EXCLUSIF. La lutte contre la fraude fiscale est érigée en priorité nationale chaque année. Dans la présentation de son dernier rapport d’activité il y a quelques jours, la puissante Direction générale des finances publiques (DGFIP) a martelé un message de sévérité contre les fraudeurs. Et, le bras armé de l’État a promis un tour de vis dans les contrôles des contribuables durant les prochains mois. Auditionnée ce mercredi 17 juin au Sénat, la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a d’ailleurs insisté sur la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude devant la commission des finances.
Fraude fiscale : explosion des règlements sur des litiges
Portée en étendard, cette politique fiscale est cependant étrillée dans l’extrait d’un rapport parlementaire consulté en avant-première par La Tribune. Dans le collimateur des députés Mathilde Feld (LFI) et Nicolas Sansu (GDR) figurent les « règlements d’ensemble ». Ces pratiques permettent à l’administration fiscale de minorer les pénalités appliquées aux fraudeurs. Inconnues du grand public, ces transactions ont pourtant explosé ces dernières années.
Elles auraient triplé en six ans, passant de 116 en 2019 à 315 en 2024. Or, cette méthode devait se limiter à des cas exceptionnels, indiquent les auteurs. « Contrairement à ce que l’on pouvait imaginer, c’est une procédure qui est de plus en plus utilisée », pointe Mathilde Feld. « Il y a un renoncement progressif de l’administration pour aller au contentieux. L’administration explique qu’elle peut tout perdre. Sauf que le fait de ne pas aller au contentieux empêche d’avoir de la jurisprudence », regrette l’élue.
2 milliards d’euros de ristournes fiscales
Sur le plan des finances publiques, les règlements entre le fisc et les contribuables fautifs s’élèvent tout de même à 2 milliards d’euros. Durant les dernières années, cela représentait en moyenne 1 milliard d’euros de manque à gagner pour l’administration fiscale. Comment expliquer un tel fossé ? « La différence colossale s’explique par une ristourne de 450 millions d’euros sur une entreprise », explique la députée.
Sur le total, les principaux bénéficiaires sont d’abord les entreprises avec un chiffre d’affaires moyen de 744 millions d’euros. Du côté des contribuables, 80 personnes ont bénéficié de ce régime exceptionnel avec un revenu fiscal de référence médian de 209 900 euros, mais un revenu fiscal de référence moyen supérieur à 2 millions d’euros. Ce qui marque d’importantes disparités. En plein marasme budgétaire, cette somme est loin d’être négligeable au moment où l’exécutif cherche à faire 40 milliards d’euros d’économies pour boucler son projet de loi de finances pour 2026 (PLF 2026).
L’opacité du dispositif épinglée
Autre point de préoccupation pour les parlementaires : les zones d’ombre qui planent au-dessus de ce mécanisme. « Les règlements d’ensemble constituent une pratique opaque, sur laquelle les citoyens comme la représentation nationale ne disposent que de très peu d’informations », regrettent les deux élus. La critique n’est pas nouvelle. Déjà en 2018, la Cour des comptes avait également étrillé le manque d’informations publiques dans un rapport au vitriol.
S’agissant du processus de règlement d’ensemble, le rapport critique le « flou » et le manque d’encadrement « laissant craindre des disparités d’application entre les différents services de la Direction générale des finances publiques [DGFIP], étant donné la très grande marge d’appréciation laissée à l’administration ». « Les négociations se font à l’oral, sans encadrement. Il n’y a pas de cahier des charges pour encadrer la procédure », regrette Mathilde Feld. Avant 2020, très peu d’informations étaient rendues publiques par l’administration. Or, le dispositif existe depuis 2004. « L’administration est incapable de fournir des rapports avant 2020 », souligne l’élue. Et depuis la remise du rapport au Parlement en 2020, « deux pages sur vingt sont consacrées aux règlements d’ensemble. C’est de la moquerie », réagit la députée.
Renforcer l’encadrement du règlement à l’amiable
Face à cette opacité, les parlementaires suggèrent de muscler les règles d’encadrement de ce dispositif. « Cela suppose de doter la pratique d’une base qui définit de façon plus précise les critères sur la base desquels l’administration peut recourir à un règlement d’ensemble », propose le rapport. Les deux députés recommandent également de mettre en place un service consacré au règlement d’ensemble.
Parmi les risques évoqués, apparaît l’effet dissuasif du règlement. Si un contribuable accusé de fraude sait que ce mécanisme existe, il sera tenté de minimiser les effets d’un contrôle fiscal. Sur les propositions fortes du rapport, figure également un renforcement des effectifs consacrés aux contrôles fiscaux. Une direction que ne semble pas suivre le gouvernement. Proposée par certains pontes à Bercy, une potentielle extension de l’usage de l’intelligence artificielle au sein de l’administration fiscale pourrait voir le jour.
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