Des écoquartiers aux champs : et si l’urine des bobos parisiens servait à nourrir les Français ?

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Des écoquartiers aux champs : et si l’urine des bobos parisiens servait à nourrir les Français ?





















The dry toilets of the refuge d'ortu di u piobbu.
Les toilettes seches du refuge d'ortu di u piobbu. (Photo by Beno�t Durand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)
The dry toilets of the refuge d’ortu di u piobbu.
Les toilettes seches du refuge d’ortu di u piobbu. (Photo by Beno�t Durand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)
Benoit Durand / Hans Lucas

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L’urine humaine pourrait-elle servir à fertiliser les champs ? Si la proposition a de quoi étonner, les bénéfices seraient pourtant nombreux : moindre dépendance française aux importations d’engrais chimiques, réduction de la pollution, structuration d’une nouvelle filière à forte valeur ajoutée… De déchet à ressource, il n’y a qu’un pas. Qu’il est temps de franchir ?

Le circuit court, comme vous l’avez rarement vu. Inauguration du premier point d’apport volontaire d’urine à Châtillon (Hauts-de-Seine) en septembre dernier pour alimenter des « fermes test » dans le Loiret, récupération de l’urine des festivaliers du Art Rock à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) pour la transformer en biofertilisant agricole… Assiste-t-on à une ruée vers un nouvel or jaune ?

Depuis plusieurs années, plusieurs programmes de recherche ont émergé avec l’idée de recycler l’urine humaine en engrais naturel. « L’urine d’une personne récoltée sur une année pourrait apporter l’azote suffisant pour produire 200 kg de céréales », affirme Priscillien Tambuzzo, ancien directeur d’une station d’épuration et fondateur de Piwee, une startup lyonnaise qui développe des urino-fertilisants. L’idée part d’un constat simple : l’urine, riche en nutriments comme l’azote, le phosphore, le potassium, dispose d’un véritable pouvoir fertilisant et présente dans le même temps peu de risques sanitaires biologiques.

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Si ce projet a de quoi faire sourire, les enjeux qui en découlent sont sérieux. Ce nouveau type de recyclage permettrait à la fois de limiter le recours aux engrais chimiques, par nature polluants – les engrais représentent 5 % des émissions de gaz à effet de serre mondiaux selon Carbone4 – mais aussi de réduire la dépendance française à ce type d’importations dans un contexte international tendu. « Aujourd’hui, l’urine humaine pourrait répondre à 15 % de la demande en engrais azotés », explique Priscillien Tambuzzo.

« Il n’y a pas de freins technologiques à ce système, c’est d’une simplicité incroyable », se réjouit Louise Raguet, porteuse du projet au sein du programme de recherche-action Ocapi de l’École nationale des ponts et chaussées. Selon leurs estimations, la collecte annuelle d’une seule personne pourrait fertiliser 500 m2 de champs, peut-on lire sur le site d’ActuParis. La normalienne travaille également sur un système de séparation des urines à la source au sein du très marketé écoquartier parisien de Saint-Vincent-de-Paul.

Changer de paradigme d’assainissement

Le système est d’une simplicité presque déconcertante : les toilettes, en apparence inchangées, sont équipées d’une évacuation à l’avant de la cuve qui permet de récolter l’urine tandis qu’une autre canalisation, située à l’arrière, récupère les matières fécales et le papier toilette. Le pipi est ensuite récolté dans une station de traitement installée au sous-sol de l’un des bâtiments – et ainsi éviter d’être collectée par des camions – et peut récupérer jusqu’à 2 000 litres par jour. Le liquide est ensuite stabilisé pour enlever les mauvaises odeurs puis filtré pour enlever les micropolluants. Le tout peut ensuite être utilisé comme fertilisant pour les espaces verts du faubourg. « Ça me paraît assez logique dans l’écoquartier. Et puis c’est facile, tout est installé, il n’y a rien à faire. L’effort demandé n’est pas dingue par rapport au bénéfice que ça peut avoir », explique Tiphaine, 43 ans, future habitante de l’un des 320 logements sociaux avec son mari et ses deux enfants.

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Si les futurs habitants de l’écoquartier n’ont pas eu leur mot à dire dans la mise en place de ce système, décidé en 2020 par la Ville de Paris, l’aménageur du projet, Paris & Métropole aménagement, a néanmoins veillé à les sensibiliser. Car pour que cette urine puisse servir d’engrais, quelques – simples – changements d’usage sont de mises. Les produits javel sont par exemple proscrits pour éviter de tuer les bactéries qui conditionnent la transformation de l’urine en engrais et les habitants devront entretenir leurs toilettes avec du vinaigre blanc ou de l’acide citrique pour éviter les dépôts de tartre et empêcher les mauvaises odeurs.

Que les plus proprets se rassurent, ce n’est pas demain la fin de l’ère hygiéniste. « On doit apporter des garanties sanitaires extrêmement élevées donc ça n’est pas du tout un retour en arrière d’une qualité d’hygiène. Il ne s’agit pas de revenir à l’époque où on vidait son pot de chambre par la fenêtre », s’amuse Louise Raguet, qui se présente comme « designer en assainissement écologique ».

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Si ces projets émergent principalement en Île-de-France, c’est en partie car la question revêt un enjeu majeur pour la région au vu des projections de croissance démographique au sein de la Métropole du Grand Paris. L’arrivée d’un million de personnes supplémentaires dans la région d’ici 2030 menace la bonne santé écologique de la Seine car les eaux usées favorisent la formation des algues et nuisent aux plantes aquatiques, aux poissons et autres organismes. « Les volumes d’eaux usées à traiter seront encore plus importants, ce qui signifie plus de pollution potentielle des milieux écologiques », explique Julie Ginesty, responsable ville durable chez Paris & Métropole aménagement. « On est déjà dans les limites de ce que nos systèmes d’assainissement peuvent proposer pour assurer le bon état écologique de la Seine », complète Louise Raguet.

Enjeu de souveraineté alimentaire

Et la montée en flèche du prix des engrais chimiques issue des difficultés d’approvisionnement en gaz naturel russe est venue crédibiliser ce type de dispositif. « Il faut penser une agriculture plus sobre et indépendante de ressources fossiles. Ça touche directement aux questions de souveraineté alimentaire. Si on veut une agriculture locale, on ne peut pas dépendre de ressources présentes uniquement sur d’autres continents », abonde Louise Raguet.

Un constat qui a poussé le ministère de l’agriculture à réfléchir à de nouvelles sources locales de fertilisants azotés, sans aller jusqu’au branle-bas de combat. Si certaines structures, comme l’Agence de l’Eau Seine Normandie, subventionnent d’ores et déjà jusqu’à 80 % les projets urbains qui installent des dispositifs de séparation à la source de l’urine pour sa valorisation agricole, le sujet ne fait pas encore l’objet d’une mobilisation forte des pouvoirs publics, estime Priscillien Tambuzzo. « Ce qui fait peur au gestionnaire ce sont les surcoûts et l’incertitude d’en tirer des recettes. Car pour l’heure il n’y a pas de garantie de pouvoir vendre le fertilisant produit », reconnaît Louise Raguet. Chez Piwee, les urino-fertilisants sont encore en cours de conception. Des essais au champ sont ainsi prévus pour 2026 sur des cultures de blé et de maïs avant de pouvoir les commercialiser.

Bientôt un marché de l’urine humaine ?

Et votre pipi vaut-il vraiment de l’or ? Difficile à dire. Si le système est entièrement abouti d’un point de vue technique, la difficulté reste de trouver un modèle d’organisation et de financement pérenne. « C’est un marché qui n’est pas simple économiquement parce qu’avec les contraintes logistiques qui amènent à transporter de l’eau, les coûts de transport sont élevés », concède Priscillien Tambuzzo.

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Pour l’heure, le manque de structuration de la filière rend difficile l’estimation du prix de ce nouveau type de fertilisant, qui n’est pas aussi attractif que des engrais chimiques. « Aujourd’hui, 1 kg d’azote ça coûte très peu par rapport à ce que ça coûte de gérer un réseau d’urines. Le marché de l’engrais chimique est très calibré alors que les projets de collecte sont des projets pilote qui démarrent tout juste et n’en sont pas encore à une échelle de déploiement aussi majeure », abonde la normalienne, qui reste optimiste, tant cette innovation semble séduire au-delà des cercles d’agriculteurs engagés dans des démarches agroécologiques. « J’ai de plus en plus d’agriculteurs qui sont intéressés, y compris ceux qui travaillent à des niveaux industriels, mais qui adhèrent à cette circularité de la matière », conclut Louise Raguet. Alors si en plus votre urine peut faire consensus chez les agriculteurs, n’attendons plus !


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