Depuis que Donald Trump a déclenché la guerre commerciale, le monde économique navigue à vue, entre incertitudes et revirements de la part du président américain. Le fret maritime permet de prendre le pouls du commerce mondial. « Nous notons une baisse significative des exportations de la Chine vers les Etats-Unis. Le marché reste cependant soutenu au départ d’Asie vers l’Europe, l’Afrique et l’Amérique latine, note Rodolphe Saadé, Pdg du groupe CMA CGM (actionnaire de La Tribune). Mais si ces turbulences font craindre un ralentissement majeur de l’économie mondiale, elles rebattent aussi les cartes. Quelle serait la place d’un bloc Europe-Afrique dans un nouvel ordre mondial ?
L’axe transatlantique ayant vécu, « cela permet à l’Afrique de redéfinir ses relations internationales et de prendre une place d’acteur de son développement », estime Bestine Kazadi, ministre déléguée en charge de la coopération internationale et francophonie de la République Démocratique du Congo (RDC). Ses ressources naturelles faisant de l’Afrique « une puissance d’avenir », l’Europe, « en perte d’influence, a besoin de se réaffirmer ». De quoi créer une communauté d’intérêts entre les deux continents, en s’appuyant sur leur proximité et leurs complémentarités.
Attirer des partenariats dans la transition écologique
En clair, « l’Europe devrait davantage investir pour une Afrique forte et puissante afin d’assurer sa résilience », considère Bestine Kazadi. D’autant que la concurrence avance. « Dans mon pays, nous constituons maintenant des partenariats stratégiques, avec une montée en puissance de certains pays comme la Chine, l’Inde, la Turquie et la Russie ». Au Vieux Continent de réinventer son narratif, « moins paternaliste » et davantage centré sur un co-développement industriel, martèle-t-elle. Les atouts de la RDC qui pourraient favoriser ce décollage ? Ses minerais, puisque le pays est un producteur majeur de cuivre, de cobalt, d’uranium et de lithium, nécessaires à la transition énergétique, susceptibles d’attirer des partenaires stratégiques.
Et Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du développement durable de vanter les avantages de son pays, le Maroc. « Nous avons un énorme réservoir d’énergies renouvelables et de grands investissements dans les infrastructures ces dernières années. Et nous pouvons produire de l’électricité très compétitive, moins d’un tiers du coût du nucléaire français. De même, nous pouvons produire du méthanol et de l’ammoniac verts », susceptibles d’alimenter des navires. En outre, le Maroc entend jouer lui aussi un rôle dans le secteur des métaux et des minerais critiques. « Nous travaillons actuellement avec nos partenaires, notamment africains, pour redéfinir la certification ESG et les normes de durabilité dans le secteur des mines ».
Pour sa part, le vice-ministre des Affaires étrangères, de l’immigration et des expatriés égyptien, Abou Bakr Hefny, avance des exemples concrets de coopération, à l’instar de celui signé récemment entre la France et l’Egypte, incluant EDF Renouvelables, en vue de créer une unité de production d’hydrogène vert, pour un montant de 7 milliards d’euros. Le pays mise également sur le solaire et a inauguré il y a quelques mois une grande centrale dans le sud du pays dans le cadre d’un partenariat public-privé, avec Amea Power, société basée à Dubaï. Et avec l’entrée en service de la première centrale nucléaire, « nous aurons un surplus » d’électricité, affirme-t-il. D’ailleurs, des accords ont été conclus avec la Grèce afin de faire passer l’électricité égyptienne vers Athènes via un câble sous-marin.
L’Europe en manque d’un cap
Reste que, si le potentiel d’un bloc stratégique est là, encore faudrait-il que l’Europe puisse agir en tant qu’Union européenne. « Nous sommes dans une situation paradoxale où l’Europe a besoin de l’Afrique, souhaite y investir et renforcer sa relation, et il y a un certain nombre d’initiatives qui ont été prises, mais en même temps, elle a du mal à avoir une vision cohérente et un cap clair », constate Pascal Lorot. Grande puissance économique, mais nain diplomatique, « l’Europe a du mal à trouver ses marques en Afrique et les synergies entre les membres de l’Union européenne qui permettraient d’avoir une politique d’ensemble à destination du continent », décrypte le président de l’Institut Choiseul.
Il le faudrait pourtant. « A l’horizon 2050, un homme ou une femme sur quatre vivra sur le continent africain », pointe Pascal Lorot. Celui qui a fondé par ailleurs le think tank Choiseul Africa souligne ainsi la nécessité que « les jeunesses européenne et africaine apprennent à se connaître et à partager les formations ». Dans ce domaine, l’Europe a en effet un rôle clé à jouer. Surtout, « l’Europe se doit de contribuer à l’industrialisation de l’Afrique. Cela donnera de l’emploi, permettra aux trésors publics d’emmagasiner des rentrées fiscales et de réinvestir dans le développement des infrastructures publiques qui vont-elles-même alimenter le développement économique ».
« D’ici 2040 ou 2050, la croissance mondiale ne sera plus générée en Asie. Les capacités productives viendront d’Afrique », abonde Leila Benali. Enfin, « nous n’avons vu que le début de quelque chose de grand », assure Rodolphe Saadé à propos d’un continent sur lequel le Pdg de CMA CGM, a investi de longue date.