Dès ce lundi matin, deux navettes électriques et sans conducteur se mêleront au trafic entourant la gare de Valence TGV. Une « première en Europe » selon Beti, filiale de l’opérateur drômois Bertolami, qui pilotera cette expérimentation sur ce hub stratégique de la LGV Méditerranée, fréquenté par près de 3 millions de voyageurs par an. Objectif :
Proposer une desserte décarbonée aux abords de la gare TGV de Valence, tout en facilitant la mobilité des salariés sur le parc. Près de 120 à 150 usagers pourraient emprunter ces navettes quotidiennement, selon les premières estimations de Beti.
Au cours des deux prochains mois, elles effectueront tous les jours des trajets de 10 à 17 heures, avec une fréquence prévue toutes les trois minutes pour certains arrêts. Avec leurs huit places, ces navettes entièrement automatisées pourront rouler jusqu’à une vitesse de 35 km/h et effectueront une boucle de 3,3 km. Le tout, dans un trafic mixte, c’est-à-dire sans faire appel à une voie réservée ou coupée des autres véhicules en circulation.
Le trajet, qui visera à raccorder la gare TGV, les parkings longue durée (P4 et P5), ainsi que plusieurs entreprises et restaurants du parc d’activité de Rovaltain – qui héberge près 150 entreprises et 2.800 emplois sur près de 162 hectares – sera d’ailleurs entièrement gratuit pour les passagers puisque, expérimentation oblige, le service ne pourra pas, pour l’heure, être facturé.
Si, dans un premier temps, la présence d’un opérateur est bien prévue à bord pour informer les passagers, l’objectif est ensuite que ces navettes roulent sans aucun accompagnateur, tout en restant contrôlée à partir d’un « centre d’hypervision » situé à Saint-Donat-sur-l’Herbasse (Drôme).
Une spin-off d’un autocariste drômois
Derrière cette expérimentation, on retrouve Beti (10 salariés), filiale du transporteur drômois Bertolami, qui opérait depuis 70 ans des autocars au sein des territoires ruraux. Et depuis 2019, c’est pour entrer sur le marché des navettes autonomes que l’un des membres de la fratrie aux commandes de la PME familiale, Benjamin Beaudet, a pris les reines de Beti.
Un pari qui peut intriguer à l’heure où le marché des navettes autonomes est encore perçu comme une promesse qui peine à se concrétiser : car après les récents déboires des Gafams dont les expérimentations avaient été pointées du doigt, notamment aux États-Unis pour leur manque de fiabilité, des fleurons hexagonaux comme Navya ou Easymile se sont retrouvés en grandes difficultés. Avec pour le premier, le passage sous pavillon japonais assorti d’un recentrage de ses activités, et pour le second, un placement en redressement judiciaire.
« Ce sont clairement les milliards d’investissements qui ont manqué, estime Benjamin Beaudet. Quand on voit qu’une société comme WeRide s’introduit au Nasdaq en octobre 2024 pour une valorisation de 4 milliards de dollars, alors qu’en France, nous n’avons pas réussi à construire des acteurs à cette échelle. »
Mais le directeur général délégué a fait preuve de persévérance : « Nous avions réfléchi aux différentes transitions écologiques et numériques de notre métier. Or, dans ce domaine, ni un véhicule électrique ni une technologie de conduite automatisée ne font un service de transport public, il fallait aussi un opérateur », explique Benjamin Beaudet.
C’est ainsi qu’après avoir lancé de premiers tests à compter de 2019 avec la société Navya en Savoie et dans la Drôme, Beti s’est cette fois entourée d’un consortium de trois mastodontes : Renault Group pour la fourniture des navettes, qui, associé au chinois WeRide pour la technologie de conduite automatisée, a co-développé des navettes autonomes dites de niveau 4 (à la conduite automatisée, c’est-à-dire sans chauffeur), testées pour la première fois en conditions réelles au tournoi de tennis de Roland-Garros 2024. Le groupe Macif est quant à lui à la fois actionnaire de Beti et assureur des véhicules.
Avec à la clé, un investissement estimé à 700.000 euros, incluant la valeur matérielle des navettes, les logiciels, le travail humain… « Nous avons fait notre bonhomme de chemin et nous avions identifié une dizaine d’acteurs clés de l’automatisation l’échelle mondiale, dont cinq qui répondaient à nos propres critères : nous leur avons proposé ensuite de venir qualifier leurs solutions chez nous, ce qui a mené à l’expérimentation aujourd’hui de Rovoltain », poursuit le DG, qui ne s’interdit pas de nouer, à l’avenir d’autres partenariats industriels. « Si vous venez sur un parking d’un opérateur de transport, vous ne trouverez jamais la même marque : tout dépend des cas d’usages visés. »
Au parc d’activités de Rovaltain, ce sont en premier lieu les mobilités internes au parc et à destination de la gare Valence TGV qui sont visées par cette expérimentation.
Des cas d’usage au cœur des territoires ruraux
Un modèle qu’il entend donc dupliquer non pas aux centres-villes, mais plutôt au cœur des territoires ruraux, qui pâtissent à la fois d’un déficit d’offre par rapport à l’étendue des territoires, mais aussi à une pénurie de conducteurs, à l’image de l’Hexagone.
« Aujourd’hui, beaucoup de projets de déploiements commerciaux attendent un démonstrateur à taille réelle suffisamment probant pour y aller », glisse Benjamin Beaudet, qui, après avoir mené en février 2019 aux côtés de Navya une toute première expérimentation de navettes autonomes en montagne au sein d cela station de Val Thorens (Savoie), opère encore une ligne pilote de navettes entre la gare SNCF de Crest et l’Ecosite du Val de Drôme à Eurre, avec sept véhicules fournis par la société Navya.
« Nous envisageons déjà des cas d’usage qui pourraient faire la différence, entre des gares et des structures comme les 135 hôpitaux français où il n’existe pas encore de transport public par exemple », précise le DG, qui rappelle que le modèle économique, encore en construction au sein de la filière, dépendra de plusieurs facteurs : « l’amplitude horaire, le démarrage matinal du service, la typologie des flux, etc. »
À l’issue d’une phase dite d’apprentissage de deux mois, la société Beti devrait procéder à un premier bilan de son expérience à Rovaltain avant de relancer, en juillet prochain, une seconde phase d’exploitation qui pourrait ensuite enclencher, elle l’espère, une phase de commercialisation de son service de navettes autonomes en France et en Europe.
