Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP
Tribune
Par Marius Bertolucci
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Gabriel Attal a dénoncé, dans une tribune, l’effet néfaste des écrans chez les mineurs. Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Marius Bertolucci, explique que l’ancien ministre de l’Éducation national a tout fait pour favoriser le numérique lorsqu’il était en poste.
Après avoir activement promu le numérique sous toutes ses formes au ministère de l’Éducation, Gabriel Attal se découvre à nouveau une vocation de lanceur d’alertes anti-écrans. Faut-il y voir une prise de conscience réelle ou un énième « en même temps » ? Retour sur un parcours ministériel où les discours sur les écrans se contredisent quand les actes les adulent.
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La récente tribune cosignée par Gabriel Attal et le pédopsychiatre Marcel Rufo dans Le Figaro a fait grand bruit. On y décrète un « état d’urgence » contre les écrans appelant à des « mesures radicales » dont un entretien d’évaluation de l’addiction en sixième et en seconde. Le ton est donné. Étrange volte-face, pour celui qui, ministre de l’Éducation nationale, déployait à grand renfort de communication l’intelligence artificielle MIA Seconde pour l’apprentissage des mathématiques et du français pour les élèves de seconde… Précisément sur écran.
Écoutez ce que je dis et ne regardez pas ce que j’ai fait
Un choix surprenant déjà à l’époque. Comme le rappelait Le Monde en octobre 2024, l’apprentissage adaptatif sur lequel repose MIA Seconde, a suscité beaucoup de scepticisme dès le milieu des années 2010, après l’échec de start-up similaires revendues des bouchées de pain. Du côté des chercheurs, même scepticisme au vu du manque de solidité théorique, de la pénibilité et du manque de vie de ces applications éducatives.
Qu’à cela ne tienne, il suffirait d’évaluer avant le déploiement mais le ministère a préféré une évaluation après coup. Comme le révèle L’Humanité, elle a été confiée non pas à la direction dédiée du ministère (la DEPP), mais à un laboratoire privé lié à capitaux saoudiens. Évaluer l’addiction aux écrans après avoir imposé des outils numériques à l’efficacité douteuse relève d’une cohérence que l’on peine à trouver.
L’autre marqueur du passage d’Attal rue de Grenelle, certes peu médiatisé, fut le remplacement de l’humain par l’IA. Le lendemain de son départ du ministère pour Matignon le 9 janvier 2024, un appel d’offres de près de 13 millions d’euros était lancé pour développer des « assistants pédagogiques » basés sur l’IA. Dans le même temps, le budget 2024 acte en catimini la suppression de 1 100 postes d’assistants d’éducation. Année du chassé-croisé pour l’Éducation ! Pour pasticher le poète Heine « Là où on remplace les livres, on finit par remplacer des hommes par des IA. »
La semaine de tous les changements d’avis
Sur le terrain de la communication le « en même temps » a atteint des niveaux jupitériens. Le 13 novembre 2023, le ministre Attal qualifie la place des écrans de « catastrophe sanitaire et éducative » affirmant le « devoir » de l’Éducation nationale de proposer des « alternatives aux familles ». Trois jours plus tard, patatras ! En visite au salon EdTech, Attal tweete que « pour élever le niveau général de nos élèves, le numérique et l’intelligence artificielle sont des outils clés ». Comment ignorer à ce point les alertes largement médiatisées venues de chercheurs comme Michel Desmurget, lequel synthétise dans ses ouvrages (La Fabrique du crétin digital et Faites-les lire !) plus de 2 500 études sur les méfaits des écrans, notamment sur l’apprentissage ? Même l’UNESCO, pourtant peu suspecte de technophobie, tirait la sonnette d’alarme dès 2023 en pointant les effets néfastes du numérique distribué sans encadrement, conduisant à un usage déraisonné et à une source de distraction. La vénérable institution rappelle le peu de données sur la valeur ajoutée de ces dispositifs à mettre en comparaison de la grande partie des données affirmant un bénéfice qui provient des entités qui cherchent à vendre ces technologies.
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L’exemple suédois, où le tout-numérique à l’école s’est soldé par un échec cuisant avant un retour au papier, semble n’avoir eu aucun écho rue de Grenelle. Interrogé sur ce cas, le directeur du numérique du ministère, Audran Le Baron (à ce poste depuis 2021 et visible aux côtés d’Attal lors de sa visite au salon EdTech), balaye l’argument puisque : « La France n’est pas la Suède. » Fallait y penser. Comme si les cerveaux de nos enfants différaient fondamentalement de ceux des petits Suédois. Pourtant, l’inquiétude est légitime quand on voit des régions comme le Grand Est remplacer tous les manuels par des écrans au sein du programme Lycée 4.0 pour un coût annuel de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Faut-il s’étonner de cette cécité volontaire ? Le Baron assume lors du même salon EdTech une stratégie numérique ministérielle menée « en co-construction avec les industriels privés » ajoutant que « Le ministère ne peut pas tout ! » A-t-on réellement besoin des marchands du temple pour définir une politique pédagogique ? Cette proximité avec le secteur privé était d’ailleurs incarnée au sommet puisque quelques mois plus tôt, en juillet 2023, Gabriel Attal a recruté comme conseillère éducation numérique Anne-Charlotte Monneret, directement débauchée de son poste de « General Manager » d’EdTech France, le lobby du secteur. Difficile de ne pas voir ici un mélange des genres pour le moins problématique.
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Que faut-il croire entre les déclarations médiatiques d’aujourd’hui et les actions ministérielles d’hier ? Face à si peu de consistance, la seule proposition « choc », ou plutôt pleine de bon sens, est de nommer Michel Desmurget à la tête de l’Éducation nationale !
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne