Il y a des chiffres qui parlent, et il y en a qui crient. Ceux dévoilés ce mardi par Refashion, l’éco-organisme chargé par le gouvernement de guider l’industrie de la mode vers un avenir plus circulaire, appartiennent sans conteste à la seconde catégorie. Car en 2024, la France a pulvérisé tous ses records en matière d’achats de textiles neufs. Un déluge de fibres, de tissus et de cuirs qui interroge, au-delà des statistiques brutes, la complexité de nos désirs de consommation.
Trois milliards et demi de pièces neuves ont été achetées l’année dernière. Cela représente une moyenne de dix millions d’articles vendus chaque jour dans l’Hexagone. Des paires de chaussettes aux draps de lit, en passant par les jeans et les robes, le vestiaire des Français n’a jamais été aussi bien garni. Parmi cette montagne de nouveautés, 2,9 milliards étaient des articles d’habillement, 259 millions des paires de chaussures et 362 millions des articles de linge de maison.
Vanessa Gutierrez, responsable d’études chez Refashion, le confirme : en moyenne, chaque Français a ajouté 42 articles d’habillement neuf à sa garde-robe en 2024. C’est une pièce de plus qu’en 2023, une légère hausse de 2,4 % qui, cumulée, dessine une tendance lourde.
Le poids des portefeuilles et des plateformes
Comment expliquer cette frénésie ? Après la « pression inflationniste » de 2023 qui avait contraint de nombreux ménages à se serrer la ceinture, les portefeuilles se sont desserrés. Ce relâchement budgétaire a directement profité à l’industrie du textile et de la chaussure.
Si l’habillement pour femmes et hommes a vu ses ventes augmenter (+5 % et +3,6 % respectivement), c’est le linge de maison qui a connu le bond le plus spectaculaire, avec une hausse de 9,3 %. Vanessa Gutierrez évoque l’arrivée « d’acteurs aux prix accessibles », sans les nommer, esquissant le tableau d’un marché inondé d’offres à bas coût.
À l’inverse, les rayons enfant et bébé ont marqué le pas, avec des reculs de 0,6 % et 5,4 %. Une baisse qui s’explique par la diminution de la natalité et, de manière plus significative, par un report des consommateurs vers le marché de la seconde main, particulièrement dynamique dans ce secteur.
Les habitudes d’achat se transforment également. Les entreprises vendant exclusivement en ligne, des géants comme Zalando aux plateformes chinoises comme Shein et Temu (dont les données sont désormais obligatoirement transmises à Refashion, signe de leur influence), ont vu leurs ventes en volume bondir de près de 30 % (+29,9 %). Les soldeurs et déstockeurs ne sont pas en reste, avec une augmentation de 10,3 % de leurs ventes. « Si on excluait ces deux catégories, le marché serait relativement stable », nuance Vanessa Gutierrez, soulignant le rôle pivot de ces acteurs dans la croissance globale.
Pendant ce temps, les grandes surfaces alimentaires voient leurs ventes de textiles chuter de 5,1 %, tandis que les chaînes traditionnelles, implantées en centre-ville ou dans les centres commerciaux, maintiennent leur cap avec une légère progression de 2,8 %. La quête du prix bas reste prégnante : 71 % des articles achetés appartiennent à l’entrée de gamme.
L’ombre portée de la seconde main
Face à cette déferlante de neuf, la seconde main trace son chemin, comme une conscience parallèle. Une étude conjointe de Kantar et Refashion révèle qu’en 2023, plus de 63 500 tonnes de textiles et chaussures d’occasion ont été échangées, représentant 7,1 % de la consommation globale en France.
Plus d’un tiers des Français sont désormais des adeptes de l’occasion, et 4 % se déclarent même des acheteurs exclusifs. Le marché de l’échange entre particuliers sur des plateformes comme Vinted ou Leboncoin, ainsi que les vide-greniers et brocantes, dominent avec 46 % des ventes. L’économie sociale et solidaire (Croix-Rouge, Emmaüs) représente un tiers des transactions, tandis que les friperies et autres corners consacrés dans les magasins classiques constituent 21 % du marché.
Ces chiffres brossent le portrait d’une société tiraillée entre l’attrait irrésistible de la nouveauté, portée par des prix toujours plus bas et une accessibilité accrue, et une prise de conscience environnementale qui pousse une part grandissante de la population vers des modes de consommation plus circulaires.
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