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L’édito de Ève Szeftel
Par Eve Szeftel
Publié le
Il y a quelques jours, Aboubakar Cissé a été sauvagement assassiné dans une mosquée, suscitant l’effroi des Français musulmans comme de la communauté nationale. La suite n’a pourtant été guère plus rassurante : le ministre de l’Intérieur a mis deux jours à réagir, un chef de parti a fait montre d’une compassion à géométrie variable, et un député PS a été expulsé du rassemblement de soutien place de la République. Il est temps d’être « à la hauteur », estime Ève Szeftel, directrice de la rédaction de « Marianne ».
L’assassinat d’un musulman, dans une mosquée, à l’heure de la prière, n’est pas seulement un crime de haine effroyable : c’est un crime contre la République, garante de la liberté des cultes. On ne devrait pas avoir peur, en France, de se rendre à la mosquée, à l’église ou à la synagogue. Or, de même que les juifs, depuis les tueries de l’école juive de Toulouse et de l’Hyper Cacher, ou, plus récemment, l’attaque de la synagogue de La Grande-Motte, ont la boule au ventre chaque fois qu’ils doivent se rendre dans un lieu communautaire, de même que les catholiques ont été saisis d’effroi après l’assassinat du père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray ou ceux de fidèles à la cathédrale de Nice, de même les musulmans ne pourront s’empêcher, désormais, d’avoir peur.
Disons-le clairement : même si les motivations du tueur, qui a abusé de l’hospitalité d’Aboubakar Cissé, le jeune bedeau de la mosquée de La Grand-Combe, près d’Alès, avant de s’acharner sur lui, ne sont pas encore tout à fait claires, ce meurtre de sang-froid, signé et revendiqué dans une vidéo, est un tournant. Jamais nos compatriotes musulmans n’avaient subi une attaque aussi grave. Marianne, qui n’oublie pas que ce crime a été commis au cœur des Cévennes, terre de résistance à l’oppression religieuse puis nazie, tient à leur exprimer son absolue solidarité. Et à dénoncer les discours de haine, à l’extrême droite, qui ont pu influencer le tueur.
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C’est un tournant et pourtant, collectivement, nous ne sommes pas à la hauteur. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, aurait dû se rendre sur place dès vendredi. Il a attendu dimanche : un peu tard, alors que les revendications du meurtrier, qui a annoncé vouloir être un « tueur en série », étaient déjà explicites. « Quel message est envoyé par la République, dont la devise est l’égalité ? », s’est interrogé Mourad Battikh, l’avocat de la famille de la victime, qui s’étonnait aussi que le parquet national antiterroriste ne se soit pas saisi de ce crime manifestement perpétré avec l’intention de semer la terreur.
Le terrible meurtre raciste d’Aboubakar doit être l’occasion d’un sursaut : il est temps de bâtir ce nouveau front antiraciste.
En revanche, quand Me Battikh affirme que « la République trie ses victimes », laissant entendre que certaines communautés seraient mieux traitées que d’autres, c’est irresponsable. De même lorsqu’il accuse le ministre de l’Intérieur de porter une « responsabilité morale » dans cet attentat parce qu’il dénoncerait de manière obsessionnelle « l’Algérie, les musulmans, le voile, les lieux de culte ». « Vous pensez qu’au bout du téléviseur les gens restent indifférents ? », a-t-il lancé, lui imputant une responsabilité directe dans ce passage à l’acte meurtrier. Ce faisant, il amalgame la dérive du régime algérien, qui pourchasse ses opposants jusqu’en France, les musulmans, et les islamistes, tous victimes d’une supposée « islamophobie » d’État. C’est oublier un peu vite que ces derniers sont responsables de nombreux attentats en France qui ont fait plus de 300 morts – dont des catholiques, des athées, des musulmans, des juifs, bref des citoyens français de tous horizons.
Il n’est pas le seul à faire cette confusion : le Premier ministre François Bayrou lui-même a dénoncé une « ignominie islamophobe ». Or le terme est mal choisi puisque le meurtre d’Alès ne relève pas d’une critique de l’islam, qu’il faut défendre, mais de la haine des musulmans, qu’il faut combattre. Musulmanophobie serait mieux choisi. Ou raciste antimusulman.
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Mais dans cette affaire, l’opposition et en particulier La France insoumise n’est pas à la hauteur non plus. Dimanche, le rassemblement à Paris en hommage à Aboubakar Cissé aurait dû être un grand moment de recueillement et d’unité nationale. Mais ce qui devait être une veillée silencieuse s’est transformé en un meeting politique. Et les larmes de Jean-Luc Mélenchon avaient un goût amer, celui d’une compassion à géométrie variable. Pourquoi le leader insoumis n’a-t-il pas pleuré les enfants juifs tués à bout portant par Mohamed Merah ? Ni versé de larmes pour le jeune Thomas, victime d’un meurtre à l’arme blanche à Crépol ?
Pis, venu comme parlementaire exprimer sa solidarité avec les Français musulmans, le socialiste Jérôme Guedj a été hué et expulsé de la place de la République aux cris de « dehors le sioniste ». Ou comment on en vient à chasser d’un rassemblement dénonçant un meurtre raciste un député qui se trouve être juif…
Cette dérive de l’antiracisme, très bien analysée par le journaliste de Marianne Kévin Boucaud-Victoire dans son nouvel essai Mon antiracisme, n’est pas nouvelle. Des années que la gauche identitaire s’emploie à dresser les Français les uns contre les autres, la « nouvelle France » contre l’ancienne, les « indigènes » contre les colons, les racisés contre les Blancs et les juifs.
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Dans la conclusion de son livre, Kévin Boucaud-Victoire appelle à « bâtir un front commun » contre la haine ethnique ; un « antiracisme socialiste » qui n’exclurait personne, pas plus les juifs que les Arabes qui ne sont pas musulmans, ou les Asiatiques. Le terrible meurtre raciste d’Aboubakar doit être l’occasion d’un sursaut : il est temps de bâtir ce nouveau front antiraciste. Pour qu’à notre peine face à ce crime barbare touchant un de nos compatriotes ne s’ajoute l’infinie tristesse de voir la place de la République si vide…
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne