LA TRIBUNE – Comment se portent l’entreprise Clariane et ses EHPAD Korian, trois ans après la publication du livre Les Fossoyeurs ?
Nicolas MERIGOT, directeur général France de Clariane – C’est un livre qui a été très important puisqu’il a révélé et mis fin à des pratiques scandaleuses dans un groupe (Orpea, NDLR) où l’équipe de direction, qui fait aujourd’hui l’objet de poursuites pénales, ne reflétait vraiment pas la pratique de notre métier. Concernant notre santé financière, tous les groupes privés, publics ou associatifs d’EHPAD se portent mal. Nous avons connu trois années marquées par un choc inflationniste très important, à la fois sur les rémunérations, l’énergie, l’alimentaire et les dispositifs médicaux. Or, nous n’avons pas eu d’augmentation des tarifs dans les mêmes proportions. Il y a eu un effet ciseau. Nous pensons qu’environ 40 % de l’inflation n’ont pas été compensés dans les tarifs.
La situation n’est donc pas florissante…
Pour Clariane, la France représente 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires (44 % de l’activité totale, NDLR), mais seulement 20 millions d’euros de résultats, soit 13 % du total. Ces résultats ne sont pas liés à la publication des Fossoyeurs, mais plutôt à une inflation très forte, une augmentation des taux d’intérêt et au fait que, pour des raisons diverses, tout cela n’a pas été répercuté dans les tarifs.
La publication de ce livre a eu un effet sur l’ensemble du secteur. À la veille de sa publication, votre cours titrait à 20 euros. Il est aujourd’hui à 4 euros, après être descendu à 1 euro l’an dernier. Comment redonner confiance aux investisseurs ?
Il y a effectivement eu une destruction de valeur très importante. Et je pense que tout cela a résulté d’un mouvement de panique. Parce que même si les résultats ne sont pas très bons, du moins comparés à ce qu’ils étaient auparavant, cela ne justifie pas une valorisation aussi faible de nos actifs. Beaucoup d’investisseurs institutionnels étrangers nous ont quittés. Mais tant qu’il n’y aura pas un certain niveau de marge restauré, les investisseurs agiront avec prudence. Il faut faire attention à ne pas alimenter “l’EHPAD bashing”. J’espère que la publication des rapports commandés par le ministère de la Santé (attendus ce jeudi 27 mars, NDLR) le montrera. Sur France 2, la ministre Charlotte Parmentier-Lecocq (ministre déléguée chargée des Personnes âgées, NDLR) a indiqué que 55 établissements étaient concernés par des fermetures ou mises sous-tutelles. Au-delà du fait qu’aucun établissement Korian n’est concerné, cela représente 0,7 % des EHPAD. C’est toujours trop, mais cela signifie qu’une minorité d’acteurs est en cause. Nous avons reçu des observations et des injonctions, ce qui est une bonne chose, car cela nous permet de progresser.
Le groupe Korian a aussi fait l’objet d’une trentaine de plaintes en 2022. Où en sont-elles ?
Trois ans après, nous n’avons à ce jour connaissance d’aucune poursuite à l’encontre du groupe ou de ses établissements à la suite de ces plaintes.
40 % des EHPAD, qu’ils soient publics, privés lucratifs ou non lucratifs, sont en difficulté financière. Qu’en est-il de vos établissements ?
Globalement, nos activités sont rentables, mais si on considère chaque établissement individuellement, nous devons être à peu près dans la même proportion. En tant que premier opérateur privé, la loi des grands nombres fait que nous avons à peu près la même proportion d’établissements rentables et non rentables que le reste de la profession.
Avez-vous des velléités de nouvelles ouvertures ou bien de rachats d’EHPAD ?
Pas de rachat, non. Nous avons surtout des projets de transformation que nous avions dû interrompre par le passé pour des raisons de financement. Dans la métropole de Montpellier, par exemple, nous avions trois projets de réorganisation, relocalisation et restructuration d’EHPAD. Aujourd’hui, nous espérons pouvoir en reprendre un très prochainement.
Le recrutement dans le secteur médico-social est souvent pointé comme un problème. Les tensions sont-elles toujours aussi fortes ?
Il faut redonner le goût à ces métiers. Nous avons aujourd’hui 12 % de nos collaborateurs qui suivent une formation diplômante. Il s’agit de les former, mais aussi de les fidéliser, car il y a un énorme turn-over dans la profession.
Quel est le montant moyen d’une mensualité dans un EHPAD de votre groupe ?
Elle s’élève à environ 3 100 euros. En ce sens, la question du financement est très importante. Nous militons pour la création d’un comité de filière, sous l’égide du Premier ministre, comme il en existe dans d’autres secteurs. Ce comité aurait pour vocation de rassembler tous les acteurs du secteur : opérateurs, promoteurs, collectivités locales… Le défi démographique est là, devant nous, et on va dans le mur. Les premiers enfants du baby-boom arriveront à l’âge de 85 ans en 2032… On ne pourra pas dire dans cinq ans qu’on ne savait pas. Il y a urgence à faire émerger collectivement des solutions pour garantir le financement du secteur et adapter les plans de formation afin de répondre à ce défi.