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Famine
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Aucune distribution alimentaire n’a eu lieu à Gaza depuis le 2 mars, faisant planer l’ombre de la famine sur les 2,4 millions de Gazaouis. Donald Trump a proposé une prise en charge de celle-ci par les Américains, après un plan israélien décrié par les ONG. Pourquoi et comment sommes-nous arrivés à une telle situation, et la famine est-elle déjà là ?
Depuis le 2 mars, rien. Aucune aide humanitaire n’a pu entrer dans Gaza, malgré son importance vitale pour les plus de 2 millions de d’habitants de l’enclave de 40 kilomètres de long. En cause, un blocus total des entrées de la part de l’armée israélienne, qui affirme que les aides sont détournées par le Hamas.
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Ce vendredi 16 mai, en visite à Abou Dhabi, Donald Trump lui-même a déclaré que les habitants de Gaza étaient « affamés », comme l’indiquent les sources sur place, en ajoutant que la situation allait être « réglée » sous peu. Comment en est-on arrivé là, et quelles sont déjà les conséquences réelles ?
Prise en main israélienne
Avant le 7 octobre, près de 500 camions d’aide humanitaire rentraient chaque jour dans la bande de Gaza, territoire à l’agriculture extrêmement précaire. Depuis, la question de l’entrée des aides a été un point de crispation majeure, interrompue plusieurs fois par l’État hébreu, notamment à chaque rupture de trêve entre le Hamas et Tsahal.
Les justifications du blocus sont multiples pour Israël. Elles s’inscrivent dans un contexte de défiance envers la plupart des ONG œuvrant sur place, accusées d’accueillir en leur sein des terroristes du Hamas ou du Djihad islamique, comme cela a été le cas pour Médecins sans frontières. Israël considère également que l’aide internationale qui passe par les checkpoints serait systématiquement détournée par les troupes du Hamas, et affirme que ce blocus contraindra le groupe terroriste à libérer les otages.
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La semaine du 5 mai, le cabinet de sécurité israélien avait dévoilé son plan humanitaire et militaire pour l’avenir de Gaza, à savoir une dernière grande offensive de « conquête » pour prendre le contrôle définitif d’une majorité des territoires palestiniens, et la fin de la distribution de l’aide alimentaire par des associations internationales ou les Nation unies. L’ONG Human Rights Watch, décriée par le gouvernement de Benyamin Netanyahou, a accusé Israël de faire de son blocus « un outil d’extermination ».
Quelle solution ?
En lieu et place des distributions d’aide par des ONG, le cabinet israélien a d’abord proposé une prise en main des distributions d’aides par l’État hébreu, qui seraient effectuées dans des centres contrôlés par l’armée. Cette proposition a provoqué une levée de boucliers des ONG, qui ont aussitôt accusé Israël de ne pas respecter le droit international et de vouloir « politiser » et « militariser » l’aide humanitaire. Depuis, les États-Unis ont annoncé leur volonté de centraliser l’acheminement de toutes les aides par la Gaza Humanitarian Foundation, un organisme jusqu’ici inconnu, basé à Genève, crée en janvier dernier, et soutenu par Washington.
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Selon l’ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee, qui s’est exprimé lors d’un point presse vendredi 9 mai, « les Israéliens vont être impliqués dans la fourniture de la sécurité militaire nécessaire, car c’est une zone de guerre, mais ils ne participeront ni à la distribution de la nourriture, ni même à son acheminement dans Gaza ». Le diplomate a également annoncé que la sécurité aux points de distribution serait assurée par des entreprises privées.
L’ONU a déjà affirmé qu’elle ne souhaitait pas s’associer à ce projet. « Ce plan de distribution n’est pas en accord avec nos principes de base, y compris ceux d’impartialité, de neutralité et d’indépendance », a détaillé Farhan Haq, porte-parole adjoint du secrétaire général de l’ONU. Des réserves généralisées auxquelles Marco Rubio, secrétaire d’État américain, a répondu : « J’entends des critiques concernant ce plan. Nous sommes ouverts à une alternative si quelqu’un en a une meilleure. Nous sommes favorables à toute l’aide possible sans que le Hamas puisse la voler à la population. »
Condamnation internationale
Depuis, la pression internationale s’accentue contre le gouvernement Netanyahou, de plus en plus critiqué en interne, notamment par les principales associations pour le retour des otages. Ce vendredi 16 mai, le Conseil de l’Europe a dénoncé une « famine délibérée » à Gaza, estimant que la politique israélienne ne fait que « semer les graines du prochain Hamas ».
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Dans la semaine, Emmanuel Macron avait déjà qualifié la situation de « honte », ce à quoi Benyamin Netanyahou répondait en accusant le chef de l’État français de se ranger du côté d’une « organisation terroriste islamiste meurtrière et d’en relayer la propagande ignoble ». « Tout ce qui est excessif est insignifiant », a répondu le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, ce vendredi 16 mai, chez Télé Matin, sur France 2. « Le Premier ministre israélien doit entendre l’appel quasi unanime de la communauté internationale – profondément choquée par la situation catastrophique à Gaza – à cesser le feu et à laisser entrer sans aucune forme d’entrave l’aide humanitaire, l’eau, la nourriture », a-t-il ajouté.
La famine déjà là ?
Alors, la famine a-t-elle déjà démarré dans le territoire palestinien ? Selon le Cadre de classification de l’insécurité alimentaire (IPC), qui fait autorité sur la question, la situation à Gaza est catastrophique. « Les habitants de Gaza meurent de faim en ce moment même. La vitesse à laquelle cette crise de la faim et de la malnutrition provoquée par l’homme a frappé Gaza est terrifiante », a annoncé la directrice exécutive du Programme alimentaire mondial, Cindy McCain.
Est-ce pour autant une « famine » ? La définition est claire – et un peu technique : la famine correspond à une situation dans laquelle 20 % des ménages sont confrontés à un manque extrême de nourriture, plus de 30 % des enfants souffrent de malnutrition aiguë, et le taux de mortalité dépasse deux décès par jour pour 10 000 habitants en raison de la malnutrition. Le risque est évalué de 1 à 5, la phase 5 correspondant à une famine.
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Le dernier rapport de l’IPC, publié lundi 12 mai, estime ainsi que 22 % de la population de Gaza est dans une situation « catastrophique ». L’étude affirme que 93 % de la population a atteint le niveau 3 « ou pire », dont près d’un million de personnes dans la phase 4, qui correspond à un niveau « d’urgence ». Ainsi la famine n’est pas encore confirmée au sens légal, mais elle est jugée « imminente, [voire] déjà en cours », selon Beth Bechdol, directrice générale adjointe de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
L’accusation d’instrumentalisation de la famine par le gouvernement israélien a déjà valu à Benyamin Netanyahou et à son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant des mandats d’arrêts de la Cour pénale internationale en novembre 2024, d’abord pour suspicions de crimes de guerre, pour avoir fait de la famine une arme de guerre, et de crimes contre l’humanité pour meurtres, actes inhumains et persécutions, conséquences de la famine et de l’absence de soins.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne