À la pointe du Médoc, à Saint-Vivien-de-Médoc, un bus est stationné à côté de l’école un mercredi matin. Il n’y a pas d’élèves ce jour-là, mais des parents qui traversent la place en poussette avec leurs tout-petits. Les uns se dirigent vers le lieu d’accueil parents enfants, qui ouvre une demi-journée par semaine, quand d’autres ont rendez-vous avec l’équipe médicale du « Bus en + » pour un bilan de santé de leur enfant.
Parmi eux, une maman tout juste sortie de la maternité se présente avec un nouveau-né de 10 jours. « C’est la protection maternelle et infantile (PMI) en mobilité », explique Anne-Charlotte Marcotte, en guise d’accueil à l’entrée du bus. Elle est médecin et responsable santé au pôle territorial de solidarité du Médoc pour le département de la Gironde.
Des soins jusqu’au dernier kilomètre
Habituellement proposé au sein des Maisons du département et des solidarités de Gironde, ce service se déplace une fois par mois dans ce village de 1 800 habitants. Une aubaine pour Paula, jeune maman, qui a découvert l’existence de ce bus à la maternité, il y a cinq mois. Elle habite à proximité mais n’est pas véhiculée. C’est précisément le public ciblé par le Bus en + : des personnes isolées, souvent précaires, sans moyens de déplacement sur un territoire où l’offre de soin est très limitée.
« Dans le Médoc, il n’y a pas de pédiatre en dehors de la maternité de Lesparre-Médoc, à vingt minutes de voiture, qui ne consultent qu’un jour par semaine. Quant aux médecins, ils sont surbookés et il faut faire 30 kilomètres pour en trouver un ! Tout est loin… », décrit Anne-Charlotte Marcotte. L’idée du Bus en + est donc d’aller vers ces familles. Si besoin, le chauffeur du bus peut même aller les chercher en voiture et ainsi assurer le dernier kilomètre.
Les consultations durent en moyenne quarante-cinq minutes, le temps d’aborder le volet médical et le quotidien. « Jusqu’à l’âge de 6 mois, il y a beaucoup d’étapes : la diversité alimentaire, les poussées dentaires, la prévention de la plagiocéphalie (la tête plate) ou encore le dépistage de troubles », égrène Delphine Oliero, infirmière puéricultrice. À l’intérieur du bus, tout est optimisé. Un premier espace permet de discuter, tandis que le deuxième est consacré aux consultations. À l’intérieur, un frigo a été installé pour garder les vaccins au frais. Un laboratoire miniature permet aussi d’envoyer des examens et de réceptionner des résultats en une heure.
Pallier l’absence de généralistes en Haute Gironde
Après l’expérience réussie du Vaccibus, pour la vaccination pendant la pandémie, c’est en 2023 que le département de la Gironde a fait l’acquisition de deux bus, grâce à des financements européens, avec pour ambition de faciliter l’accès au soin et aux services des personnes les plus éloignées pour des raisons géographiques et/ou psychosociales. « Il s’agissait de rester dans le cadre des compétences départementales, sans se substituer à l’offre médicale », souligne le département. Au-delà des consultations de PMI, le bus propose ainsi de l’accueil social et administratif, du soutien aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap, ou de l’aide à l’utilisation des services numériques. « C’est comme un couteau suisse. Ce bus transporte les missions des MDS [Maisons de santé] », assure Anne-Charlotte Marcotte.
Il a d’ailleurs fait des émules. Depuis le mois de mai, l’un de ces bus est également utilisé dans le cadre du projet Médicobus, porté par l’agence régionale de santé et financé par l’Assurance maladie, qui vise, lui, à lutter contre la pénurie de médecins généralistes. « 250 patients de plus de 70 ans ou en affectation longue durée, sans généraliste, ont été orientés vers des médecins qui avaient encore de la place. Mais des personnes sont encore en liste d’attente », explique Yary Monclin, directrice de la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de la Haute Gironde qui coordonne le projet.
D’où la mise en place du Médicobus qui se déplace dans trois villes ou villages à raison d’une ou deux fois par mois pour des consultations sur rendez-vous. Quatre médecins bordelais à la retraite sont aujourd’hui mobilisés pour ce dispositif. « Ils sont salariés du pôle de santé du territoire de Saint-Savin », explique Yary Monclin. La problématique est connue : les médecins qui partent à la retraite ou pour des raisons personnelles ne sont pas remplacés. Un généraliste suit ainsi en moyenne 1 500 patients. À Blaye, quatre médecins généralistes sont actuellement en activité, dont deux qui partiront d’ici à un an et demi. « Il y a un problème d’attractivité du territoire », souligne Yary Monclin.
Pour y faire face, « le Médicobus est une solution en attendant que d’autres actions portent leurs fruits mais elles demandent plus de temps », prévient-elle. Et de citer notamment le travail réalisé sur l’attractivité du territoire avec le contrat local de santé pour essayer d’attirer les jeunes médecins. Des journées d’accueil sont organisées deux fois par an à destination des étudiants. « Il s’agit de leur montrer comment les professionnels coopèrent sur le territoire, se coordonnent et comment ils y vivent », explique Yary Monclin, peu disposée en revanche à se positionner sur le débat autour d’une possible régulation de l’installation.
« La solution ne serait-elle pas de favoriser la coordination, de donner des moyens aux collectivités ? », s’interroge-t-elle. « Pour qu’un jeune médecin s’installe dans un territoire comme le Médoc, il faut trouver un logement, une école, un travail pour le conjoint, qui est souvent cadre. Donc soit il est célibataire, soit il est philanthrope. S’il aime la nature et a une appétence pour cet endroit, c’est possible, mais s’il est contraint et obligé, cela devient compliqué », témoigne, pour sa part, Anne-Charlotte Marcotte.
Le Parlement explore deux voies
Si, comme le rappelle Yary Monclin, « le sujet divise les médecins », il continue aussi de faire débat au sein de la classe politique. Deux textes ont été adoptés en première lecture en mai à quelques jours d’intervalle, l’un à l’Assemblée nationale, l’autre au Sénat. Le premier, porté par le député socialiste Guillaume Garot, mais non soutenu par le gouvernement, crée une autorisation préalable à l’installation pour les médecins délivrée par l’agence régionale de santé. Dans les territoires les mieux pourvus, le médecin ne pourrait s’installer que lorsqu’un autre s’en va.
De son côté, le sénateur LR Philippe Mouiller propose que dans les zones les mieux pourvues en praticiens, l’installation des généralistes soit conditionnée à leur exercice en parallèle à temps partiel dans une zone en déficit de soignants. Le gouvernement a activé sur ce texte la « procédure accélérée » d’examen, pour réduire la durée du parcours législatif de cette initiative.