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L’édito d’Ève Szeftel
Par Eve Szeftel
Publié le
Olivier Faure reconduit, le Parti socialiste restera sous l’influence intellectuelle de cette gauche radicale qui se targue de combattre la droite et l’extrême droite alors qu’elle lui offre la victoire sur un plateau, estime Ève Szeftel, directrice de la rédaction de « Marianne ».
Le ralliement de Boris Vallaud à Olivier Faure, en rendant plus que probable la victoire de ce dernier, enterre le dernier espoir de rebâtir une gauche de gouvernement crédible autour du parti fondé en 1905 sous le nom de Parti socialiste, section de l’Internationale ouvrière, qui deviendra la SFIO. Le parti de Jaurès, de Blum, de Badinter, de Jospin et de Hollande, restera ce qu’il est devenu, l’ombre de lui-même. Un parti qui se vide de ses adhérents et de ses électeurs alors qu’il pourrait être le socle d’une gauche forte, fière et combative. Un parti qui a autant d’adhérents qu’à sa fondation il y a 120 ans : moins de 40 000.
Ce chiffre est d’ailleurs la vraie révélation de cette séquence électorale qui aboutira au Congrès de Nancy mi-juin : depuis l’élection d’Olivier Faure au Congrès d’Aubervilliers, le PS a perdu 50 000 adhérents. Le parti qui a gouverné la France pendant 21 ans depuis 1981 est en passe de devenir un groupuscule. Et on ne voit pas ce qui pourrait arrêter cette hémorragie face à ce que les opposants à la direction actuelle, réunis derrière Nicolas Mayer-Rossignol, voient comme un terrible gâchis.
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Faut-il faire remonter le début de la fin à 2017, la pathétique campagne de Benoît Hamon et sa proposition absurde de revenu universel, variante du « jetons l’argent que nous n’avons pas par la fenêtre » ? Ou à la naissance des frondeurs qui n’ont pas toujours su faire la part entre l’exigence de voir leurs critiques du programme économique de François Hollande mieux prises en compte et la nécessité de faire bloc au moment où la France était attaquée par le terrorisme islamique et que ses enfants mouraient par centaines, fauchés par les balles des kalachs ou écrasés sous les roues d’un camion ?
Tant le problème de la gauche réformiste est sa tendance à se laisser intimider par le chantage à la radicalité qu’exerce sur elle la gauche révolutionnaire, voire à développer un complexe d’imposture. Les problèmes qu’elle affronte au pouvoir sont pourtant loin d’être simples, entre nécessité de concilier efficacité économique et justice sociale, production et décarbonation, droits de l’homme et armement, antiterrorisme et respect de l’État de droit…
C’est l’affrontement Guesde contre Jaurès qui se rejoue. Le problème de la gauche réformiste est sa tendance à se laisser intimider par le chantage à la radicalité qu’exerce sur elle la gauche révolutionnaire.
Faut-il remonter à 1983, au « tournant de la rigueur » qui a cependant permis l’ancrage de la France dans le système monétaire européen ? Ou aux origines, à l’antagonisme fondateur entre Jules Guesde et Jean Jaurès, alors classé à la « droite » du parti parce qu’il prône la participation au gouvernement ? À ce vieux clivage entre les révolutionnaires qui refusent de se salir les mains et les réformistes qui arrachèrent au patronat et au bloc bourgeois qui le représentait à l’Assemblée ces grandes réformes sociales dont on continue à défendre les acquis ?
Doit-on rappeler que c’est autour du sort d’un petit capitaine juif, élevé lundi par l’Assemblée nationale au rang de général, que se déchira la gauche ? À l’époque, Jules Guesde théorisait que l’affaire Dreyfus était une querelle bourgeoise, un combat secondaire qui risquait de détourner les socialistes de leur but principal, la révolution prolétarienne. En face, Jean Jaurès, d’abord réticent, finit par comprendre ce qui se jouait autour de la défense de Dreyfus : celle de la République face aux forces réactionnaires encore hégémoniques dans la société de l’époque.
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Rien n’a changé : c’est toujours autour de la République que se déchire la gauche, c’est toujours l’affrontement Guesde contre Jaurès qui se rejoue. En campagne pour sa réélection, Olivier Faure a promis la rupture avec Jean-Luc Mélenchon. Pour mieux prôner une primaire de la gauche avec Marine Tondelier, un proxy de LFI, ou d’anciens Insoumis qui, rappelons-le, n’ont pas quitté le mouvement mais en ont été bannis. Pas ou peu de divergences sur le fond, les valeurs ni même le programme du Nouveau front populaire, qui ne répond sérieusement à aucune des grandes menaces qui pèsent sur la France (désindustrialisation, crise de notre modèle social, narcotrafic, pression migratoire, impérialisme russe et qatari…), mais de simples désaccords sur la forme : quand même, il exagère tonton Mélenchon.
Cette promesse de rupture est un leurre. Olivier Faure reconduit, le Parti socialiste restera sous l’influence intellectuelle de cette gauche radicale qui se targue de combattre la droite et l’extrême droite alors qu’elle lui offre la victoire sur un plateau. De ce fait, il continuera d’empêcher la gauche réformiste de redevenir majoritaire dans le pays et de pouvoir faire ce qu’elle a toujours fait quand elle était aux responsabilités, changer la vie ou du moins essayer. Mais rien de grave, le Parti socialiste en a vu d’autres et se reconstruira ailleurs, de manière autonome, dans l’affirmation tranquille de ce qu’il est et de ce qu’il pense juste pour le pays. Il en a toujours été ainsi.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne