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Entretien
Propos recueillis par Alice Le Jan
Publié le
L’Académie de médecine a publié ce 2 avril un rapport qui revient sur les causes de la pandémie de Covid-19. En partant du postulat qu’une origine humaine est tout à fait plausible (sans écarter définitivement une cause naturelle pour autant), les auteurs préconisent un ensemble de recommandations pour qu’une telle situation ne se reproduise pas. Étienne Decroly, virologue au CNRS, décrypte ce rapport pour « Marianne ».
Cinq ans après la pandémie de Covid-19, les recherches sur l’origine de la transmission du SARS-CoV-2 se poursuivent. L’Académie de médecine a publié ce 2 avril le rapport « De l’origine du Sars-CoV-2 aux risques de zoonoses et de manipulations dangereuses de virus ». En admettant qu’une fuite du virus du laboratoire de Wuhan, en Chine, est tout aussi probable qu’une transmission de la maladie par un animal, les auteurs préconisent un ensemble de recommandations pour éviter qu’une telle situation se reproduise. Sans écarter l’hypothèse du facteur humain, ce rapport remet au cœur du débat la responsabilité de ce laboratoire. En ligne de mire : les pratiques des chercheurs consistant à manipuler des virus dans le but d’accroître leurs connaissances et prévenir les épidémies.
Pour autant – et il convient de le souligner – ses auteurs ne tranchent pas définitivement la question, comme l’évoque un communiqué de presse de l’Académie des médecins publié ce 4 avril : « Les hypothèses d’une transmission naturelle via un animal intermédiaire et d’un accident en laboratoire restent ouvertes. » Mais alors, où en est le débat scientifique sur la question ? En prenant en compte qu’une cause humaine est plausible, comment éviter une deuxième pandémie ? Étienne Decroly, virologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), répond aux questions de Marianne.
Marianne : Quelle est la portée de ce rapport ?
Étienne Decroly : En préambule, il est important de rappeler que l’objectif de ce rapport n’est pas de trancher sur l’origine du Covid-19 mais d’établir des recommandations pour prévenir de futures pandémies. En se basant sur la lecture de la littérature scientifique et des interviews d’experts, les auteurs ont identifié des leviers d’action à mettre en œuvre dans le cadre d’une politique de santé publique et de biosécurité.
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Par ailleurs, contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse, le rapport ne conclut pas sur l’origine de la pandémie. Cette crise a permis de mettre en avant deux causes probables d’épidémie : une zoonose (la transmission d’une maladie infectieuse de l’animal à l’homme) et un accident de laboratoire. Cinq ans après, nous manquons encore d’éléments factuels pour conclure. En l’absence de réponse tranchée, la communauté scientifique envisage des mesures pour les prévenir de manière pragmatique en tenant compte que les deux risques perdurent.
Quels sont les éléments manquants pour conclure à l’origine de la pandémie ?
En tant que scientifiques, notre rôle est d’expliquer au public le consensus scientifique et les questions encore débattues. Il existe deux consensus.
Premièrement, des chauves-souris porteuses de virus cousins du SARS-CoV-2 sont localisées entre 1 500 et 2 000 km au sud de la ville de Wuhan. Puisqu’il y a plus de mille mutations qui le séparent des virus du SARS-CoV-2, il ne peut pas s’agir de virus progéniteur de l’épidémie. Le progéniteur est le virus parent direct de l’épidémie qui devait infecter un animal qui a donné naissance à l’épidémie humaine.
Deuxièmement, la zone d’émergence du SARS-CoV-2 est la ville de Wuhan. Nous savons qu’il y a un marché de vente d’animaux d’élevage et sauvages, ainsi qu’un laboratoire qui travaille sur les virus de chauves-souris présentes dans le sud de la Chine. Ce qui rend possible les deux hypothèses : une zoonose depuis le marché ou un accident de laboratoire qui s’est amplifié par la transmission du virus au marché.
L’hypothèse d’une zoonose était la plus raisonnable en début d’épidémie. Le problème aujourd’hui est que, cinq ans plus tard, le progéniteur et l’hôte intermédiaire n’ont pas été identifiés. Pour ce qui est de la cause accidentelle, nous n’avons pas non plus d’éléments probants qui le démontrent puisque nous n’avons toujours pas accès aux données du laboratoire de Wuhan.
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La science a besoin d’échantillons pour pouvoir enquêter, ce dont nous ne disposons pas. Il y a encore beaucoup de chaînons manquants et ce n’est plus seulement une question scientifique. On voit bien que les renseignements allemands ont des informations qu’ils n’ont pas communiquées. N’ayant pas encore accès à ces documents, ce n’est pas suffisant pour conclure à une cause accidentelle. Ça signifie, par contre, que des éléments supplémentaires sont indispensables pour trancher la question. Quoi qu’il en soit, avoir des consensus et débattre de points de désaccord est le processus normal en science et permet d’arriver à des conclusions plus robustes.
Quelles sont les recommandations pour prévenir les risques d’accidents de laboratoire ?
L’apport principal du rapport se situe ici en préconisant le renforcement de la biosécurité [N.D.L.R. : il s’agit de l’ensemble des mesures préventives et réglementaires visant à réduire les risques de diffusion de maladies]. En discutant avec différents acteurs, le comité s’est rendu compte que la formation et la sensibilisation étaient souvent imparfaites auprès des étudiants qui vont être amenés à travailler avec les pathogènes. C’est pourquoi, les auteurs soulignent l’importance de la formation.
D’autre part, le rapport se penche sur les conditions de travail. Le comité a jugé que les risques biologiques étaient souvent insuffisamment pris en compte dans les laboratoires. L’analyse de la littérature montre que des incidents arrivent régulièrement, avec des accidents plus rares et heureusement très peu de cas détectés d’épidémie.
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Le rapport préconise aussi de renforcer le management du risque. À l’aune de ce qu’il se fait dans l’aviation, il suggère de créer des boîtes noires destinées aux laboratoires de type 4 et peut-être ultérieurement de type 3 [N.D.L.R. : il s’agit du niveau de risques pathogènes]. Elles enregistreraient tout ce qu’il se passe dans les laboratoires dans le but de mieux comprendre l’origine des incidents et de protéger les chercheurs d’accusations éventuellement injustifiées.
Enfin, il recommande la mise en place de comités d’éthique dédiés à la biosécurité dans les instituts de recherche. L’idée est que l’analyse du risque soit accompagnée par des comités compétents capables de suivre les projets au fil de l’eau. Cela existe déjà dans certains instituts, comme l’Institut Pasteur.
L’enjeu clé de la biosécurité est de limiter les niveaux de risques lors des manipulations en laboratoire. Les chercheurs doivent pouvoir étudier les pathogènes à risque pour développer des diagnostics, des vaccins et des antiviraux tout en décidant d’arrêter l’expérimentation, ou de ne pas publier les résultats, si ce risque est évalué comme trop important.
Ces recommandations comportent-elles des limites ?
Un point important n’a pas été développé en détail dans ce rapport : les virus ne connaissant pas les frontières, la France et l’Europe ne peuvent pas penser ces règles de manière isolée. Si on introduit trop de réglementations, comme pour l’industrie, les expérimentations seront délocalisées dans des pays ou les contraintes sont moindres. Ce travail doit être un guide pour le développement et l’implémentation de règles de sécurité au niveau mondial.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne