Expérimentations biologiques en Chine : “Il aura fallu 40 ans avant que le Japon reconnaisse l’existence de l’Unité 731”

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Expérimentations biologiques en Chine : “Il aura fallu 40 ans avant que le Japon reconnaisse l’existence de l’Unité 731”





















Photographie des leaders politique de la ligue des nations (à gauche, Shiro Ishii).
SNEP / AFP or licensors via AFP

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Alors que le Japon commémore le 80e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, des archives nationales sont rendues publiques. Historien, spécialiste du Japon contemporain et auteur de « Les kamikazés (1944-1945) » (Perrin), Christian Kessler revient sur ces différentes unités d’expérimentations.

Les anniversaires de guerre ont parfois ceci d’intéressants qu’ils permettent d’exhumer par on ne sait quel miracle des archives restées cachées jusque-là, du moins pour le public. Ainsi en va-t-il pour le 80e anniversaire de la seconde guerre mondiale et en particulier la guerre d’extermination que mena le Japon en Chine. Ces nouveaux documents rendus publics par les Archives nationales du Japon, détaillent une liste de noms, d’adresses et d’affiliations des membres de l’unité 1644, basée à Nankin ainsi que de l’unité 8604, basée à Canton lesquels noms émargent aussi à l’unité 731. Ces deux unités auraient mené des expérimentations sur des humains similaires à la tristement célèbre unité 731.

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Que recouvre ces vocables banals ? Une réalité effrayante. L’unité 731 bien connue maintenant, situé dans le centre de la Mandchourie, pratiqua sous la direction d’un certain Shiro Ishii et avec le plein soutien de l’élite militaire, des expérimentations biologiques sur plusieurs milliers d’êtres humains afin de doter l’Archipel d’armes bactériologiques. L’affaire remonte en 1936, avant même que le Japon n’ait envahi toute la Mandchourie. Cette année-là, le major Shiro Ishii, brillant médecin et nationaliste farouche, qui souhaitaient mettre au point un programme d’expérimentation d’armes biologiques offensives, inaugurait un premier centre d’études dans la région d’Harbin. La même année il est nommé chef du bureau de purification de l’eau. Une litote qui cache un complexe de plusieurs kilomètres carrés comprenant laboratoires, prisons, caisson à froid, tables de dissection et fours crématoires.

La Chine, un vaste champ d’expérimentation

Près de trois mille Japonais travaillèrent dans ce centre ; ils y jouissaient d’un très grand confort, avec piscines, bars, bordels et même une flotte d’avions. Parmi ceux-ci, plusieurs centaines de médecins issus des plus prestigieuses universités, qui se livrèrent au nom de la science et du Japon impérial, à toutes sortes d’expérimentations sur les animaux et aussi sur les êtres humains. Les scientifiques inoculèrent ainsi à des cobayes chinois, mandchous ou russes blancs, la typhoïde, la dysenterie, le tétanos, la tuberculose. Ils testèrent sur eux des chocolats et des gâteaux contenant la peste ou le bacille du choléra. Particulièrement intéressés par le processus de contagion, les médecins, lorsqu’ils avaient infecté les « maruta » (nom donné aux cobayes, qu’on peu traduire par bûche), autopsiaient leurs victimes vivantes pour suivre au plus près l’évolution de la maladie. Puis ils prélevaient le sang contaminé, qu’ils injectaient à d’autres cobayes.

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L’horreur ne s’arrête pas là. Shiro Ishii, surnommé le « chirurgien fou » par certains de ces collègues, entendait étudier tous les moyens de faire la guerre et d’assurer la suprématie du Japon impérial. Ces expériences, d’abord confinées à des laboratoires, furent rapidement menées à l’air libre. Sur le site de Anda par exemple, près de Ping Fan, on lâchait sur des prisonniers retenus au sol des bombes de porcelaine contenant des puces infectées de bactéries de peste, ou d’anthrax.

On observait leur agonie plus ou moins prolongée avec un soin clinique. Ces expériences enfin furent mises en pratique pendant la guerre, non seulement sur les forces armées chinoises, mais aussi sur les populations civiles. Ainsi le centre produisit-il en masse des bacilles porteurs de maladie infectieuses, contaminant dans les années 1940-1942 dans la région de Nankin des sources de puits ; furent distribués aux enfants des bonbons remplis de staphylocoques ; furent lâchés des bombes mais aussi des rats porteurs du bacille de la peste. La Chine était donc devenue un vaste champ d’expérimentation de la guerre bactériologique.

La reconnaissance de l’unité 731

L’unité 731 n’était pas le seul centre à pratiquer ce genre de recherches. Les travaux de Keichi Tsuneishi, professeur d’histoire des sciences à l’université Kanagawa, a montré dès les années 1970 qu’il n’était qu’un maillon d’une chaîne de complexes semblables répartis dans tout le Nord-Est de la Chine. Les archives rendues publiques aujourd’hui permettent cependant selon Katsuo Nishiyama, professeur émérite à l’université des sciences médicales de Shiga, d’apporter de nouveaux éléments qui confirment qu’il existait bien un réseau coordonné de programmes bactériologiques.

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En effet, ces listes de l’Unité 1644 et 8604 incluent des noms de médecins et autres qui apparaissent également dans les dossiers de l’Unité 731. Les armes chimiques et biologiques sont évidemment toujours développées dans le plus grand secret par les pays qui s’y adonnent et ne sont révélées qu’incidemment. Il est donc très important de mettre à jour l’ensemble du complexe d’expérimentation bactériologiques englobant plusieurs centres en Chine et plus encore de mettre des noms sur tous ces médecins qui ne furent en rien inquiétés après-guerre, certains comme Ishii – pourtant interrogées par les autorités d’Occupation américaine – poursuivant une carrière brillante, protégés par les autorités américaines qui comptaient bien récupérer leurs travaux pour leur programme quasi-industriel de guerre biologique arrêté officiellement par Nixon en 1969.

Il aura fallu 40 ans avant que le Japon reconnaisse officiellement l’existence de l’Unité 731. Et ce n’est qu’en 2002 qu’un tribunal a admis que le Japon avait pratiqué la guerre bactériologique en Chine. Le gouvernement japonais semble incapable de démontrer la bonne volonté et de faire un mea culpa comme celui de l’Allemagne. « Le ministère de la Défense possède 9 000 pièces confidentielles sur l’Armée impériale japonaise, dont certains concernent probablement les armes chimiques », explique l’historien Yoshiaki Yoshimi. Du travail donc en perspective pour les historiens pour peu que leurs recherches soient soutenues dans un pays toujours réticent à regarder son histoire en face et ce jusque parmi des historiens chevronnés qui au nom de la liberté indispensable à toute recherche indépendante, revendiquent le droit et l’autorité de nier les travaux historiques précédemment réalisés pour imposer encore le mythe d’un Japon innocent de son passé !


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