L’apparition de la Suisse à la neuvième ligne du tableau des sanctions douanières, brandi le 2 avril dernier par le président Trump, a été un choc pour la petite mais puissante économie helvétique. Les 20 % de droits de douane pour l’Union européenne étaient déjà un coup de massue, mais de l’autre côté des Alpes, ce ne sont pas moins de 31 % qu’ont récoltés nos voisins helvètes.
Or, avec 18,6 % des exportations suisses dirigées vers les États-Unis en 2024, ces derniers constituent son premier marché à l’export. Et si la suspension pour 90 jours des droits de douane, annoncée mercredi 10 avril par Donald Trump, a suscité un certain soulagement, le pays reste encore sonné. Le désaveu américain a fortement secoué les milieux économiques et financiers du pays.
De quoi interroger sur la nécessité d’un rapprochement avec sa voisine européenne. « La Suisse est le quatrième partenaire commercial de l’UE pour les biens et le troisième pour les services, le commerce bilatéral global s’élevant à quelque 550 milliards d’euros », rappelait en décembre dernier le commissaire européen au commerce, Maros Sefcovic.
Ce vendredi, la présidente de la Confédération suisse et ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, assistait d’ailleurs à une réunion des ministres des Finances de l’UE à Varsovie, aux côtés également de son homologue du Royaume-Uni. Un fait notable puisqu’il s’agit de la première fois dans l’histoire de la Suisse qu’une ministre des Finances participe à une réunion régulière avec ses homologues de l’UE. Et si l’invitation est antérieure à la réélection de Donald Trump, elle intervient alors que, même du côté de la frange libérale suisse – surtout en Suisse alémanique – historiquement en défaveur d’un rapprochement avec l’Union Européenne, cette idée fait son chemin.
Zone de turbulences
Jusqu’alors, fort de son économie puissante, portée par un secteur financier et bancaire de renom et une industrie pharmaceutique et horlogère de pointe, l’État helvète cultivait son indépendance. Avec l’Union européenne, il a ainsi privilégié des accords bilatéraux qui lui permettent de participer partiellement au marché intérieur sans être membre ni de l’UE ni de l’Espace Économique Européen (EEE).
Mais, pour René Schwok, professeur à l’Université de Genève et spécialiste des relations de l’Europe avec la Suisse, « les turbulences imposées par Donald Trump ont fait bouger les choses ». Le choc des annonces du président américain a « renforcé le camp des proeuropéens, et fait changer d’avis certains milieux libéraux, surtout en Suisse alémanique, qui misaient beaucoup sur les États-Unis ».
Avant les annonces de Donald Trump, la Suisse « n’avait pas forcément pris la mesure de la situation, pensant alors passer sous les radars de l’Amérique, dans une guerre commerciale qui allait concerner surtout l’UE et les États-Unis », note-t-il. Désormais, « la petite musique d’un rapprochement avec l’UE se fait entendre plus distinctement », remarque-t-il.
« Une assurance indispensable »pour la Suisse
En décembre dernier, la Suisse a d’ailleurs fait un premier pas vers une intégration économique plus étroite avec l’UE en concluant un accord politique avec Bruxelles pour réviser leurs relations commerciales communes : libre circulation des personnes, transports et l’agriculture, énergie, santé. Un accord toutefois soumis à un long processus d’approbation.
Et si ce projet ne fait pas l’unanimité, pour le professeur genevois, les opposants initiaux ont désormais compris que le rapprochement économique avec l’UE constituait « une assurance indispensable » pour la Suisse. « Il n’était pas sûr que cet accord soit adopté par le Parlement suisse, mais cela a changé en quelques jours », estime-t-il.
Évoquant ce sujet cette semaine dans une interview accordée au journal suisse Neue Zürcher Zeitung, alors qu’elle faisait le point sur les options de la Suisse, Karin Keller-Sutter a ainsi déclaré : « Nous voulons stabiliser et approfondir les relations avec l’UE ».
De son côté, « l’Union européenne a besoin de la Suisse et du Royaume-Uni pour faire front commun », pointe le professeur René Schwok. Et d’ajouter que, dans l’intervalle de la suspension de 90 jours des droits de douane, « l’Union européenne doit adopter une réaction coordonnée et forte en matière d’investissement face au président Trump ».
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Valentine Roux