Magali Cohen / Hans Lucas via AFP
Tribune
Par François Ecalle
Publié le
Souhaitant prendre à bras-le-corps le problème de l’endettement, le Premier ministre François Bayrou a insisté sur les efforts que devaient faire les collectivités locales, ce qui n’a pas plus aux principaux intéressés. Président de FIPECO et conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, François Ecalle explique, dans une tribune, pourquoi la maîtrise des dépenses des collectivités locales est indispensable, selon lui.
Le montant des mesures de redressement des comptes publics nécessaires pour seulement stabiliser la dette publique à son niveau actuel en pourcentage du PIB (113 %) est de l’ordre de 120 Md€, ce qui est colossal. L’effort prévu dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2025, très difficilement votées, est inférieur à 30 milliards d’euros en retenant la même méthode de calcul et il porte presque entièrement sur des hausses d’impôts selon le Haut Conseil des finances publiques.
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Or la France était encore en 2023 au premier rang de l’OCDE pour le taux des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) et se trouvait sur le podium, ou au pied du podium, pour presque toutes les catégories d’impôts ou de cotisations. Si des marges de hausse existent encore, nous ne pouvons plus augmenter fortement ces prélèvements sans risques pour la compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire. Si on reste prudent sur les possibilités de relever le taux de croissance de l’activité économique, il faudra donc rependre le contrôle de la dette publique principalement par des économies sur les dépenses.
Des efforts à faire
Comme les dépenses des collectivités territoriales représentent presque 20 % du total des dépenses publiques, il serait difficile de réaliser des économies aussi considérables sans qu’elles y contribuent. Les élus locaux répondent généralement qu’ils gèrent très bien leurs finances puisque leurs comptes sont le plus souvent proches de l’équilibre. Le ministère des Finances leur rétorque qu’ils sont à l’équilibre parce que l’État leur verse chaque année 50 Md€ de subventions, leur rétrocède plus de 50 Md€ d’impôts tels que la TVA et les autorise à augmenter le taux des impôts locaux (cette année, ils peuvent ainsi majorer les droits perçus sur les transactions immobilières et le « versement mobilité », une taxe sur les salaires qui finance les transports collectifs régionaux).
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Les élus locaux répondent que c’est la compensation de la suppression d’impôts locaux, comme la taxe d’habitation sur les résidences principales, et du transfert de nouvelles compétences. Le ministère des Finances leur fait alors observer que, même en déduisant l’impact de ces transferts de compétences, leurs dépenses ont augmenté plus vite que le PIB jusqu’à ce que François Hollande les incite à la modération en réduisant de 13 milliards d’euros les subventions que l’État leur verse.
Il faudrait laisser de côté ces débats sans fin et admettre que toutes les administrations publiques (l’État et ses agences, les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale) devront faire des efforts et, à travers elles, tous les ménages et entreprises en tant que bénéficiaires de services publics ou de prestations sociales. Beaucoup de besoins de services publics locaux sont certes encore très loin d’être correctement satisfaits, mais les besoins sont illimités : nous voudrons toujours un meilleur environnement, plus de sécurité, des écoles plus accueillantes, des transports plus performants etc. Les ressources publiques tirées des impôts, en revanche, ne sont pas illimitées. À un moment ou un autre, il faut arrêter de fournir plus de services publics ou réaliser des gains de productivité permettant d’en produire plus avec moins de moyens.
Revoir profondément le « mille-feuille » territorial
Quand on constate que les effectifs de la fonction publique territoriale ont augmenté de presque 50 % depuis 1997, sans compter les emplois transférés par l’État, même s’il y a eu une inflexion depuis une dizaine d’années, contre 14 % pour la population, et quand on observe les nombreux emplois en doublon entre les communes et les intercommunalités, par exemple, on se dit qu’il y a des marges d’économies.
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Il faudrait revoir profondément le « mille-feuille » territorial, c’est-à-dire l’organisation et la répartition des compétences entre les différents niveaux administratifs : régions, départements, intercommunalités, métropoles, communes. Mais cela ne peut être qu’un objectif de long terme et les tentatives passées laissent sceptique sur les chances de réussite. La multiplication des normes imposées par l’État aux collectivités territoriales ne les aide pas non plus à réaliser des économies et ce n’est pas la création de « cellules d’accompagnement » qui va vraiment régler leurs problèmes, à savoir les difficultés rencontrées par les collectivités locales pour s’assurer contre certains risques s’agissant des cellules récemment annoncées par le Premier ministre.
Il ne faut toutefois pas oublier que la prolifération réglementaire pénalise tout autant les entreprises et que celles-ci doivent s’y adapter pour affronter la concurrence internationale. Elle se traduit par une croissance exponentielle du volume des codes législatifs (environnement, impôts, urbanisme…) et le Parlement, qui vote les lois, devrait arrêter ce mouvement. Même s’il ne le fait pas, ce qu’on peut craindre, il faudra réduire fortement le déficit public et les collectivités territoriales devront y contribuer par des économies.
Une pente dangereuse
Les collectivités locales étant autonomes, elles sont libres de recruter et de dépenser comme elles l’entendent. L’État ne peut que les inciter à moins dépenser en réduisant les ressources qu’il leur apporte, subventions ou impôts affectés. On craint souvent qu’elles ne sacrifient alors leurs investissements, qui représentent environ la moitié des investissements de l’ensemble des administrations publiques. Il ne faut toutefois pas sacraliser les investissements publics : beaucoup d’entre eux ont une utilité nettement inférieure au coût des impôts qu’il faut lever pour les financer. De plus, la baisse des dotations de l’État pendant le quinquennat de François Hollande les a certes d’abord conduites à réduire leurs investissements, car c’est souvent le plus facile, mais elles ont ensuite diminué leurs dépenses de fonctionnement et, en 2015 et 2016, les effectifs de la fonction publique territoriale ont, pour la première fois, baissé.
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La dette publique de la France est sur une pente dangereusement croissante et devient hors de contrôle, ce qui présente le risque d’une crise majeure à un horizon certes indéterminé. Il sera difficile d’en retrouver la maîtrise sans mettre en œuvre des mesures de ce type pour inciter les collectivités territoriales à modérer la croissance de leurs dépenses.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne