“Gaza c’est Auschwitz” : quand la mémoire est prise en otage

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“Gaza c’est Auschwitz” : quand la mémoire est prise en otage





















“Des millions de personnes ont entendu cette « punchline » outrancière qui claque à l’oreille, elle continuera de circuler dans les esprits, dans les entreprises, dans les cours d’école, partout où l’on cherche à justifier la nazification du seul État juif et l’antisémitisme.”
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Tribune

Par Noémie Halioua

Publié le

La journaliste et essayiste Noémie Halioua réagit aux propos tenus par Thierry Ardisson samedi dernier sur le plateau de « Quelle époque ! », animé par Léa Salamé, où il comparait Gaza à Auschwitz. Elle démontre pourquoi une telle analogie est non seulement infondée, mais aussi dangereuse puisqu’elle participe à une banalisation de la Shoah.

Quelle époque ! Vraiment. Chaque samedi soir sur le service public, la machine est bien huilée. Polémiques, indignations et buzz sont garantis pour alimenter le flot ininterrompu du débat public. Nicolas Bedos se fait dézinguer par un humoriste, puis c’est au tour de Louis Sarkozy, et chaque fois le public rit à gorge déployée et le scandale peut recommencer. Cette fois, c’est un vétéran de la provocation qui offre le spectacle.

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Thierry Ardisson, l’homme en noir, celui qui ne s’excuse jamais, le roi des plateaux d’hier, est invité à réagir aux propos de Raphaël Pitti – ex-candidat NFP aux élections législatives et médecin de guerre venu décrire la crise humanitaire à Gaza. Fidèle à son style, Ardisson lâche une phrase-choc. « Gaza, c’est Auschwitz, voilà, c’est tout ce qu’il y a à dire », juge-t-il, sous un air de sincérité. Sur le plateau, pas un froncement de sourcil. Dans la salle de montage où l’émission est filtrée, aucun technicien ne juge opportun de couper la séquence. Personne ne saisit l’irresponsabilité de diffuser des propos pareils à une heure de grande écoute.

Une analogie dangereuse

Gaza, c’est Auschwitz ? En vérité, ce n’est pas « tout ce qu’il y a à dire ». Bien au contraire il y a beaucoup à dire sur ce propos qui constitue, dans son entièreté, une gifle à l’histoire. À Gaza, il n’y a pas de chambre à gaz, pas de planification génocidaire, pas de mise à mort industrielle, pas de wagon plombé, pas de sélection à la descente. À Gaza, il n’y a pas de solution finale. En revanche il y a des bombes et des victimes civiles, un conflit asymétrique et une souffrance humaine qui tord le cœur de n’importe quel humaniste.

Gaza n’est pas un camp d’extermination, c’est un théâtre de guerre, où les morts sont trop nombreux et tous inacceptables. Ce sont deux contextes historiques distincts, deux réalités que rien ne saurait rapprocher. Non, les Israéliens ne sont pas des nazis : ils combattent le Hamas, classé comme organisation terroriste par la plupart des pays de la communauté internationale. Ils combattent un ennemi islamiste qui instrumentalise sciemment sa propre population pour émouvoir le monde.

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Cette analogie n’est pas seulement fausse : elle est dangereuse. Elle fait de la mémoire un outil de combat idéologique, un instrument au service de l’interversion des rôles. Elle fait du juif le nouveau nazi et lui place ainsi, de nouveau, une cible dans le dos. Elle fait de la victime d’hier le bourreau d’aujourd’hui pour en faire un bouc émissaire. La nazification du juif est un procédé rondement mené, comme l’avait montré le philosophe Alain Finkielkraut dans Au nom de l’autre, en 2003. Ce n’est plus au nom de la haine que l’on pointe du doigt le juif, qu’il est fait bouc émissaire, mais au nom du bien, c’est au nom de l’antiracisme qu’il est bon de le combattre. Ce retournement prospère depuis de nombreuses années dans les cercles militants et intellectuels, mais grâce à Ardisson, il bénéficie désormais d’une promotion sans filtre dans une émission populaire, en prime à la télévision.

Une banalisation de la Shoah

Cette séquence est symptomatique d’une confusion moderne : la banalisation de la Shoah. Au XXIe siècle, le génocide des juifs est à la fois partout et nulle part. Il nourrit les programmes scolaires, les cérémonies officielles, les discours politiques, les fictions. Il est omniprésent dans les créations culturelles. Dans le même temps, sa spécificité historique n’est plus comprise, ni la rupture anthropologique qu’il constitue, les faits et leurs dates sont de plus en plus méconnus. Le rituel émotionnel a éclipsé la réalité historique : c’est ce que dénonce depuis longtemps l’historien Georges Bensoussan, ancien responsable éditorial du Mémorial de la Shoah. Aujourd’hui cet amalgame douteux vient de nouveau confirmer sa thèse : la mémoire forgée en slogan, en référence universelle a été vidée de sa substance, elle est devenue une matière infinie pour tous les amalgames y compris les plus douteux.

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Au lendemain de l’émission, Ardisson s’est excusé dans un communiqué. « L’émotion était sans doute trop forte et mon propos exagéré (…) Je prie mes amis juifs de bien vouloir me pardonner », considère-t-il. « Et nous tenons à réaffirmer qu’en aucune manière la Shoah ne saurait être banalisée », exprime de son côté la direction de l’émission, qui affirme avoir consacré plusieurs émissions au 7 octobre et à ses ravages au sein de la société israélienne. Mais qu’importe le mal est fait. Des millions de personnes ont entendu cette « punchline » outrancière qui claque à l’oreille, elle continuera de circuler dans les esprits, dans les entreprises, dans les cours d’école, partout où l’on cherche à justifier la nazification du seul État juif et l’antisémitisme. Tandis que le travail de déconstruction et de contradiction nécessitera infiniment plus de temps.


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