titulaire, Bruno Retailleau, est en lice pour la présidence des Républicains, alimente les suspicions. Difficile, en pleine campagne interne, pour un candidat prônant une ligne ferme sur l’immigration, de valider une liste qui pourrait être perçue comme un assouplissement des règles. « Bruno Retailleau, candidat à la présidence des Républicains, ne veut pas torpiller sa campagne » en publiant une liste trop « ouverte », confie une source proche du dossier.
L’urgence économique sacrifiée sur l’autel des échéances politiques ?
La confirmation par la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, d’une publication « pour la fin du mois » pourrait signaler une tentative de reprendre la main face à cette inertie. Elle a insisté sur la prise en compte des « nouveaux métiers » liés aux défis démographiques et au secteur du soin, soulignant l’impératif de répondre aux besoins du marché du travail. Cependant, le contraste avec la prudence affichée par le ministère de l’Intérieur laisse planer le doute sur une réelle convergence de vues au sein de l’exécutif.
Pour les acteurs économiques, cette attente a un coût bien réel. Franck Trouet, du Groupement des hôtelleries et restaurations (GHR), alerte sur les conséquences directes de ce manque de personnel : « Faute de personnel, des restaurateurs refusent des clients. C’est du chiffre d’affaires en moins pour les établissements et l’État se prive de recettes fiscales ». Un manque à gagner qui, à l’échelle nationale, pourrait se traduire par des pertes significatives pour l’ensemble de la filière touristique et de la restauration, secteurs pourtant moteurs de l’économie française.
Des vies en suspens et un potentiel économique bridé
Cette situation met également en lumière la précarité de nombreux travailleurs étrangers, présents sur le territoire depuis des années et occupant ces fameux métiers en tension. Leurs témoignages, comme ceux de Mohammed, Joseph et Amine, révèlent une réalité faite d’efforts invisibles et d’une attente frustrante d’une régularisation qui leur permettrait de sortir de l’ombre et de contribuer pleinement à l’économie.
Le rapport du think tank Terra Nova, qui préconise l’accueil de centaines de milliers de travailleurs immigrés chaque année pour maintenir le ratio actifs-inactifs, souligne l’enjeu démographique et économique sous-jacent à cette question. En retenant l’actualisation de cette liste, le gouvernement ne se contente pas de fragiliser des secteurs clés de l’économie, il freine également un potentiel de croissance et d’intégration qui pourrait bénéficier à l’ensemble du pays. L’urgence économique et sociale plaide pour une action rapide et pragmatique, au-delà des considérations politiques immédiates. Le prix de l’inertie, à terme, pourrait s’avérer bien plus élevé que les éventuels coûts politiques d’une décision courageuse..
Mohammed : la double peine d’un bénévole olympique
L’histoire de Mohammed, plombier-électricien franco-marocain de 40 ans, illustre l’absurdité de certaines situations. Arrivé en France en 2010 avec un visa Schengen expiré, il a rapidement trouvé du travail dans le BTP grâce à ses compétences. Pourtant, pendant six longues années, il a été contraint de travailler au noir, proie de « patrons voyous » qui « profitent » de sa vulnérabilité. « Certains mois je n’étais pas payé car l’entreprise me disait qu’elle n’avait plus d’argent », confie-t-il avec amertume.
Malgré ces difficultés, Mohammed n’a jamais baissé les bras. En 2021, après avoir enfin trouvé un employeur acceptant de le déclarer, il dépose une demande de régularisation exceptionnelle par le travail. La réponse de la préfecture ? Un « refus implicite ». Une douche froide pour cet homme qui ne ménage pas ses efforts pour s’intégrer, allant jusqu’à devenir bénévole lors des Jeux olympiques de Paris. « Je fais beaucoup d’efforts pour m’intégrer, je travaille dur », lâche-t-il, lassé de cette invisibilité administrative. Sa détermination le pousse à entamer une nouvelle démarche, mais l’attente pour un simple rendez-vous en préfecture s’étire sur une année. « Ma vie est ici maintenant », affirme Mohammed, rappelant son rôle essentiel pendant la crise sanitaire, où il faisait partie des professions autorisées à travailler.
Joseph : l’exploitation au quotidien et l’espoir fragile
Le parcours de Joseph, Camerounais de 29 ans, est marqué par l’exploitation et la frustration. Fort de cinq années d’expérience dans le BTP et la climatisation, il ne compte pourtant que huit fiches de paie sur les douze requises pour une éventuelle régularisation. Ses premiers employeurs ont profité de sa situation irrégulière pour le sous-payer et refuser de le déclarer. « Je travaillais de 8 heures à 17 heures, mais je pouvais aussi finir à 19-20 heures pour le même prix. Il sait que tu ne peux rien faire, c’est frustrant », témoigne-t-il.
Grâce au BonCoin, il finit par trouver un employeur qui le rémunère un peu mieux, mais toujours sans contrat. Ce n’est qu’en janvier 2024 qu’il est enfin embauché et déclaré à mi-temps. Un espoir de courte durée, car la maladie de son employeur met fin à son CDD. Depuis, Joseph se heurte à un mur : les entreprises qu’il contacte insistent pour l’employer au noir. Son témoignage poignant illustre la précarité dans laquelle sont maintenus de nombreux travailleurs migrants, malgré leurs compétences et leur volonté de s’intégrer légalement.
Amine : de la rue à l’espoir d’une vie stable à Biarritz
L’histoire d’Amine, Malien de 34 ans, est celle d’une résilience face à l’adversité. Arrivé en France en 2018, il a passé trois ans à la rue à Biarritz. Après des « petits boulots », il trouve un emploi de plongeur, puis travaille depuis 2021 dans un hôtel où il se dit « bien traité, déclaré ». Son employeur l’a même recruté sans passeport, face à la pénurie de personnel.
Après avoir réuni tous les justificatifs nécessaires, Amine a finalement obtenu ses papiers, valables pour un an. Une victoire pour cet homme qui s’apprête à devenir père d’un petit garçon avec sa compagne française. « Si tu fais ton boulot, que tu respectes les gens, les institutions, tu dois avoir le droit de rester », affirme-t-il avec conviction, soulignant le besoin criant de main-d’œuvre dans l’hôtellerie à Biarritz. Son témoignage rappelle la contribution économique de ces travailleurs qui, une fois régularisés, paient des cotisations et des impôts au même titre que les autres.
(Avec AFP)
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