« J’aimerais pouvoir l’effacer ». C’est la confession faite il y a quelques semaines par le réalisateur Chris Columbus, au sujet de la scène tournée avec Donald Trump dans Maman j’ai raté l’avion 2, en 1992. L’homme d’affaires qui n’était pas encore en politique aurait même supplié pour apparaître l’écran.
Ce dimanche 4 mai, le président américain confirme son goût pour le cinéma en annoncant « entamer immédiatement le processus d’instauration de droits de douane de 100 % » sur les films diffusés aux États-Unis mais produits à l’étranger.
« L’industrie cinématographique américaine est en train de mourir très rapidement (…). Hollywood et de nombreuses autres régions des États-Unis sont dévastés (…) D’autres pays offrent toutes sortes d’incitations pour attirer nos cinéastes et nos studios loin des États-Unis », a justifié le milliardaire républicain.
Hollywood en déclin
Dans les faits, Donald Trump a pour l’instant lancé une enquête pouvant déboucher sur des tarifs douaniers. L’enquête pourrait bien aboutir à un constat unanimement partagé et déjà décrit par Joëlle Farchy, universitaire et spécialiste de l’économie cinématographique, dans son étude Le cinéma n’est plus ce qu’il était.
« L’industrie hollywoodienne, longtemps dominante, est soumise à rude épreuve, tantôt absorbée par les géants du numérique, tantôt confrontée à des pays qui, comme la Corée ou la Chine, veulent, à leur tour, faire de l’audiovisuel un outil de soft power »
Donald Trump ne se trompe pas sur le constat : l’hégémonie hollywoodienne est tourmentée. Cependant, les films étrangers n’inondent pas le marché américain. « Il n’y a pas d’arrivée massive de séries turques ou chinoises sur le marché américain. Les États-Unis sont un pays d’exportations de films, leurs importations sont maigres » assure Joëlle Farchy, interrogée par La Tribune.
Alors, le président confondrait-il production et diffusion ? Si la production a diminué de 26 % l’an dernier par rapport à 2021, les films Made in USA représentent toujours plus de 95 % des longs-métrages dans les salles américaines. Plus encore, le cinéma américain continue d’accaparer près de 90 % des recettes cinématographiques mondiales avec seulement 15 % des films produits.
Tournage aux États-Unis
Seulement, si les productions et les recettes sont américaines, les tournages le sont de moins en moins. En 2023, le nombre d’autorisation de tournage à Los Angeles était au plus bas depuis 30 ans, au moment où les réalisateurs usaient de leur clap en Irlande, au Royaume-Uni, au Canada, en Nouvelle-Zélande ou en Espagne. Dans ces pays, les incitations aux tournages sont intéressantes, la principale étant la subvention versée par les autorités locales. Car ces dernières y voient un intérêt. En effet, Dans une étude parue en 2018, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) estimait que « chaque euro investi par les collectivités locales dans un film, une fiction ou un documentaire génère 6,60 euros de retombées directes (rémunération, dépenses techniques et tournage) et 1 euro de tourisme (hébergement, restauration, loisirs, transport) : soit un total de 7,60 euros ».
Lorsque Universal Studios a accepté de tourner le dernier Jurassic Park au Royaume-Uni, le géant hollywoodien a touché près de 109 millions d’euros de subvention britannique. Des sommes qui incitent les majors à l’expatriation. Ainsi, la véritable cible des annonces de Donald Trump pourrait être les œuvres américaines produites en dehors du territoire états-unien, et non les films étrangers. Reste qu’il paraît techniquement difficile de taxer aux frontières des États-Unis des œuvres déjà américaines…
Le cinéma français dubitatif
Coté français, on s’interroge encore…Si l’objectif de Donald Trump est de rapatrier les tournages, les exportations de films français pourraient tout de même pâtir de droits de douane. D’autant plus qu’à quelques rares exceptions, la France a déjà du mal à exporter ses films outre-Atlantique. « Ces droits de douane causeront peut-être des difficultés à une poignée de films français qui cherchent à s’exporter aux États-Unis », relativise Joëlle Farchy.
Florencia Gil, cheffe des ventes internationales chez Urban Sales – entreprise vendeuse de films français à l’étranger -, est plus inquiète : « Si ça se met en place, il y aura un gros impact pour nous. On ne vendra plus aux États-Unis » estime-t-elle. Pour elle, le marché américain était déjà compliqué : « le public n’a pas l’habitude des sous-titres. On ne peut diffuser un film d’auteur qu’à Los Angeles ou New York. » Sur les quelque 5 % de films étrangers qui sont diffusés dans les 51 États américains, « les 3 quarts sont anglophones », précise l’universitaire Chloé Delaporte, autrice de Géopolitique du cinéma aux éditions Le cavalier bleu.
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Julien Gouesmat